De Fofana à Firminy. Et si l'on essayait de comprendre ?
Par Michel Huyette
Je ne pensais pas opportun de rédiger un commentaire sur le procès de Mr Fofana et de ceux qui l'ont accompagné dans des actes à l'opposé de toute humanité, jusqu'à ce que je lise dans Le Monde du 11 juillet 2009 (lien provisoire) ces lignes, sous la plume de Mme Costa-Lascoux, directrice de recherche au Cnrs, spécialiste de la laïcité et de la sociologie de l'intégration :
"Du côté du groupe criminel, il est difficile de parler de gang organisé avec ses règles, ou même d'une bande proprement dite ; c'est un rassemblement de fait, autour d'un personnage trouble, qui joue le chef, un manipulateur.
Le groupe est hétéroclite, mais symptomatique de la "banalité du mal" qui se développe dans certains quartiers sur fond de fracture identitaire et d'affichage ethnique. La haine de soi qui accompagne un sentiment profond d'humiliation se retourne en haine de l'autre, contre celui qui semble installé dans la vie. La couleur de la peau, la religion, l'origine africaine sans cesse rappelée, les conditions de vie de la famille immigrée entassée dans deux pièces, le travail de la mère (agent d'entretien) jugé dégradant, sont exposés comme autant de stigmates par l'auteur des violences lui-même.
Je ne pensais pas opportun de rédiger un commentaire sur le procès de Mr Fofana et de ceux qui l'ont accompagné dans des actes à l'opposé de toute humanité, jusqu'à ce que je lise dans Le Monde du 11 juillet 2009 (lien provisoire) ces lignes, sous la plume de Mme Costa-Lascoux, directrice de recherche au Cnrs, spécialiste de la laïcité et de la sociologie de l'intégration :
"Du côté du groupe criminel, il est difficile de parler de gang organisé avec ses règles, ou même d'une bande proprement dite ; c'est un rassemblement de fait, autour d'un personnage trouble, qui joue le chef, un manipulateur.
Le groupe est hétéroclite, mais symptomatique de la "banalité du mal" qui se développe dans certains quartiers sur fond de fracture identitaire et d'affichage ethnique. La haine de soi qui accompagne un sentiment profond d'humiliation se retourne en haine de l'autre, contre celui qui semble installé dans la vie. La couleur de la peau, la religion, l'origine africaine sans cesse rappelée, les conditions de vie de la famille immigrée entassée dans deux pièces, le travail de la mère (agent d'entretien) jugé dégradant, sont exposés comme autant de stigmates par l'auteur des violences lui-même.
Ce qui, à d'autres époques, se serait exprimé en termes sociaux et de conflit de classes, se transforme en un masque ethnico-racial : l'expression la plus visible et la plus simpliste du communautarisme. On ne mesure pas à quel point les débats menés sur les catégories ethniques et sur les discriminations, y compris avec une certaine bonne conscience, ont éloigné des personnes psychologiquement déstructurées d'une culture du bien commun et de la citoyenneté, pour les enfermer dans un processus de victimisation et une défense identitaire primaire."
J'ai lu et relu ce paragraphe, qui m'a beaucoup troublé. Pas tant à cause de ce qui y est expliqué. Non. Mais à cause de ce qu'il nous renvoie en creux, de notre refus/incapacité de nous interroger sur le fonctionnement le plus profond, le plus inconscient, de certains des membres du groupe social dans lequel nous vivons.
Les peines prononcées sont évidemment justifiées. Les juridictions pénales, et notamment les cours d'assises, doivent chaque fois que cela est nécessaire rappeler à travers les condamnations prononcées que rien ne justifiera jamais les actes les plus odieux, et que la sanction doit être à la hauteur des dégâts occasionnés par le crime.
Le seul problème, c'est que les sanctions n'ont jusqu'à présent jamais été un obstacle efficace à la multiplication des actes criminels, y compris quand la peine de mort existait. Si tel était le cas, il y a bien longtemps qu'il n'y aurait plus un seul délinquant sur terre. Alors, sauf à vouloir enfermer pour toujours la moitié de la planète, il faudra bien s'interroger un jour, sérieusement, sur l'existence de moyens permettant de réduire les flots de violence dont nous sommes régulièrement victimes.
C'est en cela que l'article précité vient percuter de plein fouet notre torpeur estivale. L'auteur nous y explique, en quelques lignes, qu'il n'est pas du tout impossible de remonter le temps et de repérer le point de départ d'une déshumanisation ayant conduit à de la sauvagerie.
Pour les professionnels cela n'a rien de nouveau (1). Nous savons tous (ou presque) grâce aux rapports des travailleurs sociaux, sociologues, psychologues, psychiatres.. que rien n'arrive complètement par hasard. Sans doute y a-t-il dans le parcours de chacun d'entre nous quelques mystères indéchiffrables. Mais pour l'essentiel les spécialistes savent parfaitement repérer à quel endroit, à quel moment, et de quelle façon se produisent les fêlures, qui deviennent cassures, et qui font qu'à un moment donné des individus qui n'étaient évidemment pas programmés pour cela à leur naissance se sont écartés de la route et sont tombés dans le fossé.
Il est souvent question de ghetto, de discrimination sociale et raciale, de précarité économique, d'échec dans les apprentissages, d'exclusion scolaire, de déconsidération individuelle ou collective, et bien d'autres choses encore.
Bien sûr il nous faut continuer à sanctionner aussi sévèrement que nécessaire tous les actes insupportables. Bien sûr. Mais en agissant uniquement ainsi, l'impact sur ce qui déclenche les parcours délinquants est plus que faible. On écope. Mais on arrête pas le flot et la barque continue à se charger d'eau.
Comme je l'ai déjà écrit de nombreuses fois (et comme j'y reviendrai sans doute encore tant le risque de malentendu est grand), comprendre n'a jamais voulu dire excuser. Mais comprendre est le seul moyen d'agir avant que soit commis l'irrémédiable.
Toutefois l'obstacle à franchir est élevé. Car si l'on raisonne comme le fait Mme Costa Lascoux dans son article, il va bien falloir accepter de nous interroger, un jour ou l'autre, sur notre responsabilité collective en ce qui concerne le mode de vie de certains d'entre nous. Et quelque part au plus profond de nous une petite voix, que nous voudrions par dessus tout faire taire, nous dit que nous pourrions ne pas sortir indemne d'une telle démarche.
Alors jour après jour nous cherchons de toutes les façons possibles comment éviter de regarder cette vérité d'une terrible laideur : ce qui, indirectement, est à l'origine de dérapages humains, c'est notamment notre indifférence, notre égoïsme forcené, notre rejet de l'autre, notre refus d'écouter, de comprendre, finalement notre volonté farouche de ne jamais rechercher ce qui pourrait nous remettre en cause en terme d'absence de solidarité et de mise à l'écart.
Mais nous voilà tombés dans le piège.
Car plus nous refuserons de voir la réalité en face, moins nous serons efficaces sur les racines de la délinquance, et plus nous serons agressés....
Certains appellent cela l'arroseur arrosé. Mais même en été cette eau là a un goût plutôt saumâtre.
------
A propos de la problématique spécifique des mineurs pour pouvez (re)lire les articles suivants :
Les enjeux autour de la délinquance des mineurs
La loi sur la récidive des mineurs, un débat en trompe l'oeil
Au revoir les enfants
Le projet de loi sur la récidive des mineurs : un projet déraisonnable
Justice des mineurs, de la prison aux voiles écarlates
Le jeune, ennemi de l'intérieur
Les peines prononcées sont évidemment justifiées. Les juridictions pénales, et notamment les cours d'assises, doivent chaque fois que cela est nécessaire rappeler à travers les condamnations prononcées que rien ne justifiera jamais les actes les plus odieux, et que la sanction doit être à la hauteur des dégâts occasionnés par le crime.
Le seul problème, c'est que les sanctions n'ont jusqu'à présent jamais été un obstacle efficace à la multiplication des actes criminels, y compris quand la peine de mort existait. Si tel était le cas, il y a bien longtemps qu'il n'y aurait plus un seul délinquant sur terre. Alors, sauf à vouloir enfermer pour toujours la moitié de la planète, il faudra bien s'interroger un jour, sérieusement, sur l'existence de moyens permettant de réduire les flots de violence dont nous sommes régulièrement victimes.
C'est en cela que l'article précité vient percuter de plein fouet notre torpeur estivale. L'auteur nous y explique, en quelques lignes, qu'il n'est pas du tout impossible de remonter le temps et de repérer le point de départ d'une déshumanisation ayant conduit à de la sauvagerie.
Pour les professionnels cela n'a rien de nouveau (1). Nous savons tous (ou presque) grâce aux rapports des travailleurs sociaux, sociologues, psychologues, psychiatres.. que rien n'arrive complètement par hasard. Sans doute y a-t-il dans le parcours de chacun d'entre nous quelques mystères indéchiffrables. Mais pour l'essentiel les spécialistes savent parfaitement repérer à quel endroit, à quel moment, et de quelle façon se produisent les fêlures, qui deviennent cassures, et qui font qu'à un moment donné des individus qui n'étaient évidemment pas programmés pour cela à leur naissance se sont écartés de la route et sont tombés dans le fossé.
Il est souvent question de ghetto, de discrimination sociale et raciale, de précarité économique, d'échec dans les apprentissages, d'exclusion scolaire, de déconsidération individuelle ou collective, et bien d'autres choses encore.
Bien sûr il nous faut continuer à sanctionner aussi sévèrement que nécessaire tous les actes insupportables. Bien sûr. Mais en agissant uniquement ainsi, l'impact sur ce qui déclenche les parcours délinquants est plus que faible. On écope. Mais on arrête pas le flot et la barque continue à se charger d'eau.
Comme je l'ai déjà écrit de nombreuses fois (et comme j'y reviendrai sans doute encore tant le risque de malentendu est grand), comprendre n'a jamais voulu dire excuser. Mais comprendre est le seul moyen d'agir avant que soit commis l'irrémédiable.
Toutefois l'obstacle à franchir est élevé. Car si l'on raisonne comme le fait Mme Costa Lascoux dans son article, il va bien falloir accepter de nous interroger, un jour ou l'autre, sur notre responsabilité collective en ce qui concerne le mode de vie de certains d'entre nous. Et quelque part au plus profond de nous une petite voix, que nous voudrions par dessus tout faire taire, nous dit que nous pourrions ne pas sortir indemne d'une telle démarche.
Alors jour après jour nous cherchons de toutes les façons possibles comment éviter de regarder cette vérité d'une terrible laideur : ce qui, indirectement, est à l'origine de dérapages humains, c'est notamment notre indifférence, notre égoïsme forcené, notre rejet de l'autre, notre refus d'écouter, de comprendre, finalement notre volonté farouche de ne jamais rechercher ce qui pourrait nous remettre en cause en terme d'absence de solidarité et de mise à l'écart.
Mais nous voilà tombés dans le piège.
Car plus nous refuserons de voir la réalité en face, moins nous serons efficaces sur les racines de la délinquance, et plus nous serons agressés....
Certains appellent cela l'arroseur arrosé. Mais même en été cette eau là a un goût plutôt saumâtre.
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A propos de la problématique spécifique des mineurs pour pouvez (re)lire les articles suivants :
Les enjeux autour de la délinquance des mineurs
La loi sur la récidive des mineurs, un débat en trompe l'oeil
Au revoir les enfants
Le projet de loi sur la récidive des mineurs : un projet déraisonnable
Justice des mineurs, de la prison aux voiles écarlates
Le jeune, ennemi de l'intérieur