L'illusion des mots (quelques remarques après la modification du gouvernement)
Par Michel Huyette
La publication du décret emportant composition du nouveau gouvernement a retenu mon attention sur deux points, qui ont été peu commentés par les observateurs, mais qui pourtant me semblent caractéristiques de la façon dont les mots sont de nos jours utilisés, uniquement pour l'apparence, et dès lors perdent leur sens et leur efficacité.
Deux particularités donc : la suppression du secrétariat d'Etat au droit de l'homme, et le ministère de la justice qui devient le ministère de la justice et des libertés.
Arrêtons nous d'abord sur le premier point. Dans un premier temps, on se demande ce que signifie la suppression d'un secrétariat d'Etat dédié aux droits de l'homme. Les droits de l'hommes sont-ils dorénavant suffisamment respectés pour que le gouvernement n'ait plus à s'en préoccuper ? Si tel n'est pas le cas, faut-il comprendre que la protection des droits de l'homme n'est plus une priorité ? En l'absence d'explication personne ne sait.
Mais d'un autre côté, le rattachement d'un secrétariat aux droits de l'homme au ministère des affaires étrangères était troublant. Fallait-il comprendre qu'il s'agissait d'être vigilant uniquement envers les autres pays, un contrôle du respect des droits de l'homme n'étant pas utile en France ? Pourtant la cour européenne des droits de l'hommes sanctionne régulièrement la France pour non respect des droits fondamentaux des citoyens français. Le contrôleur des lieux de rétention produit les uns après les autres des avis très critiques. Et puis il y a les rapports de la commission nationale de déontologie de la sécurité, parfois très sévères sur les violations par des policiers des droits des citoyens inquiétés.
En tous cas, le constat objectif est que dorénavant les atteintes régulièrement repérées et décrites aux droits fondamentaux des français ne méritent plus un secrétariat d'Etat aux droits de l'homme. Les mots ont été rayés du vocabulaire gouvernemental.
On se consolera en se disant que finalement il est bien plus utile que les violations des droits de l'homme soient détectées et dénoncées par des organismes plutôt indépendants que par un organisme d'Etat, Etat dont les propres services sont parfois auteur des violations du droit et qui, au-delà, laisse délibérément perdurer des situations qu'il sait inacceptables.
Venons en maintenant à la modification de la dénomination du ministère de la justice qui devient aussi le ministère des libertés. L'expression laisse perplexe. De quelles libertés s'agit-il ?
Personne ne sait. En tous cas pas celles, inexistantes, des 4 à 8 millions de français pauvres recensés par l'observatoire des inégalités et dont la santé, première atteinte, ne peut même plus être préservée.
Faut-il voir un lien entre la suppression du secrétariat aux droits de l'homme et l'ajout du mot "libertés" à la dénomination du ministère de la justice ? Plus précisément, le but est-il de remplacer un moins par un plus, pour faire croire que l'équilibre est conservé et que ce qui tourne autour des droits fondamentaux est toujours une priorité au plus haut niveau de l'Etat ?
En tous cas il nous faudra dans les mois qui viennent observer attentivement la nouvelle ministre de la justice, afin d'être témoin de ses prochaines dénonciations des atteintes aux libertés fondamentales des français, même quand ces atteintes seront le fait de services de l'Etat ou des gouvernants eux-mêmes.
Pour finir, cette manipulation des mots nous conduit à analyser avec la même perplexité les propos du chef de l'Etat devant le congrès à Versailles, quand, reprenant l'intitulé d'un ancien rapport parlementaire, il a de nouveau proclamé que la situation des prisons françaises est une honte pour la République.
Il a été applaudi par des parlementaires qui, en accord avec les gouvernements sucessifs, dont il a fait partie, ont les uns après les autres refusé de consacrer aux prisons le budget nécessaire et qui, tout en connaissant leur état de surpopulation et la "honte" qui en découle, on voté une succession de lois (notamment sur les peines plancher) en sachant que du fait de l'augmentation de leur nombre les conditions de vie de certains détenus allaient être encore plus insupportables pour encore plus longtemps.
Peut-être aurait-il été préférable et plus cohérent de faire en sorte, au cours des dix dernières années, que les parlementaires ne puissent plus écrire ce qu'ils soulignaient dans l'introduction de leur rapport de l'année 2000 :
"Des droits de l'homme bafoués: du fait de la surpopulation, mais aussi d'une conception exagérément sécuritaire, et d'une religion de l'aveu, les atteintes aux droits de l'homme sont les plus criantes dans les maisons d'arrêt. Mis en condition par la garde à vue, le présumé innocent est en fait présumé coupable : les formalités de l'écrou, de la fouille à corps, de la remise du paquetage, de l'incarcération au quartier des entrants, de l'affectation dans une cellule le plus souvent collective, des extractions avec menottes et entraves constituent autant d'étapes qui le dépouillent un peu plus de sa dignité".
Les mots ont un avantage immense. Quoi que l'on fasse, que l'on agisse ou que l'on ignore délibérément une problématique, que la réalité soit blanche ou noire, ils permettent de tout transformer, de faire croire à l'inexistant, de donner un coup de pinceau à une façade délabrée pour faire croire qu'elle est en parfait état.
Je promets, je ne fais pas, mais peu importe puisque je vous dis, à travers mes mots, que la réalité est autre.
Parler pour tromper. C'est l'illusion des mots.
C'est aussi, dorénavant, la politique au quotidien.
La publication du décret emportant composition du nouveau gouvernement a retenu mon attention sur deux points, qui ont été peu commentés par les observateurs, mais qui pourtant me semblent caractéristiques de la façon dont les mots sont de nos jours utilisés, uniquement pour l'apparence, et dès lors perdent leur sens et leur efficacité.
Deux particularités donc : la suppression du secrétariat d'Etat au droit de l'homme, et le ministère de la justice qui devient le ministère de la justice et des libertés.
Arrêtons nous d'abord sur le premier point. Dans un premier temps, on se demande ce que signifie la suppression d'un secrétariat d'Etat dédié aux droits de l'homme. Les droits de l'hommes sont-ils dorénavant suffisamment respectés pour que le gouvernement n'ait plus à s'en préoccuper ? Si tel n'est pas le cas, faut-il comprendre que la protection des droits de l'homme n'est plus une priorité ? En l'absence d'explication personne ne sait.
Mais d'un autre côté, le rattachement d'un secrétariat aux droits de l'homme au ministère des affaires étrangères était troublant. Fallait-il comprendre qu'il s'agissait d'être vigilant uniquement envers les autres pays, un contrôle du respect des droits de l'homme n'étant pas utile en France ? Pourtant la cour européenne des droits de l'hommes sanctionne régulièrement la France pour non respect des droits fondamentaux des citoyens français. Le contrôleur des lieux de rétention produit les uns après les autres des avis très critiques. Et puis il y a les rapports de la commission nationale de déontologie de la sécurité, parfois très sévères sur les violations par des policiers des droits des citoyens inquiétés.
En tous cas, le constat objectif est que dorénavant les atteintes régulièrement repérées et décrites aux droits fondamentaux des français ne méritent plus un secrétariat d'Etat aux droits de l'homme. Les mots ont été rayés du vocabulaire gouvernemental.
On se consolera en se disant que finalement il est bien plus utile que les violations des droits de l'homme soient détectées et dénoncées par des organismes plutôt indépendants que par un organisme d'Etat, Etat dont les propres services sont parfois auteur des violations du droit et qui, au-delà, laisse délibérément perdurer des situations qu'il sait inacceptables.
Venons en maintenant à la modification de la dénomination du ministère de la justice qui devient aussi le ministère des libertés. L'expression laisse perplexe. De quelles libertés s'agit-il ?
Personne ne sait. En tous cas pas celles, inexistantes, des 4 à 8 millions de français pauvres recensés par l'observatoire des inégalités et dont la santé, première atteinte, ne peut même plus être préservée.
Faut-il voir un lien entre la suppression du secrétariat aux droits de l'homme et l'ajout du mot "libertés" à la dénomination du ministère de la justice ? Plus précisément, le but est-il de remplacer un moins par un plus, pour faire croire que l'équilibre est conservé et que ce qui tourne autour des droits fondamentaux est toujours une priorité au plus haut niveau de l'Etat ?
En tous cas il nous faudra dans les mois qui viennent observer attentivement la nouvelle ministre de la justice, afin d'être témoin de ses prochaines dénonciations des atteintes aux libertés fondamentales des français, même quand ces atteintes seront le fait de services de l'Etat ou des gouvernants eux-mêmes.
Pour finir, cette manipulation des mots nous conduit à analyser avec la même perplexité les propos du chef de l'Etat devant le congrès à Versailles, quand, reprenant l'intitulé d'un ancien rapport parlementaire, il a de nouveau proclamé que la situation des prisons françaises est une honte pour la République.
Il a été applaudi par des parlementaires qui, en accord avec les gouvernements sucessifs, dont il a fait partie, ont les uns après les autres refusé de consacrer aux prisons le budget nécessaire et qui, tout en connaissant leur état de surpopulation et la "honte" qui en découle, on voté une succession de lois (notamment sur les peines plancher) en sachant que du fait de l'augmentation de leur nombre les conditions de vie de certains détenus allaient être encore plus insupportables pour encore plus longtemps.
Peut-être aurait-il été préférable et plus cohérent de faire en sorte, au cours des dix dernières années, que les parlementaires ne puissent plus écrire ce qu'ils soulignaient dans l'introduction de leur rapport de l'année 2000 :
"Des droits de l'homme bafoués: du fait de la surpopulation, mais aussi d'une conception exagérément sécuritaire, et d'une religion de l'aveu, les atteintes aux droits de l'homme sont les plus criantes dans les maisons d'arrêt. Mis en condition par la garde à vue, le présumé innocent est en fait présumé coupable : les formalités de l'écrou, de la fouille à corps, de la remise du paquetage, de l'incarcération au quartier des entrants, de l'affectation dans une cellule le plus souvent collective, des extractions avec menottes et entraves constituent autant d'étapes qui le dépouillent un peu plus de sa dignité".
Les mots ont un avantage immense. Quoi que l'on fasse, que l'on agisse ou que l'on ignore délibérément une problématique, que la réalité soit blanche ou noire, ils permettent de tout transformer, de faire croire à l'inexistant, de donner un coup de pinceau à une façade délabrée pour faire croire qu'elle est en parfait état.
Je promets, je ne fais pas, mais peu importe puisque je vous dis, à travers mes mots, que la réalité est autre.
Parler pour tromper. C'est l'illusion des mots.
C'est aussi, dorénavant, la politique au quotidien.