Le CSM et F. Burgaud : (les dessous de) l'affaire dans l'affaire
Par Michel Huyette
Et voilà, c'est reparti. Décidément, l'affaire d'Outreau n'a pas fini de faire des ravages.
Alors que le CSM vient de rendre sa décision contre F. Burgaud, les avocats de ce dernier ont soulevé une polémique à propos de la présence, au sein du CSM, d'un juge qui, alors qu'il était en poste à Douai, a statué sur une demande de mise en liberté de l'un des mis en examen.
Selon les déclarations de ce juge au journal Le Figaro du 1er mai 2009, alors qu'il était conseiller à la cour d'appel de Douai et affecté à la chambre de la famille, il a siégé en tant que remplaçant à une audience de la chambre de l'instruction qui, ce jour là, a examiné une demande de mise en liberté de l'un des futurs "acquittés". La chambre a rejeté la demande.
Pour les avocats de F. Burgaud la présence de ce magistrat dans le CSM pourrait affecter la validité de la décision. Le conseil d'Etat aura sans doute à examiner cette question.
Mais ce qui a retenu mon attention ce n'est pas cet aspect de la problématique, qui me semble secondaire. Ce sont certains des propos tenus par ce juge.
Il est écrit dans le Figaro qu'il a déclaré : "Je souhaiterais préciser que je faisais partie de la chambre familiale et non de la chambre de l'instruction lors de ma brève affectation à la cour d'appel de Douai, il y a six ans. À titre exceptionnel, j'ai en revanche siégé au sein de cette formation le 26 août 2003, c'est-à-dire le lendemain de mon retour de congé estival, pour remplacer un collègue au pied levé. Ce jour-là, parmi les nombreux dossiers qui nous étaient soumis, nous avons eu à statuer sur deux demandes de remise en liberté formulées par Dominique Wiel. Je n'ai pas eu à lire le dossier car ce rôle était celui du conseiller rapporteur. Par ailleurs, je n'ai ni signé, ni rédigé l'arrêt.".
Il a ensuite précisé : "À l'époque, je pense que nous n'avons pas dû passer plus d'une vingtaine de minutes sur cette affaire. L'examen de ces demandes de remise en liberté a quelque chose de très répétitif, surtout lorsque la détention a déjà été confirmée peu auparavant. En l'occurrence, le mis en examen n'a apporté aucun élément nouveau à l'appui de sa demande.".
Nous vous devons quelques explications.
Dans les cours d'appel (comme dans les tribunaux de grande instance), les magistrats sont affectés exclusivement ou principalement à un service (civil, familial, pénal, social, commercial etc..). Mais pendant les périodes dites de "vacations", c'est à dire les semaines de Pâques, d'été, et de Noël, les services sont "allégés". Il y a moins d'audiences, ce qui permet aux magistrats d'une part de traiter les dossiers qui se sont empilé sur leurs étagères, et d'autre part de bénéficier de vacances. Seuls quelques magistrats sont présents chaque semaine et, forcément, ils siègent dans des services qui ne sont pas habituellement les leurs. C'est pourquoi l'intéressé, affecté à une chambre de la famille, a siégé une fois à la chambre de l'instruction pendant un mois d'août. Tout ceci est administrativement banal.
Mais ce qui a été expliqué au Figaro a quelque chose de stupéfiant. Et c'est autrement plus grave qu'il n'y paraît à première lecture.
Le fait que des magistrats qui ne sont pas membres de la chambre de l'instruction (qui traite en appel les décisions des juges d'instruction, des juge des libertés et de la détention, et plus largement des recours des mis en examen) y siègent en remplacement pendant les semaines de vacation présente - en théorie- un très grand avantage. En effet, ils peuvent porter un regard véritablement neuf sur un dossier déjà connu des magistrats permanent de la chambre, et, ainsi, avoir une approche critique par rapport à ce qui a été fait jusqu'à présent.
Par exemple, quand dans un dossier un même détenu demande plusieurs fois de suite sa remise en liberté, les magistrats qui ont déjà rejeté sa demande ont ensuite tendance à rendre des décisions dans lesquelles il est écrit qu'il n'y a pas d'élément nouveau depuis la dernière fois. A l'inverse, les magistrats intervenant ponctuellement n'ont pas - en principe - comme référence la dernière décision rendue.
C'est pour cette raison que, souvent, des détenus reformulent des demandes à l'approche des semaines de vacations, en espérant convaincre les magistrats remplaçant qui n'ont pas encore statué dans leur dossier.
Oui mais.... Si un tel mécanisme est attrayant en théorie, la réalité est bien différente.
Les magistrats remplaçant découvrent les dossiers qu'ils vont avoir à examiner deux ou trois jours avant l'audience. Dans les jours et semaines qui précèdent les vacations, ils se consacrent à plein temps à leur service ordinaire. Par exemple, un magistrat d'une chambre civile qui sait qu'il va siéger à la chambre de l'instruction le mardi de sa semaine de remplacement va regarder les dossiers le lundi. Et l'on voit tout de suite la difficulté : si le dossier est très volumineux, le magistrat n'a absolument pas la possibilité de le lire intégralement. Pour lire certains dossiers très importants, dans lesquels il y a des faits graves et plusieurs mis en examen, et qui sont constitués de plusieurs tomes contenant chacun des centaines de pages, il faut plusieurs journées pour en connaître ne serait-ce que l'essentiel. Les magistrats n'ont tout simplement pas le temps de le faire.
Cela explique les propos recueillis dans Le Figaro sur le caractère "répétitif" des demandes de mise en liberté de certains mis en examen, et surtout sur la référence à la dernière décision, même pour les juges qui interviennent exceptionnellement.
Résumons nous : les magistrats qui interviennent pendant les semaines de vacations ne prennent pas véritablement connaissance des dossiers très lourds. Ils ne peuvent donc pas exercer de regard critique sur les décisions de leurs collègues, ni appréhender différemment les affaires.
Ce constat est en soi insupportable. Tout juge qui doit prendre une décision devrait avoir personnellement une connaissance précise de tous les dossiers dans lesquels il intervient.
Mais là où cela devient encore plus préoccupant, c'est quand, pendant les semaines de vacations, les trois magistrats qui siègent à la chambre de l'instruction sont tous les trois des remplaçants travaillant le reste de l'année dans un autre service. Dès lors, quand c'est un dossier épais et complexe qui leur est présenté, aucun des trois ne le connaît en détail. Et, inéluctablement, faute de pouvoir se faire une opinion à travers l'appréhension complète du dossier, il va leur être très difficile de faire autrement que de se référer à la dernière décision, ou de copier/coller les réquisition du procureur de la République. Et cela sans regard critique. Le travail n'est tout simplement pas fait.
Ce constat d'un travail bâclé et de décisions qui ne sont pas l'aboutissement d'un examen approfondi de chaque recoin des dossiers est accablant. Mais les magistrats peuvent-ils faire autrement ? La réponse est malheureusement... non.
Pour que le système fonctionne autrement, il faudrait que le secrétariat de la chambre de l'instruction alerte les magistrats remplaçant dès qu'un dossier compliqué est audiencé. On pourrait alors imaginer que les magistrats anticipent la difficulté et prévoient dans leur agenda de nombreuses journées réservées à la lecture de ce dossier. Mais s'ils ne se consacrent qu'à cela pendant des jours, qui sur la même période va traiter les dossiers qui leur étaient affectés dans leur service ordinaire ? Personne, car les autres juges déjà chargés à bloc ne peuvent pas faire plus la plupart du temps sauf.... à bâcler le travail, ce qui serait remplacer une carence par une autre.
Alors les magistrats assurent le service minimum, et survolent les dossiers, surtout les plus complexes, ceux qui, pourtant, devraient être examinés avec encore plus d'attention que les autres. Et petit à petit, brique après brique, se construit une affaire telle celle d'Outreau. D'évidence, il y en aura d'autres. Et sans parler des "mini Outreau", dans des dossiers non mediatisés, mais qui, pour les intéressés, n'en sont pas moins dommageables.
Deux remarques pour terminer.
La première pour écrire, une fois encore au risque de vous lasser, que rien ne changera tant que l'on demandera aux juges de traiter autant de dossiers avec aussi peu de temps disponible. Autrement dit, la Justice n'évitera d'autres scandales que lorsque les magistrats seront nettement plus nombreux et pourront, enfin, produire un travail de grande qualité. Il semble que cela ne soit pas gagné d'avance (cf. ici).
La seconde pour souligner, une fois encore également, la responsabilité des magistrats eux-mêmes. Sans doute ne votent-ils pas le budget de la justice. Sans doute n'ont-ils aucun moyen de contraindre les élus de leur donner les moyens de faire correctement leur travail. Mais là où la responsabilité des magistrats est engagée, c'est quand jour après jour, ils acceptent, en inclinant l'échine et en continuant à travailler ainsi, d'alimenter un système qui les conduit pourtant directement vers la faute et la sanction. Sanction qu'ils dénonceront ensuite violemment...
Il faudra bien un jour que, collectivement, les magistrats sortent de cette contradiction.
Et voilà, c'est reparti. Décidément, l'affaire d'Outreau n'a pas fini de faire des ravages.
Alors que le CSM vient de rendre sa décision contre F. Burgaud, les avocats de ce dernier ont soulevé une polémique à propos de la présence, au sein du CSM, d'un juge qui, alors qu'il était en poste à Douai, a statué sur une demande de mise en liberté de l'un des mis en examen.
Selon les déclarations de ce juge au journal Le Figaro du 1er mai 2009, alors qu'il était conseiller à la cour d'appel de Douai et affecté à la chambre de la famille, il a siégé en tant que remplaçant à une audience de la chambre de l'instruction qui, ce jour là, a examiné une demande de mise en liberté de l'un des futurs "acquittés". La chambre a rejeté la demande.
Pour les avocats de F. Burgaud la présence de ce magistrat dans le CSM pourrait affecter la validité de la décision. Le conseil d'Etat aura sans doute à examiner cette question.
Mais ce qui a retenu mon attention ce n'est pas cet aspect de la problématique, qui me semble secondaire. Ce sont certains des propos tenus par ce juge.
Il est écrit dans le Figaro qu'il a déclaré : "Je souhaiterais préciser que je faisais partie de la chambre familiale et non de la chambre de l'instruction lors de ma brève affectation à la cour d'appel de Douai, il y a six ans. À titre exceptionnel, j'ai en revanche siégé au sein de cette formation le 26 août 2003, c'est-à-dire le lendemain de mon retour de congé estival, pour remplacer un collègue au pied levé. Ce jour-là, parmi les nombreux dossiers qui nous étaient soumis, nous avons eu à statuer sur deux demandes de remise en liberté formulées par Dominique Wiel. Je n'ai pas eu à lire le dossier car ce rôle était celui du conseiller rapporteur. Par ailleurs, je n'ai ni signé, ni rédigé l'arrêt.".
Il a ensuite précisé : "À l'époque, je pense que nous n'avons pas dû passer plus d'une vingtaine de minutes sur cette affaire. L'examen de ces demandes de remise en liberté a quelque chose de très répétitif, surtout lorsque la détention a déjà été confirmée peu auparavant. En l'occurrence, le mis en examen n'a apporté aucun élément nouveau à l'appui de sa demande.".
Nous vous devons quelques explications.
Dans les cours d'appel (comme dans les tribunaux de grande instance), les magistrats sont affectés exclusivement ou principalement à un service (civil, familial, pénal, social, commercial etc..). Mais pendant les périodes dites de "vacations", c'est à dire les semaines de Pâques, d'été, et de Noël, les services sont "allégés". Il y a moins d'audiences, ce qui permet aux magistrats d'une part de traiter les dossiers qui se sont empilé sur leurs étagères, et d'autre part de bénéficier de vacances. Seuls quelques magistrats sont présents chaque semaine et, forcément, ils siègent dans des services qui ne sont pas habituellement les leurs. C'est pourquoi l'intéressé, affecté à une chambre de la famille, a siégé une fois à la chambre de l'instruction pendant un mois d'août. Tout ceci est administrativement banal.
Mais ce qui a été expliqué au Figaro a quelque chose de stupéfiant. Et c'est autrement plus grave qu'il n'y paraît à première lecture.
Le fait que des magistrats qui ne sont pas membres de la chambre de l'instruction (qui traite en appel les décisions des juges d'instruction, des juge des libertés et de la détention, et plus largement des recours des mis en examen) y siègent en remplacement pendant les semaines de vacation présente - en théorie- un très grand avantage. En effet, ils peuvent porter un regard véritablement neuf sur un dossier déjà connu des magistrats permanent de la chambre, et, ainsi, avoir une approche critique par rapport à ce qui a été fait jusqu'à présent.
Par exemple, quand dans un dossier un même détenu demande plusieurs fois de suite sa remise en liberté, les magistrats qui ont déjà rejeté sa demande ont ensuite tendance à rendre des décisions dans lesquelles il est écrit qu'il n'y a pas d'élément nouveau depuis la dernière fois. A l'inverse, les magistrats intervenant ponctuellement n'ont pas - en principe - comme référence la dernière décision rendue.
C'est pour cette raison que, souvent, des détenus reformulent des demandes à l'approche des semaines de vacations, en espérant convaincre les magistrats remplaçant qui n'ont pas encore statué dans leur dossier.
Oui mais.... Si un tel mécanisme est attrayant en théorie, la réalité est bien différente.
Les magistrats remplaçant découvrent les dossiers qu'ils vont avoir à examiner deux ou trois jours avant l'audience. Dans les jours et semaines qui précèdent les vacations, ils se consacrent à plein temps à leur service ordinaire. Par exemple, un magistrat d'une chambre civile qui sait qu'il va siéger à la chambre de l'instruction le mardi de sa semaine de remplacement va regarder les dossiers le lundi. Et l'on voit tout de suite la difficulté : si le dossier est très volumineux, le magistrat n'a absolument pas la possibilité de le lire intégralement. Pour lire certains dossiers très importants, dans lesquels il y a des faits graves et plusieurs mis en examen, et qui sont constitués de plusieurs tomes contenant chacun des centaines de pages, il faut plusieurs journées pour en connaître ne serait-ce que l'essentiel. Les magistrats n'ont tout simplement pas le temps de le faire.
Cela explique les propos recueillis dans Le Figaro sur le caractère "répétitif" des demandes de mise en liberté de certains mis en examen, et surtout sur la référence à la dernière décision, même pour les juges qui interviennent exceptionnellement.
Résumons nous : les magistrats qui interviennent pendant les semaines de vacations ne prennent pas véritablement connaissance des dossiers très lourds. Ils ne peuvent donc pas exercer de regard critique sur les décisions de leurs collègues, ni appréhender différemment les affaires.
Ce constat est en soi insupportable. Tout juge qui doit prendre une décision devrait avoir personnellement une connaissance précise de tous les dossiers dans lesquels il intervient.
Mais là où cela devient encore plus préoccupant, c'est quand, pendant les semaines de vacations, les trois magistrats qui siègent à la chambre de l'instruction sont tous les trois des remplaçants travaillant le reste de l'année dans un autre service. Dès lors, quand c'est un dossier épais et complexe qui leur est présenté, aucun des trois ne le connaît en détail. Et, inéluctablement, faute de pouvoir se faire une opinion à travers l'appréhension complète du dossier, il va leur être très difficile de faire autrement que de se référer à la dernière décision, ou de copier/coller les réquisition du procureur de la République. Et cela sans regard critique. Le travail n'est tout simplement pas fait.
Ce constat d'un travail bâclé et de décisions qui ne sont pas l'aboutissement d'un examen approfondi de chaque recoin des dossiers est accablant. Mais les magistrats peuvent-ils faire autrement ? La réponse est malheureusement... non.
Pour que le système fonctionne autrement, il faudrait que le secrétariat de la chambre de l'instruction alerte les magistrats remplaçant dès qu'un dossier compliqué est audiencé. On pourrait alors imaginer que les magistrats anticipent la difficulté et prévoient dans leur agenda de nombreuses journées réservées à la lecture de ce dossier. Mais s'ils ne se consacrent qu'à cela pendant des jours, qui sur la même période va traiter les dossiers qui leur étaient affectés dans leur service ordinaire ? Personne, car les autres juges déjà chargés à bloc ne peuvent pas faire plus la plupart du temps sauf.... à bâcler le travail, ce qui serait remplacer une carence par une autre.
Alors les magistrats assurent le service minimum, et survolent les dossiers, surtout les plus complexes, ceux qui, pourtant, devraient être examinés avec encore plus d'attention que les autres. Et petit à petit, brique après brique, se construit une affaire telle celle d'Outreau. D'évidence, il y en aura d'autres. Et sans parler des "mini Outreau", dans des dossiers non mediatisés, mais qui, pour les intéressés, n'en sont pas moins dommageables.
Deux remarques pour terminer.
La première pour écrire, une fois encore au risque de vous lasser, que rien ne changera tant que l'on demandera aux juges de traiter autant de dossiers avec aussi peu de temps disponible. Autrement dit, la Justice n'évitera d'autres scandales que lorsque les magistrats seront nettement plus nombreux et pourront, enfin, produire un travail de grande qualité. Il semble que cela ne soit pas gagné d'avance (cf. ici).
La seconde pour souligner, une fois encore également, la responsabilité des magistrats eux-mêmes. Sans doute ne votent-ils pas le budget de la justice. Sans doute n'ont-ils aucun moyen de contraindre les élus de leur donner les moyens de faire correctement leur travail. Mais là où la responsabilité des magistrats est engagée, c'est quand jour après jour, ils acceptent, en inclinant l'échine et en continuant à travailler ainsi, d'alimenter un système qui les conduit pourtant directement vers la faute et la sanction. Sanction qu'ils dénonceront ensuite violemment...
Il faudra bien un jour que, collectivement, les magistrats sortent de cette contradiction.