La soeur de l'accusé
Par Michel Huyette
Dans un procès d'assises, ce qui compte c'est uniquement ce qui est dit à l'audience. En effet, les seuls à avoir lu le dossier écrit sont le président, le procureur, les avocats et leurs clients (accusé et partie civile). Les deux magistrats qui siègent à côté du président, de même que les jurés, ne connaissant rien de l'affaire avant d'entrer dans la salle d'audience, et au moment de se retirer pour délibéré ils n'en auront appris que ce qui aura été apporté au cours des débats. Si à l'audience le président fait parfois présenter à la cour quelques extraits du dossier (plan des lieux, photos d'une reconstitution etc..), il ne s'agit que de quelques rares pièces extraites de dossiers qui la plupart du temps en contiennent des centaines.
D'où, pour chacun, l'importance de pouvoir présenter oralement ses arguments. Et cela concerne en premier lieu l'accusé qui doit être en mesure de s'exprimer aussi amplement qu'il le souhaite.
Mais dans ce procès là, les choses ne se sont pas déroulées comme d'habitude.
Sans doute à cause du crime commis - totalement reconnu devant le juge d'instruction - ayant entraîné la mort d'un jeune homme, et du poids de la culpabilité qui en découle, probablement d'une part de honte, et certainement comme nous l'avons constaté à cause d'un niveau intellectuel très modeste, l'accusé est apparu très mal à l'aise dès le premier jour.
A la fin de la première journée il a dit qu'il ne se sentait pas bien, et le lendemain matin il a refusé de quitter la prison et de venir à l'audience, en prétendant être malade.
J'ai alors désigné un médecin expert qui l'a examiné à la maison d'arrêt, et qui a conclu qu'il n'existait aucune raison médicale pouvant justifier qu'il ne vienne pas à l'audience. Mais l'accusé a persisté dans son refus d'être extrait de la maison d'arrêt.
L'usage de la contrainte ne m'est pas apparu immédiatement opportun. J'ai pensé qu'il était possible de lui laisser quelques heures de réflexion.
Cette absence a entraîné la colère, bien compréhensible, de la femme et de la mère de l'homme qui avait été tué par cet accusé, et qui voulaient entendre ce dernier expliquer le pourquoi et les circonstances de son geste. Contrairement à ce que l'on répète trop souvent, un procès ne permet en rien de "faire son deuil". Mais il permet parfois de mieux comprendre, les mots pouvant de temps en temps remplir certains vides.
En tous cas je voyais en face de moi ces deux femmes, furieuses, et qui sont venues dire à la barre combien l'absence de l'accusé était pour elle une nouvelle et insupportable violence.
Quelques instants plus tard, j'ai appelé l'une des soeurs de l'accusé, dont le témoignage était prévu ce jour là.
Quand je l'ai invitée à s'exprimer, elle a commencé en disant qu'avant de donner son point de vue sur son frère, elle souhaitait s'adresser à la femme et à la mère de la victime.
En quelques mots, en quelques phrases que l'on sentait pleines d'émotions, elle a dit à quel point elle comprenait que l'absence de son frère puisse être très mal perçue, et qu'à la place des parties civiles elle aurait certainement réagi de la même façon.
Puis, dans ce qui lui a probablement demandé un redoutable effort, elle s'est retournée vers les deux autres femmes et a dit : "Quand j'ai su que mon frère n'était pas là je me suis un instant demandée si je devais partir aussi. Mais très vite j'ai pensé que je devais rester pour vous deux, parce que si j'aime toujours mon frère, je me sens aujourd'hui tout aussi proche de vous qui souffrez tellement à cause d'un membre de ma famille. Voilà pourquoi j'ai décidé de rester là, avec vous, près de vous, juste derrière vous".
Un procès d'assises, ce sont des faits dramatiques, quelques vérités, un peu de sincérité, mais aussi des mensonges, des supercheries, et trop souvent de nouvelles douleurs.
Mais parfois, au milieu de ce qui apparaît bien gris, l'espace d'un instant, on quitte le drame pour vivre un moment de générosité, de solidarité, d'humanité, dans sa plus sincère et sa plus profonde expression.
Dans un procès d'assises, ce qui compte c'est uniquement ce qui est dit à l'audience. En effet, les seuls à avoir lu le dossier écrit sont le président, le procureur, les avocats et leurs clients (accusé et partie civile). Les deux magistrats qui siègent à côté du président, de même que les jurés, ne connaissant rien de l'affaire avant d'entrer dans la salle d'audience, et au moment de se retirer pour délibéré ils n'en auront appris que ce qui aura été apporté au cours des débats. Si à l'audience le président fait parfois présenter à la cour quelques extraits du dossier (plan des lieux, photos d'une reconstitution etc..), il ne s'agit que de quelques rares pièces extraites de dossiers qui la plupart du temps en contiennent des centaines.
D'où, pour chacun, l'importance de pouvoir présenter oralement ses arguments. Et cela concerne en premier lieu l'accusé qui doit être en mesure de s'exprimer aussi amplement qu'il le souhaite.
Mais dans ce procès là, les choses ne se sont pas déroulées comme d'habitude.
Sans doute à cause du crime commis - totalement reconnu devant le juge d'instruction - ayant entraîné la mort d'un jeune homme, et du poids de la culpabilité qui en découle, probablement d'une part de honte, et certainement comme nous l'avons constaté à cause d'un niveau intellectuel très modeste, l'accusé est apparu très mal à l'aise dès le premier jour.
A la fin de la première journée il a dit qu'il ne se sentait pas bien, et le lendemain matin il a refusé de quitter la prison et de venir à l'audience, en prétendant être malade.
J'ai alors désigné un médecin expert qui l'a examiné à la maison d'arrêt, et qui a conclu qu'il n'existait aucune raison médicale pouvant justifier qu'il ne vienne pas à l'audience. Mais l'accusé a persisté dans son refus d'être extrait de la maison d'arrêt.
L'usage de la contrainte ne m'est pas apparu immédiatement opportun. J'ai pensé qu'il était possible de lui laisser quelques heures de réflexion.
Cette absence a entraîné la colère, bien compréhensible, de la femme et de la mère de l'homme qui avait été tué par cet accusé, et qui voulaient entendre ce dernier expliquer le pourquoi et les circonstances de son geste. Contrairement à ce que l'on répète trop souvent, un procès ne permet en rien de "faire son deuil". Mais il permet parfois de mieux comprendre, les mots pouvant de temps en temps remplir certains vides.
En tous cas je voyais en face de moi ces deux femmes, furieuses, et qui sont venues dire à la barre combien l'absence de l'accusé était pour elle une nouvelle et insupportable violence.
Quelques instants plus tard, j'ai appelé l'une des soeurs de l'accusé, dont le témoignage était prévu ce jour là.
Quand je l'ai invitée à s'exprimer, elle a commencé en disant qu'avant de donner son point de vue sur son frère, elle souhaitait s'adresser à la femme et à la mère de la victime.
En quelques mots, en quelques phrases que l'on sentait pleines d'émotions, elle a dit à quel point elle comprenait que l'absence de son frère puisse être très mal perçue, et qu'à la place des parties civiles elle aurait certainement réagi de la même façon.
Puis, dans ce qui lui a probablement demandé un redoutable effort, elle s'est retournée vers les deux autres femmes et a dit : "Quand j'ai su que mon frère n'était pas là je me suis un instant demandée si je devais partir aussi. Mais très vite j'ai pensé que je devais rester pour vous deux, parce que si j'aime toujours mon frère, je me sens aujourd'hui tout aussi proche de vous qui souffrez tellement à cause d'un membre de ma famille. Voilà pourquoi j'ai décidé de rester là, avec vous, près de vous, juste derrière vous".
Un procès d'assises, ce sont des faits dramatiques, quelques vérités, un peu de sincérité, mais aussi des mensonges, des supercheries, et trop souvent de nouvelles douleurs.
Mais parfois, au milieu de ce qui apparaît bien gris, l'espace d'un instant, on quitte le drame pour vivre un moment de générosité, de solidarité, d'humanité, dans sa plus sincère et sa plus profonde expression.
Et le soir on repart chez soi avec une image qui ne nous quittera plus jamais.