Je te vois arrêter un enfant de 6 ans
Par Michel Huyette
A deux reprises ces dernier jours, le même phénomène vient de se produire. C'est pourquoi il semble intéressant de rapprocher les deux évènements pour mieux faire apparaître ce qui semble être l'élément déclencheur commun.
D'abord, un professeur de philosophie a été renvoyé devant un tribunal de police (juridiction qui juge les contraventions) pour une infraction qui pourrait être celle prévue par l'article R 623-2 du code pénal, rédigé ainsi : "Les bruits ou tapages injurieux ou nocturnes troublant la tranquillité d'autrui sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 3e classe"
D'après les medias, cet homme, qui se déplaçait à l'intérieur de la gare Saint Charles à Marseille, voyant se dérouler un contrôle d'identité, aurait pointé son doigt vers les policiers et dit "Sarkozy je te vois, Sarkozy je te vois"(Le Monde du 20 mai 2009).
Le juge à qui le litige a été soumis va répondre à des questions essentielles. Puisque l'infraction n'est pas nocturne, il va devoir dire d'une part si les mots prononcés sont injurieux, d'autre part si le fait de prononcer ces phrases a constitué un "bruit" ou un "tapage", enfin si tel est le cas si la tranquillité des personnes se trouvant également dans la gare en a été troublée. Comme l'ont immédiatement et fort justement souligné les commentateurs, il n'est pas aisé d'admettre que prononcer quelques mots dans une gare ferroviaire à une heure d'affluence peut constituer un bruit et troubler une "tranquillité" qui n'est pas forcément la caractéristique du lieu.
Le magistrat saisi appréciera et dira ce qu'il faut en penser d'un point de vue juridique.
Quelques jours plus tard, les medias nous ont appris qu'une demi-douzaine de policiers se sont rendus à la sortie d'une école pour arrêter un enfant de 6 ans et un autre légèrement plus âgé. Tous deux ont été conduits au commissariat et interrogés pendant deux heures. Notons en passant que, comme le Figaro du 21 mai nous l'a fait savoir par la suite, ces deux enfants ne semblent pas être les auteurs du vol de vélo pour lequel ils ont été dénoncés peut-être précipitamment.
A 6 ans, les élèves sont habituellement en CP, c'est à dire en première année d'école... primaire !
Cette fois-ci encore de nombreuses voix de sont élevées pour critiquer une intervention de police qualifiée d'incompréhensible et de choquante.
Mais ce ne sont pas ces deux évènements en eux-mêmes qui m'intéressent et sont à l'origine de cet article. Non. C'est la réaction du gouvernement et des élus de la majorité.
Par deux fois, et dans des termes identiques, le gouvernement a proclamé qu'il s'agissait d'un excès de zèle local, puis dans un deuxième temps a fait connaître sa désapprobation. Des enquêtes administratives ont même été ordonnées, pour "comprendre" selon l'expression utilisée.
Cela appelle au moins deux commentaires.
Le premier c'est qu'il n'y a pas besoin d'une quelconque enquête pour "comprendre" ce qui s'est passé. Rappelons nous tout simplement.
Depuis quelques années, le discours politique se résume en un seul slogan : Toujours plus de poursuites, toujours plus de sanctions contre les mineurs délinquants... et tous les autres.
Partant de la "tolérance zéro" c'est à dire la poursuite de toutes les infractions sans aucune exception, on est passé à l'aggravation des sanctions applicables aux mineurs par le biais de la suppression plus fréquente de l'excuse de minorité (loi sur les peines-plancher), en passant pas la volonté, maintes fois répétée par les élus de la majorité, de mettre en place des mécanismes de contrôle pour déceler ce qui chez les très petits enfants les destine à être de graves délinquants à l'adolescence, pour arriver à une commission qui a proposé récemment de permettre l'emprisonnement avant procès des enfants de 12 ans, proposition aussitôt applaudie par la ministre de la justice.
Et il y a eu le projet de fichier Edvige, avec la volonté de ficher les mineurs même s'ils n'ont jamais commis la moindre infraction, au seul motif qu'ils "sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public".
En plus, la pression sur la police et la justice n'a jamais été aussi grande en termes de chiffres. Les deux ministères auscultent jour après jour les statistiques, en veillant à ce qu'il y ait toujours plus d'arrestations, plus de gardes à vue, plus de poursuites, plus de sanctions, et toujours plus vite. Les récompenses des professionnels sont conditionnées par le volume de l'activité. Rien d'autre. Il y a bien longtemps maintenant que la notion de qualité a disparu de notre vocabulaire.
Et gare aux procureurs qui n'obtiennent pas suffisamment de résultats, ils risquent à tout moment d'être convoqués au Ministère de la justice, comme cela s'est vu à propos des peines-plancher.
D'autre part, un certain nombre de fonctionnaires savent qu'ils sont sur un siège éjectable et que le mécanisme est vite actionné dès qu'un acte, ou une absence d'acte, déplaît au plus haut niveau de l'Etat, même si par ailleurs ils sont très compétents. On se souvient encore de ce préfet déplacé d'autorité parce qu'il n'avait pas pensé à placer la résidence secondaire d'un ami du président sous surveillance permanente, et que quelques importuns étaient entrés dans le jardin.
Alors quand c'est le nom du président lui-même qui est prononcé.....
Les deux initiatives précitées vont donc parfaitement dans le sens de ce qui est exigé ou au moins attendu au plus haut niveau de l'Etat. Le procureur qui a poursuivi le prof de philosophie sur une qualification pénale incertaine, le directeur de la police qui a envoyé ses troupes arrêter un enfant de CP dont il n'était même pas certain qu'ils soit un voleur, n'ont fait que suivre au plus près les consignes explicites des gouvernants actuels.
Il n'y a donc pas eu d'excès de zèle comme cela a été soutenu.
Cela conduit au second commentaire, qui sera plus bref car il s'agit de redites.
La notion d'excès de zèle emporte transfert de responsabilité. Puisqu'il y a eu "excès", cela signifie que le donneur d'ordre (le gouvernement) n'est pas à l'origine des deux évènements, qui relèvent d'initiatives purement locales (les excès du procureur et du directeur de la police). Ainsi, grâce à ce détournement de l'attention du public, il est possible d'éluder tout débat sur le lien éventuel entre la politique menée au niveau national d'une part et les pratiques des autorités locales d'autre part, en renvoyant la critique vers ceux qui, en région, ont trop voulu coller aux directives venues d'en haut.
C'est, une fois de plus, la stratégie du "c'est pas moi c'est les autres".
Tout cela ne va pas faciliter le quotidien de ces fonctionnaires locaux qui ont tort s'ils ne suivent pas assez les consignes du gouvernement, et tout aussi tort s'ils les suivent de trop près.
A deux reprises ces dernier jours, le même phénomène vient de se produire. C'est pourquoi il semble intéressant de rapprocher les deux évènements pour mieux faire apparaître ce qui semble être l'élément déclencheur commun.
D'abord, un professeur de philosophie a été renvoyé devant un tribunal de police (juridiction qui juge les contraventions) pour une infraction qui pourrait être celle prévue par l'article R 623-2 du code pénal, rédigé ainsi : "Les bruits ou tapages injurieux ou nocturnes troublant la tranquillité d'autrui sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 3e classe"
D'après les medias, cet homme, qui se déplaçait à l'intérieur de la gare Saint Charles à Marseille, voyant se dérouler un contrôle d'identité, aurait pointé son doigt vers les policiers et dit "Sarkozy je te vois, Sarkozy je te vois"(Le Monde du 20 mai 2009).
Le juge à qui le litige a été soumis va répondre à des questions essentielles. Puisque l'infraction n'est pas nocturne, il va devoir dire d'une part si les mots prononcés sont injurieux, d'autre part si le fait de prononcer ces phrases a constitué un "bruit" ou un "tapage", enfin si tel est le cas si la tranquillité des personnes se trouvant également dans la gare en a été troublée. Comme l'ont immédiatement et fort justement souligné les commentateurs, il n'est pas aisé d'admettre que prononcer quelques mots dans une gare ferroviaire à une heure d'affluence peut constituer un bruit et troubler une "tranquillité" qui n'est pas forcément la caractéristique du lieu.
Le magistrat saisi appréciera et dira ce qu'il faut en penser d'un point de vue juridique.
Quelques jours plus tard, les medias nous ont appris qu'une demi-douzaine de policiers se sont rendus à la sortie d'une école pour arrêter un enfant de 6 ans et un autre légèrement plus âgé. Tous deux ont été conduits au commissariat et interrogés pendant deux heures. Notons en passant que, comme le Figaro du 21 mai nous l'a fait savoir par la suite, ces deux enfants ne semblent pas être les auteurs du vol de vélo pour lequel ils ont été dénoncés peut-être précipitamment.
A 6 ans, les élèves sont habituellement en CP, c'est à dire en première année d'école... primaire !
Cette fois-ci encore de nombreuses voix de sont élevées pour critiquer une intervention de police qualifiée d'incompréhensible et de choquante.
Mais ce ne sont pas ces deux évènements en eux-mêmes qui m'intéressent et sont à l'origine de cet article. Non. C'est la réaction du gouvernement et des élus de la majorité.
Par deux fois, et dans des termes identiques, le gouvernement a proclamé qu'il s'agissait d'un excès de zèle local, puis dans un deuxième temps a fait connaître sa désapprobation. Des enquêtes administratives ont même été ordonnées, pour "comprendre" selon l'expression utilisée.
Cela appelle au moins deux commentaires.
Le premier c'est qu'il n'y a pas besoin d'une quelconque enquête pour "comprendre" ce qui s'est passé. Rappelons nous tout simplement.
Depuis quelques années, le discours politique se résume en un seul slogan : Toujours plus de poursuites, toujours plus de sanctions contre les mineurs délinquants... et tous les autres.
Partant de la "tolérance zéro" c'est à dire la poursuite de toutes les infractions sans aucune exception, on est passé à l'aggravation des sanctions applicables aux mineurs par le biais de la suppression plus fréquente de l'excuse de minorité (loi sur les peines-plancher), en passant pas la volonté, maintes fois répétée par les élus de la majorité, de mettre en place des mécanismes de contrôle pour déceler ce qui chez les très petits enfants les destine à être de graves délinquants à l'adolescence, pour arriver à une commission qui a proposé récemment de permettre l'emprisonnement avant procès des enfants de 12 ans, proposition aussitôt applaudie par la ministre de la justice.
Et il y a eu le projet de fichier Edvige, avec la volonté de ficher les mineurs même s'ils n'ont jamais commis la moindre infraction, au seul motif qu'ils "sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public".
En plus, la pression sur la police et la justice n'a jamais été aussi grande en termes de chiffres. Les deux ministères auscultent jour après jour les statistiques, en veillant à ce qu'il y ait toujours plus d'arrestations, plus de gardes à vue, plus de poursuites, plus de sanctions, et toujours plus vite. Les récompenses des professionnels sont conditionnées par le volume de l'activité. Rien d'autre. Il y a bien longtemps maintenant que la notion de qualité a disparu de notre vocabulaire.
Et gare aux procureurs qui n'obtiennent pas suffisamment de résultats, ils risquent à tout moment d'être convoqués au Ministère de la justice, comme cela s'est vu à propos des peines-plancher.
D'autre part, un certain nombre de fonctionnaires savent qu'ils sont sur un siège éjectable et que le mécanisme est vite actionné dès qu'un acte, ou une absence d'acte, déplaît au plus haut niveau de l'Etat, même si par ailleurs ils sont très compétents. On se souvient encore de ce préfet déplacé d'autorité parce qu'il n'avait pas pensé à placer la résidence secondaire d'un ami du président sous surveillance permanente, et que quelques importuns étaient entrés dans le jardin.
Alors quand c'est le nom du président lui-même qui est prononcé.....
Les deux initiatives précitées vont donc parfaitement dans le sens de ce qui est exigé ou au moins attendu au plus haut niveau de l'Etat. Le procureur qui a poursuivi le prof de philosophie sur une qualification pénale incertaine, le directeur de la police qui a envoyé ses troupes arrêter un enfant de CP dont il n'était même pas certain qu'ils soit un voleur, n'ont fait que suivre au plus près les consignes explicites des gouvernants actuels.
Il n'y a donc pas eu d'excès de zèle comme cela a été soutenu.
Cela conduit au second commentaire, qui sera plus bref car il s'agit de redites.
La notion d'excès de zèle emporte transfert de responsabilité. Puisqu'il y a eu "excès", cela signifie que le donneur d'ordre (le gouvernement) n'est pas à l'origine des deux évènements, qui relèvent d'initiatives purement locales (les excès du procureur et du directeur de la police). Ainsi, grâce à ce détournement de l'attention du public, il est possible d'éluder tout débat sur le lien éventuel entre la politique menée au niveau national d'une part et les pratiques des autorités locales d'autre part, en renvoyant la critique vers ceux qui, en région, ont trop voulu coller aux directives venues d'en haut.
C'est, une fois de plus, la stratégie du "c'est pas moi c'est les autres".
Tout cela ne va pas faciliter le quotidien de ces fonctionnaires locaux qui ont tort s'ils ne suivent pas assez les consignes du gouvernement, et tout aussi tort s'ils les suivent de trop près.