Le "plaider-coupable" devant la cour d'assises. Premières remarques.
Par Michel Huyette
Une indiscrétion en provenance de la commission présidée par Monsieur Léger, chargée de faire des propositions de réforme de la procédure pénale et qui devrait rendre prochainement son rapport, nous apprend qu'il serait envisagé une sorte de "plaider-coupable" en matière criminelle.
Un tel mécanisme existe aujourd'hui pour certains délits commis par les majeurs, quand est encourue une peine d'amende ou une peine d'emprisonnement de 5 années au plus. C'est ce que le code de procédure pénale appelle la "la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité" (art. 495-7 et suivants du code de procédure pénale). Lorsque le procureur envisage une peine d'emprisonnement et la propose à la personne poursuivie, en présence de son avocat, cette peine "ne peut être supérieure à un an ni excéder la moitié de la peine d'emprisonnement encourue". Si l'auteur de l'infraction qui l'a reconnue accepte la peine proposée, elle doit encore être homologuée par le président du tribunal. Sinon l'individu est renvoyé devant le tribunal correctionnel.
Le but du législateur en mars 2004, lors de la création de cette procédure, était clairement de diminuer le nombre des affaires examinées par les tribunaux correctionnels, avec l'idée que lorsque sont commises des infractions simples, reconnues par leur auteur, et qu'il n'y a pas de victime ayant subi un préjudice important, il n'est pas véritablement indispensable d'organiser un procès public.
Mais devant la cour d'assises la problématique est toute autre. Un tel mécanisme (sur lequel il faudra revenir ultérieurement si la commission en retient l'idée et en suggère les modalités) semble a priori peu adapté aux affaires criminelles, et présenter des risques importants, cela pour plusieurs raisons.
- La reconnaissance de culpabilité ne doit avoir aucun effet sur la qualité de l'enquête policière ni sur la phase d'instruction du dossier. Il ne faut pas oublier qu'un accusé disposera toujours d'un droit fondamental, celui de changer de position à tout moment de la procédure. Il serait dès lors aberrant, si une personne soupçonnée d'avoir commis un crime reconnaît en être l'auteur en début de procédure, de réduire pour cette raison l'ampleur des investigations (qui prennent du temps et qui ont un coût). Car si par la suite l'accusé revient sur sa reconnaissance et décide de plaider son innocence, il sera alors indispensable d'avoir un dossier contenant des investigations approfondies permettant d'apprécier s'il est ou non l'auteur de ce crime. Comme s'il avait contesté dès le début. Si tel n'était pas le cas, si les investigations étaient réduites, il serait alors facile pour l'accusé de contester sa culpabilité seulement au moment du procès, une fois l'enquête terminée, et de plaider "Vous devez m'acquitter, vous voyez bien qu'il n'y a pas grand chose dans mon dossier".
- Si elle est envisagée, la réduction de peine de plein droit en cas de reconnaissance de culpabilité doit avoir un sens, une raison d'être compréhensible et acceptable par tous.
Il est souvent avancé que la reconnaissance de culpabilité est un premier pas vers la réinsertion. Sans doute. Mais pas toujours loin s'en faut.
En matière criminelle, les peines encourues sont par définition lourdes. Il est dès lors certains que des accusés, sans la moindre sincérité, et sans la moindre volonté de reconnaissance du mal qu'ils ont fait, choisiront d'admettre leur culpabilité uniquement pour que soit réduit le maximum de la peine encourue. Il s'agira alors de reconnaissances de culpabilité "tactiques".
Mais alors, comment justifier cette diminution de la peine encourue si elle ne correspond à aucune démarche de compassion vis à vis des victimes et n'est en rien un début de réinsertion ? On peut comprendre la prise en compte de sincères regrets d'un accusé pour moduler la sanction. Mais rien ne justifie de réduire cette sanction quand a été énoncée une reconnaissance de culpabilité de façade qui, dans certains cas, dissimulera mal un mépris persistant à l'égard des victimes ou de leur famille.
- L'appréciation de la dangerosité d'un criminel est l'une des composantes du choix de la sanction. Malheureusement, dans certaines hypothèses, il semble indispensable de protéger la société en emprisonnant durant une très longue période un individu qui, sans être malade mental, présente une dangerosité très élevée.
Dès lors, on doit se demander s'il est opportun d'accorder à un accusé dangereux le bénéfice d'une remise de peine au seul motif qu'il aura reconnu sa culpabilité.
En plus, la dangerosité n'apparaît pas uniquement à l'occasion de la commission d'un crime très grave. Par exemple, un individu pourra apparaître dangereux parce qu'il aura commis à plusieurs reprises (en récidive) un crime "ordinaire", par exemple un meurtre sans circonstance aggravante.
Prévoir comme cela semble envisagé une liste limitative de crimes, considérés comme les plus odieux, excluant l'application du mécanisme de réduction de peine après reconnaissance de culpabilité, risque de faire obstacle à la prise en compte d'une dangerosité apparue à l'occasion d'un crime ne figurant pas dans cette liste.
- Il est exact que la reconnaissance de culpabilité est susceptible de faire gagner du temps à l'audience. Quand l'accusé dit et répète "oui j'ai fait ce qui m'est reproché", on s'épargne de nombreuses heures consacrées à l'examen des éventuels éléments de culpabilité. Et les plaidoiries des avocats sont plus courtes puisqu'ils ne se croient plus obligés, comme (trop) souvent, de se lancer dans de grands discours sur le dossier uniquement à charge et l'erreur judiciaire insoutenable que représenterait la condamnation de leur client (ce qu'ils soutiennent parfois longuement tout en sachant que leur client est coupable...).
Le mécanisme peut donc faire gagner un certain temps.
Mais il n'empêche qu'un procès criminel, ce n'est pas fait essentiellement pour que soit prononcée une peine. Car si le crime est reconnu, il reste indispensable d'en comprendre l'origine, le déroulement, le sens. L'accusé a souvent lui-même besoin d'expliquer ce qu'il a fait, surtout s'il existe des circonstances atténuantes (par exemple une provocation de la victime). Et les victimes, ou leur famille si quelqu'un a été tué, ont tout autant besoin de comprendre d'où provient le drame. C'est en ce sens que le procès criminel est bien autre chose que la seule recherche de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusé.
En plus, même quand un accusé reconnaît les faits, il faut entendre autant de témoins que nécessaire pour en connaître l'histoire. Car il ne faut pas oublier qu'un accusé qui admet avoir commis le crime peut mentir sur les raisons de son acte et la façont dont il a été commis.
Il serait donc inacceptable de considérer par principe que puisque l'accusé reconnaît les faits, le débat ne va plus porter que sur la sanction à lui infliger. L'accusé, les victimes, ont besoin et ont droit à autre chose que cela.
Le gain de temps, s'il est réel, ne sera donc pas toujours très important. En tous cas, du fait des nombreux enjeux d'un procès criminel, la recherche du gain de temps ne peut jamais être un objectif prioritaire.
- Il faut aussi avoir en tête que déjà aujourd'hui de nombreux accusés reconnaissent les faits. Il serait faux de croire que dans les procès d'assises tous les accusés ou en tous cas la grande majorité d'entre eux contestent leur culpabilité. Cela ne correspond pas à la réalité. Et comme je l'ai indiqué plus haut, quand cette reconnaissance est sincère et va de pair avec des gestes vis à vis des victimes, les décisions en tiennent largement compte.
Alors finalement quel peut être l'intérêt de créer pour la cour d'assises une procédure de reconnaissance du culpabilité sachant que le déroulement des procès ne sera pas véritablement bouleversé ? Peut-être principalement d'inciter certains accusés, qui ont commis le crime qui leur est reproché et qui hésitent sur la stratégie à adopter - nier ou reconnaître, dans un coup de poker du tout ou rien - à admettre leur culpabilité en échange de la réduction de la peine encourue.
Mais cette échange donnant-donnant ne fonctionnera pas forcément, car il est moins équilibré qu'il ne le semble.
On constate en effet tous les jours dans les cours d'assises que les peines maximales ne sont pas les plus fréquemment prononcées. Autrement dit quand un accusé dont le crime est puni de 30 ans de prison risque d'être condamné à environ 15/18 ans (par comparaison avec d'autres affaires semblables), savoir que la peine maximale est réduite à 25 ans ne sera pas forcément de nature à le dissuader de tenter d'obtenir un acquittement. Donc de continuer à nier.
Pour toutes ces raisons, la nécessité d'introduire un tel mécanisme dans notre droit pénal reste bien incertaine.
Une indiscrétion en provenance de la commission présidée par Monsieur Léger, chargée de faire des propositions de réforme de la procédure pénale et qui devrait rendre prochainement son rapport, nous apprend qu'il serait envisagé une sorte de "plaider-coupable" en matière criminelle.
Un tel mécanisme existe aujourd'hui pour certains délits commis par les majeurs, quand est encourue une peine d'amende ou une peine d'emprisonnement de 5 années au plus. C'est ce que le code de procédure pénale appelle la "la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité" (art. 495-7 et suivants du code de procédure pénale). Lorsque le procureur envisage une peine d'emprisonnement et la propose à la personne poursuivie, en présence de son avocat, cette peine "ne peut être supérieure à un an ni excéder la moitié de la peine d'emprisonnement encourue". Si l'auteur de l'infraction qui l'a reconnue accepte la peine proposée, elle doit encore être homologuée par le président du tribunal. Sinon l'individu est renvoyé devant le tribunal correctionnel.
Le but du législateur en mars 2004, lors de la création de cette procédure, était clairement de diminuer le nombre des affaires examinées par les tribunaux correctionnels, avec l'idée que lorsque sont commises des infractions simples, reconnues par leur auteur, et qu'il n'y a pas de victime ayant subi un préjudice important, il n'est pas véritablement indispensable d'organiser un procès public.
Mais devant la cour d'assises la problématique est toute autre. Un tel mécanisme (sur lequel il faudra revenir ultérieurement si la commission en retient l'idée et en suggère les modalités) semble a priori peu adapté aux affaires criminelles, et présenter des risques importants, cela pour plusieurs raisons.
- La reconnaissance de culpabilité ne doit avoir aucun effet sur la qualité de l'enquête policière ni sur la phase d'instruction du dossier. Il ne faut pas oublier qu'un accusé disposera toujours d'un droit fondamental, celui de changer de position à tout moment de la procédure. Il serait dès lors aberrant, si une personne soupçonnée d'avoir commis un crime reconnaît en être l'auteur en début de procédure, de réduire pour cette raison l'ampleur des investigations (qui prennent du temps et qui ont un coût). Car si par la suite l'accusé revient sur sa reconnaissance et décide de plaider son innocence, il sera alors indispensable d'avoir un dossier contenant des investigations approfondies permettant d'apprécier s'il est ou non l'auteur de ce crime. Comme s'il avait contesté dès le début. Si tel n'était pas le cas, si les investigations étaient réduites, il serait alors facile pour l'accusé de contester sa culpabilité seulement au moment du procès, une fois l'enquête terminée, et de plaider "Vous devez m'acquitter, vous voyez bien qu'il n'y a pas grand chose dans mon dossier".
- Si elle est envisagée, la réduction de peine de plein droit en cas de reconnaissance de culpabilité doit avoir un sens, une raison d'être compréhensible et acceptable par tous.
Il est souvent avancé que la reconnaissance de culpabilité est un premier pas vers la réinsertion. Sans doute. Mais pas toujours loin s'en faut.
En matière criminelle, les peines encourues sont par définition lourdes. Il est dès lors certains que des accusés, sans la moindre sincérité, et sans la moindre volonté de reconnaissance du mal qu'ils ont fait, choisiront d'admettre leur culpabilité uniquement pour que soit réduit le maximum de la peine encourue. Il s'agira alors de reconnaissances de culpabilité "tactiques".
Mais alors, comment justifier cette diminution de la peine encourue si elle ne correspond à aucune démarche de compassion vis à vis des victimes et n'est en rien un début de réinsertion ? On peut comprendre la prise en compte de sincères regrets d'un accusé pour moduler la sanction. Mais rien ne justifie de réduire cette sanction quand a été énoncée une reconnaissance de culpabilité de façade qui, dans certains cas, dissimulera mal un mépris persistant à l'égard des victimes ou de leur famille.
- L'appréciation de la dangerosité d'un criminel est l'une des composantes du choix de la sanction. Malheureusement, dans certaines hypothèses, il semble indispensable de protéger la société en emprisonnant durant une très longue période un individu qui, sans être malade mental, présente une dangerosité très élevée.
Dès lors, on doit se demander s'il est opportun d'accorder à un accusé dangereux le bénéfice d'une remise de peine au seul motif qu'il aura reconnu sa culpabilité.
En plus, la dangerosité n'apparaît pas uniquement à l'occasion de la commission d'un crime très grave. Par exemple, un individu pourra apparaître dangereux parce qu'il aura commis à plusieurs reprises (en récidive) un crime "ordinaire", par exemple un meurtre sans circonstance aggravante.
Prévoir comme cela semble envisagé une liste limitative de crimes, considérés comme les plus odieux, excluant l'application du mécanisme de réduction de peine après reconnaissance de culpabilité, risque de faire obstacle à la prise en compte d'une dangerosité apparue à l'occasion d'un crime ne figurant pas dans cette liste.
- Il est exact que la reconnaissance de culpabilité est susceptible de faire gagner du temps à l'audience. Quand l'accusé dit et répète "oui j'ai fait ce qui m'est reproché", on s'épargne de nombreuses heures consacrées à l'examen des éventuels éléments de culpabilité. Et les plaidoiries des avocats sont plus courtes puisqu'ils ne se croient plus obligés, comme (trop) souvent, de se lancer dans de grands discours sur le dossier uniquement à charge et l'erreur judiciaire insoutenable que représenterait la condamnation de leur client (ce qu'ils soutiennent parfois longuement tout en sachant que leur client est coupable...).
Le mécanisme peut donc faire gagner un certain temps.
Mais il n'empêche qu'un procès criminel, ce n'est pas fait essentiellement pour que soit prononcée une peine. Car si le crime est reconnu, il reste indispensable d'en comprendre l'origine, le déroulement, le sens. L'accusé a souvent lui-même besoin d'expliquer ce qu'il a fait, surtout s'il existe des circonstances atténuantes (par exemple une provocation de la victime). Et les victimes, ou leur famille si quelqu'un a été tué, ont tout autant besoin de comprendre d'où provient le drame. C'est en ce sens que le procès criminel est bien autre chose que la seule recherche de la culpabilité ou de l'innocence de l'accusé.
En plus, même quand un accusé reconnaît les faits, il faut entendre autant de témoins que nécessaire pour en connaître l'histoire. Car il ne faut pas oublier qu'un accusé qui admet avoir commis le crime peut mentir sur les raisons de son acte et la façont dont il a été commis.
Il serait donc inacceptable de considérer par principe que puisque l'accusé reconnaît les faits, le débat ne va plus porter que sur la sanction à lui infliger. L'accusé, les victimes, ont besoin et ont droit à autre chose que cela.
Le gain de temps, s'il est réel, ne sera donc pas toujours très important. En tous cas, du fait des nombreux enjeux d'un procès criminel, la recherche du gain de temps ne peut jamais être un objectif prioritaire.
- Il faut aussi avoir en tête que déjà aujourd'hui de nombreux accusés reconnaissent les faits. Il serait faux de croire que dans les procès d'assises tous les accusés ou en tous cas la grande majorité d'entre eux contestent leur culpabilité. Cela ne correspond pas à la réalité. Et comme je l'ai indiqué plus haut, quand cette reconnaissance est sincère et va de pair avec des gestes vis à vis des victimes, les décisions en tiennent largement compte.
Alors finalement quel peut être l'intérêt de créer pour la cour d'assises une procédure de reconnaissance du culpabilité sachant que le déroulement des procès ne sera pas véritablement bouleversé ? Peut-être principalement d'inciter certains accusés, qui ont commis le crime qui leur est reproché et qui hésitent sur la stratégie à adopter - nier ou reconnaître, dans un coup de poker du tout ou rien - à admettre leur culpabilité en échange de la réduction de la peine encourue.
Mais cette échange donnant-donnant ne fonctionnera pas forcément, car il est moins équilibré qu'il ne le semble.
On constate en effet tous les jours dans les cours d'assises que les peines maximales ne sont pas les plus fréquemment prononcées. Autrement dit quand un accusé dont le crime est puni de 30 ans de prison risque d'être condamné à environ 15/18 ans (par comparaison avec d'autres affaires semblables), savoir que la peine maximale est réduite à 25 ans ne sera pas forcément de nature à le dissuader de tenter d'obtenir un acquittement. Donc de continuer à nier.
Pour toutes ces raisons, la nécessité d'introduire un tel mécanisme dans notre droit pénal reste bien incertaine.