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Publié par Parolesdejuges

Par Michel Huyette


  Une dépêche de l'AFP nous apprenait voici quelques jours qu'un enseignant, poursuivi pour des faits de viol, condamné  à dix ans de prison par une cour d'assises de première instance, puis acquitté par une cour d'assises d'appel, a obtenu non seulement une indemnité afin de compenser le dommages résultant de sa période d'emprisonnement mais des dommages-intérêts complémentaire pour "déni de justice".

  Selon la dépêche, cet homme a fait valoir que pendant le premier procès certaines audiences s'étaient poursuivies jusque 1 h 30 le matin, en plus que le verdict avait été rendu à 5 h 30.

  Le tribunal de Paris a considéré, selon l'AFP, que la durée excessive des audiences "n"a pas permis au conseil de Mr ... d'assurer sa défense dans les conditions requises pour que se déroule un procès équitable". Autrement dit, il est intolérable de demander à l'avocat d'un accusé de plaider à 2 h du matin.

  La cour européenne des droits de l'homme a déjà, en 2004, condamné la France dans une situation semblable. Dans une autre affaire d'assises, les avocats avaient plaidé vers 5 h du matin et le verdict avait été rendu vers 8 h, après une journée entière et une nuit de débats.

  La cour européenne, dans son arrêt du 19 octobre 2004, a indiqué avec plein de bon sens que "elle a déjà estimé qu'un état de fatigue avait dû placer des accusés dans un état de moindre résistance physique et morale au moment où  ils abordèrent une audience très importante pour eux, vu la gravité des infractions qu'on leur reprochait et des peines qu'ils encouraient", qu"ils "avaient besoin de tous leurs moyens pour se défendre, et notamment pour affronter leur interrogatoire dès l'ouverture de l'audience et pour se concerter efficacement avec leurs avocats".

  Elle a ensuite souligné que "il est primordial que, non seulement les accusés, mais également leurs défenseurs, puissent suivre les débats, répondre aux questions et plaider en n'étant pas dans un état de fatigue excessif. De même, il est crucial que les juges et jurés bénéficient de leurs pleines capacités de concentration et d'attention pour suivre les débats et pouvoir rendre un jugement éclairé".

  Et elle a conclu être "d'avis que les conditions décrites ci-dessus (..) ne peuvent répondre aux exigences d'un procès équitable et notamment de respect des droits de la défense et d'égalité des armes. Partant, il y a eu violation du paragraphe 3 de l'article 6 de la Convention, combiné avec le paragraphe 1."

  Tout cela peut paraître d'une totale banalité, tant il est évident qu'il est impossible de participer en pleine possession de ses moyens à des débats commencés à 9 h un matin et qui se continuent jusqu'au matin du lendemain. Et il est tout aussi évident que des jurés, et des magistrats professionnels, qui pourtant à ce moment là ont besoin d'une totale lucidité, ne peuvent pas délibérer dans de bonnes conditions à 6 heures du matin après une nuit sans sommeil.

  Sans parler de l'image désastreuse de ces gens fatigués, lassés, qui ne peuvent plus écouter suffisamment, qui somnolent, qui regardent leur montre. Qui voudraient être ailleurs.

  Ce qui étonne, c'est que de telle situations se produisent.

  Au moment d'audiencer un dossier, le président de la cour d'assises sait quelle en est l'ampleur. Il sait combien il y a d'accusés, de parties civiles. Dans son réquisitoire définitif (le résumé de l'affaire qu'il rédige quand le juge d'instruction a terminé ses investigations),  le procureur indique les personnes qu'il estime utile de convoquer (témoins, experts..).

  Les avocats peuvent aussi demander la convocation de témoins. Et même si certains le font au dernier moment pour des raisons qui restent à expliquer, le président de la cour d'assises qui a déjà organisé son planning (par exemple réservé deux jours pour l'affaire) peut soit rajouter une journée quand cela est encore possible, soit décider de prolonger les débats le samedi si l'affaire est examinée en deuxième partie de semaine, soit, si la session est déjà complète et qu'il ne dispose plus d'aucune marge de manoeuvre, renvoyer l'examen du dossier à une autre session. en prévoyant une plus longue durée pour ce dossier.

  Quelques semaines de retard valent toujours mieux que des participants épuisés... et une sanction ultérieure par une juridiction européenne ou française.

  Mais encore faudrait-il disposer d'un nombre suffisant de sessions d'assises (la cour d'assises n'est pas une juridiction permanente), et, forcément, de suffisamment de magistrats et de greffiers pour les tenir. Or aujourd'hui tel n'est pas le cas, et bien des présidents d'assises en sont réduits à tenter de faire tenir des dossiers en une seule journée, ou deux, pour économiser un maximum de temps. Alors, quand c'est trop juste, il faut mordre sur la soirée, puis sur la nuit.

  Il est toutefois malheureusement probable que de telle situations, insupportables, vont encore se rencontrer. Les moyens actuels de la justice ne lui permettent toujours  pas de consacrer à toutes les affaires le temps qu'elles exigent. Alors on entasse, on audience au maximum, tout en sachant combien cela est peu satisfaisant et heurte nos principes fondamentaux.

  Cela se faisait avant la décision de 2004 de la cour européenne des droits de l'homme. Cela se fait toujours aujourd'hui. Et cela se fera encore demain.

  Car en face d'une préoccupation essentiellement gestionnaire en terme de flux et de nombre de dossiers traités, en l'état d'un refus de donner à la justice les moyens de traiter chaque dossier avec une qualité maximale, l'avis de la juridiction strasbourgeoise ne fait pas le poids, et la décision du tribunal de Paris sera bien vite oubliée.



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