Les dérapages de l'après procès Fofana
Par Michel Huyette
Sur ce blog il a déjà été plusieurs fois question du procès "Fofana" (1), notamment à propos de l'appel décidé par la Ministre de la justice, et de la controverse autour du huis clos.
Le débat est aujourd'hui relancé après les déclarations surprenantes de l'avocat de la famille de la victime (les "parties civiles"), Maitre Szpiner. Celui-ci, qui n'a pas démenti, a d'une part qualifié l'avocat général du procès de "traitre génétique", et les autres avocats (qui ont défendu les accusés) de "connards d'avocats bobos de gauche".
Comme il fallait s'y attendre, la polémique a de nouveau pris une grande ampleur, avec déferlement de prises de position dans les medias, jusqu'à l'engagement d'une procédure disciplinaire par le Parquet général de Paris.
Les propos prononcés paraissent dans un premier temps plutôt relever de la médiocrité intellectuelle et ne pas mériter que l'on s'y attarde longtemps. La bêtise ne se commente pas, elle s'ignore.
C'est pourquoi je me suis un temps demandé s'il pouvait être utile de rajouter à tout ce qui déjà été dit et écrit sur cet épisode peu reluisant de notre histoire judiciaire. Mais la réponse m'a finalement semblé positive.
Ce qui vient d'abord à l'esprit c'est que les termes employés n'honorent pas, c'est peu dire, celui qui les a utilisés. Certes, traiter ses collègues de "connards bobos de gauche" est beaucoup plus bête que méchant, et relève plus de la cour de l'école primaire que de la salle des avocats. N'a pas l'intelligence des mots qui veut. Mais il en va autrement de ceux qui ont été utilisés contre P. Bilger et qui sont, eux, réellement répugnants.
D'après ce que j'ai lu, P. Bilger aurait lui-même mentionné dans l'un de ses livres que son père a collaboré avec l'occupant pendant la seconde guerre mondiale.
Dès lors, sous entendre que le fils est forcément un "traitre" et en plus du genre "collaborateur" par utilisation de l'expression "traître génétique", ce n'est plus seulement de la bêtise du plus haut niveau, c'est une attaque vulgaire et indigne. Aucun enfant n'est comptable de ce qu'ont fait ses parents, en bien ou en mal. Au-delà, quel que soit son contexte, le terme "traître", même utilisé seul, à toujours une connotation très péjorative.
En un peu plus de vingt années d'expérience professionnelle, j'ai pu constater une chose qui m'apparaît aujourd'hui encore plus fortement. Après avoir entendu plaider des milliers d'avocats dans six juridictions différentes du nord au sud de la France, dans des audiences familiales, civiles, sociales, correctionnelles et criminelles, je peux vous affirmer que si certains d'entre eux me sont apparus d'une très grande intelligence et capables de plaidoiries d'une remarquable qualité, il ne s'est jamais agi de ces avocats qui, par tous les moyens même (et surtout) les moins nobles, recherchent une célébrité artificielle en privilégiant les éclats de voix, vulgarité et grossièreté incluses, et les coups médiatiques.
Cela semble une constante. Les avocats les plus brillants, je veux dire ceux qui le sont véritablement, choisissent toujours de rester anonymes, discrets, distants avec les medias. Sans doute parce que la satisfaction d'un travail de très grande qualité est, pour eux, un aboutissement amplement suffisant. Alors que les moins habiles ressentent souvent le besoin de camoufler leurs faiblesses par une fausse image médiatique destinée à faire croire à des qualités ou des compétences qu'ils n'ont pas réellement (2).
Il y a aussi chez les avocats, comme dans tous les corps de métiers, ceux qui croient être différents/au-dessus des autres parce qu'ils côtoient les sphères du pouvoir. C'est se donner de l'importance par procuration. Sans se rendre compte à quel point de telles façons d'agir sont puériles et souvent un peu ridicules, ces gens gloussent comme des coqs devant les caméras et ainsi tentent de se persuader qu'ils font partie d'une élite. Mais tout ceci n'est qu'un artifice dont personne ne peut être dupe bien longtemps.
On aura relevé que l'avocat à l'origine de la polémique commentée s'enorgueillit d'être proche du parti politique majoritaire et de certains de ses dirigeants. Il aurait même affirmé pendant l'une des audience qu'il avait les moyens de "faire changer la loi". Comme il doit être fier.....
Quoi qu'il en soit, les avocats sont soumis à un ensemble de règles de bonne conduite, dites "déontologiques". Elles sont énumérées dans un décret de juillet 2005. Ils encourent des sanctions disciplinaires en application des articles 183 (façon de se comporter) et 184 (sanctions) d'un décret de novembre 1991. La procédure habituelle est la suivante : saisine du bâtonnier qui effectue une enquête, puis si besoin est saisine du conseil de discipline soit par le bâtonner soit en cas d'inaction de ce dernier par le Procureur général (articles 187 et suivants du décret de 1991).
Les propos tenus, "traître génétique" et "connards", étant à l'évidence contraires à la "délicatesse" mentionnée à l'article 183 précité, nous verrons prochainement, à travers la décision du bâtonnier de Paris, puis ensuite celle du conseil de discipline, si le corporatisme des avocats est aussi fort que celui des magistrats.
Malgré tout, comme je l'indiquais en début de cet article, on pourrait se contenter de constater l'existence d'un comportement dérisoire et dès lors de bien peu d'intérêt, mais se serait peut-être passer à côté d'une problématique de fond.
Car l'essentiel n'est pas là.
Le constat d'une certaine médiocrité intellectuelle (à un moment donné) de l'un des acteurs d'un procès ne serait qu'un épiphénomène si elle n'avait aucune véritable incidence sur le fonctionnement de l'institution judiciaire. Or tel est le cas lorsque l'objectif d'un avocat n'est plus uniquement de défendre l'une des parties au procès mais de parasiter le fonctionnement ordinaire le la justice.
Le cours normal de la justice est parasité quand c'est sous la pression non pas seulement des parties civiles mais au-delà des groupements qui les soutiennent, qui ne sont pas partie au procès, qu'un appel est interjeté sur ordre du ministre de la justice sans que personne, et en tous cas pas ce ministre, n'indique en quoi les peines prononcées sont manifestement insuffisantes (cf l'article précédent).
Le cours de la justice est également parasité quand des groupes de pression contestent une décision de justice sans avoir ne serait-ce qu'un instant assisté au procès, et, relayés par leur avocat, n'ont de cesse de proclamer que les sanctions doivent être beaucoup plus élevées sans autre argument que leur exigence. Et la pression est d'autant plus forte quand ces groupes de pression utilisent à plein l'argumentaire religieux : "c'est un jeune homme juif qui a été attaqué, si la cour d'assises d'appel ne prononce pas de sanctions nettement plus sévères, c'est qu'elle ne veut pas protéger la communauté juive et nie le caractère raciste du crime". Il est vrai qu'il est plus simple de culpabiliser que d'argumenter.
C'est bien parce que ces tentatives de transformer la justice "publique", celle de la collectivité des citoyens, en une justice privée sommée de satisfaire les souhaits d'une partie au procès, sont graves et particulièrement dangereuses dans une démocratie, qu'il faut les dénoncer.
Souhaitons que les magistrats et jurés de la cour d'assises d'appel, tout comme le ministère public, sachent rester insensibles à cette agitation inutile. La justice se rend dans la distance et le calme. Le bruit et les gesticulations doivent rester à la porte, d'où qu'ils proviennent, et quelle que soit leur ampleur.
---------
1. Du nom du chef du groupe, qualifié par les medias de "gang des barbares", et qui a été à l'origine de l'enlèvement, de la torture puis de la mort d'un jeune homme de la communauté juive.
2. Mais une faiblesse qu'ils n'ont jamais, c'est au moment de définir le montant de leurs honoraires, la médiatisation qu'ils ont su entretenir ayant pour une grande part comme objectif de pouvoir demander à leurs clients bien plus que ce que leur talent réel justifie.
Le débat est aujourd'hui relancé après les déclarations surprenantes de l'avocat de la famille de la victime (les "parties civiles"), Maitre Szpiner. Celui-ci, qui n'a pas démenti, a d'une part qualifié l'avocat général du procès de "traitre génétique", et les autres avocats (qui ont défendu les accusés) de "connards d'avocats bobos de gauche".
Comme il fallait s'y attendre, la polémique a de nouveau pris une grande ampleur, avec déferlement de prises de position dans les medias, jusqu'à l'engagement d'une procédure disciplinaire par le Parquet général de Paris.
Les propos prononcés paraissent dans un premier temps plutôt relever de la médiocrité intellectuelle et ne pas mériter que l'on s'y attarde longtemps. La bêtise ne se commente pas, elle s'ignore.
C'est pourquoi je me suis un temps demandé s'il pouvait être utile de rajouter à tout ce qui déjà été dit et écrit sur cet épisode peu reluisant de notre histoire judiciaire. Mais la réponse m'a finalement semblé positive.
Ce qui vient d'abord à l'esprit c'est que les termes employés n'honorent pas, c'est peu dire, celui qui les a utilisés. Certes, traiter ses collègues de "connards bobos de gauche" est beaucoup plus bête que méchant, et relève plus de la cour de l'école primaire que de la salle des avocats. N'a pas l'intelligence des mots qui veut. Mais il en va autrement de ceux qui ont été utilisés contre P. Bilger et qui sont, eux, réellement répugnants.
D'après ce que j'ai lu, P. Bilger aurait lui-même mentionné dans l'un de ses livres que son père a collaboré avec l'occupant pendant la seconde guerre mondiale.
Dès lors, sous entendre que le fils est forcément un "traitre" et en plus du genre "collaborateur" par utilisation de l'expression "traître génétique", ce n'est plus seulement de la bêtise du plus haut niveau, c'est une attaque vulgaire et indigne. Aucun enfant n'est comptable de ce qu'ont fait ses parents, en bien ou en mal. Au-delà, quel que soit son contexte, le terme "traître", même utilisé seul, à toujours une connotation très péjorative.
En un peu plus de vingt années d'expérience professionnelle, j'ai pu constater une chose qui m'apparaît aujourd'hui encore plus fortement. Après avoir entendu plaider des milliers d'avocats dans six juridictions différentes du nord au sud de la France, dans des audiences familiales, civiles, sociales, correctionnelles et criminelles, je peux vous affirmer que si certains d'entre eux me sont apparus d'une très grande intelligence et capables de plaidoiries d'une remarquable qualité, il ne s'est jamais agi de ces avocats qui, par tous les moyens même (et surtout) les moins nobles, recherchent une célébrité artificielle en privilégiant les éclats de voix, vulgarité et grossièreté incluses, et les coups médiatiques.
Cela semble une constante. Les avocats les plus brillants, je veux dire ceux qui le sont véritablement, choisissent toujours de rester anonymes, discrets, distants avec les medias. Sans doute parce que la satisfaction d'un travail de très grande qualité est, pour eux, un aboutissement amplement suffisant. Alors que les moins habiles ressentent souvent le besoin de camoufler leurs faiblesses par une fausse image médiatique destinée à faire croire à des qualités ou des compétences qu'ils n'ont pas réellement (2).
Il y a aussi chez les avocats, comme dans tous les corps de métiers, ceux qui croient être différents/au-dessus des autres parce qu'ils côtoient les sphères du pouvoir. C'est se donner de l'importance par procuration. Sans se rendre compte à quel point de telles façons d'agir sont puériles et souvent un peu ridicules, ces gens gloussent comme des coqs devant les caméras et ainsi tentent de se persuader qu'ils font partie d'une élite. Mais tout ceci n'est qu'un artifice dont personne ne peut être dupe bien longtemps.
On aura relevé que l'avocat à l'origine de la polémique commentée s'enorgueillit d'être proche du parti politique majoritaire et de certains de ses dirigeants. Il aurait même affirmé pendant l'une des audience qu'il avait les moyens de "faire changer la loi". Comme il doit être fier.....
Quoi qu'il en soit, les avocats sont soumis à un ensemble de règles de bonne conduite, dites "déontologiques". Elles sont énumérées dans un décret de juillet 2005. Ils encourent des sanctions disciplinaires en application des articles 183 (façon de se comporter) et 184 (sanctions) d'un décret de novembre 1991. La procédure habituelle est la suivante : saisine du bâtonnier qui effectue une enquête, puis si besoin est saisine du conseil de discipline soit par le bâtonner soit en cas d'inaction de ce dernier par le Procureur général (articles 187 et suivants du décret de 1991).
Les propos tenus, "traître génétique" et "connards", étant à l'évidence contraires à la "délicatesse" mentionnée à l'article 183 précité, nous verrons prochainement, à travers la décision du bâtonnier de Paris, puis ensuite celle du conseil de discipline, si le corporatisme des avocats est aussi fort que celui des magistrats.
Malgré tout, comme je l'indiquais en début de cet article, on pourrait se contenter de constater l'existence d'un comportement dérisoire et dès lors de bien peu d'intérêt, mais se serait peut-être passer à côté d'une problématique de fond.
Car l'essentiel n'est pas là.
Le constat d'une certaine médiocrité intellectuelle (à un moment donné) de l'un des acteurs d'un procès ne serait qu'un épiphénomène si elle n'avait aucune véritable incidence sur le fonctionnement de l'institution judiciaire. Or tel est le cas lorsque l'objectif d'un avocat n'est plus uniquement de défendre l'une des parties au procès mais de parasiter le fonctionnement ordinaire le la justice.
Le cours normal de la justice est parasité quand c'est sous la pression non pas seulement des parties civiles mais au-delà des groupements qui les soutiennent, qui ne sont pas partie au procès, qu'un appel est interjeté sur ordre du ministre de la justice sans que personne, et en tous cas pas ce ministre, n'indique en quoi les peines prononcées sont manifestement insuffisantes (cf l'article précédent).
Le cours de la justice est également parasité quand des groupes de pression contestent une décision de justice sans avoir ne serait-ce qu'un instant assisté au procès, et, relayés par leur avocat, n'ont de cesse de proclamer que les sanctions doivent être beaucoup plus élevées sans autre argument que leur exigence. Et la pression est d'autant plus forte quand ces groupes de pression utilisent à plein l'argumentaire religieux : "c'est un jeune homme juif qui a été attaqué, si la cour d'assises d'appel ne prononce pas de sanctions nettement plus sévères, c'est qu'elle ne veut pas protéger la communauté juive et nie le caractère raciste du crime". Il est vrai qu'il est plus simple de culpabiliser que d'argumenter.
C'est bien parce que ces tentatives de transformer la justice "publique", celle de la collectivité des citoyens, en une justice privée sommée de satisfaire les souhaits d'une partie au procès, sont graves et particulièrement dangereuses dans une démocratie, qu'il faut les dénoncer.
Souhaitons que les magistrats et jurés de la cour d'assises d'appel, tout comme le ministère public, sachent rester insensibles à cette agitation inutile. La justice se rend dans la distance et le calme. Le bruit et les gesticulations doivent rester à la porte, d'où qu'ils proviennent, et quelle que soit leur ampleur.
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1. Du nom du chef du groupe, qualifié par les medias de "gang des barbares", et qui a été à l'origine de l'enlèvement, de la torture puis de la mort d'un jeune homme de la communauté juive.
2. Mais une faiblesse qu'ils n'ont jamais, c'est au moment de définir le montant de leurs honoraires, la médiatisation qu'ils ont su entretenir ayant pour une grande part comme objectif de pouvoir demander à leurs clients bien plus que ce que leur talent réel justifie.