Le CSM sanctionne F. Burgaud. Et après ?
Par Michel Huyette
S'il était au moins une certitude avant l'annonce de la décision du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui vient de prononcer une sanction de « réprimande » à l'encontre de F. Burgaud, juge d'instruction dans l'affaire d'Outreau, c'est qu'elle ne satisferait personne.
Je ne m'attarderai pas aujourd'hui sur cette décision et ce qui l'a précédée depuis plusieurs années, car tout ou presque a déjà été dit sur cette affaire. Surtout, la décision du CSM n'est pas le meilleur point de départ pour s'interroger sur le fonctionnement de l'institution judiciaire, tant l'approche uniquement disciplinaire est réductrice et empêche d'avoir une vision d'ensemble de la problématique.
Ce qui est surtout regrettable, c'est que les questions les plus fondamentales qui sont apparues à l'occasion de cette affaire n'ont toujours pas été complètement abordées et que toutes les solutions utiles pour l'avenir n'ont pas été envisagées. Car il faudra bien un jour quitter le passé pour chercher, enfin, comment faire en sorte que les dérapages dénoncés ne se reproduisent pas, ou peu.
Rappelons quelques uns de ces enjeux.
1. Le recrutement et la première nomination des magistrats
Chacun le sait, certaines fonctions judiciaires sont nettement plus difficiles à exercer que les autres, soit parce que la matière est plus complexe, soit parce que la collégialité n'y existe pas et que le magistrat statue seul. C'est le cas notamment des fonctions de juge d'instruction, juge des enfants, juge aux affaires familiales. Et c'est bien pour cela qu'il a été prévu pour les affaires pénales les plus complexes une co-saisine de plusieurs juges d'instruction et des pôles spécialisés.
Si un jeune magistrat sortant de l'école de la magistrature (ENM) peut assez aisément, avec l'aide des collègues de son service, statuer dans les affaires essentiellement juridiques (exécution des contrats, responsabilité civile, successions, construction etc...) qui demandent surtout de solides connaissances en droit, il en va tout autrement dans les matières (instruction, mineurs, famille) où les enjeux sont tout autant humains, où les faits sont parfois tragiques et déstabilisant, où les connaissances juridiques n'aident en rien à comprendre les fonctionnements humains, où il faut être capable de conduire des entretiens qui peuvent être houleux, où il faut savoir résister aux apparences, aux pressions, parfois aux intimidations. Et tout cela, à 26 ans, on ne sait pas forcément le faire, même si l'on a été un brillant étudiant !
La compréhension des enjeux, la prise de distance avec les faits et l'émotion, la capacité à percevoir et déjouer les pièges, l'aptitude à exercer une forte autorité régulatrice face à des interlocuteurs prêts à toutes les manoeuvres même les moins nobles, ne découleront jamais des études universitaires. Ces compétences ne peuvent s'acquérir que lors de la confrontation avec le terrain, c'est à dire au moment de la confrontation avec les dossiers, à condition que s'y ajoute le partage de l'expérience et de l'analyse des magistrats plus expérimentés. Ainsi seulement est-il possible, dans les premiers temps, d'éviter les maladresses et les erreurs les plus flagrantes.
Or aujourd'hui les jeunes magistrats totalement inexpérimentés doivent la plupart du temps se débrouiller seuls dès le premier jour et le premier dossier. Comment alors leur jeter la pierre sans autre forme de procès si, dépassés par la difficulté d'une affaire ils perdent pied et ne produisent pas un travail de la qualité attendue ?
C'est pourquoi, même si cette opinion reste aujourd'hui très minoritaire dans le corps, je pense qu'il faudrait envisager un système qui, pendant les premiers mois ou années, affecterait les jeunes magistrats dans des formations comprenant des collègues expérimentés, notamment au niveau des cours d'appel, une affectation dans les postes mentionnés plus haut ne pouvant intervenir que dans un second temps.
2.Le temps disponible
Débutant ou expérimenté, un magistrat a besoin de consacrer beaucoup de temps aux dossiers les plus compliqués. Or, ainsi que je l'ai déjà souligné à de nombreuses reprises sur ce blog car il s'agit à mon avis de ce qui parasite le plus le fonctionnement de la justice et l'empêche tous les jours et dans toutes les juridictions de fonctionner correctement, nous manquons cruellement de temps.
Depuis des années les magistrats subissent de la part de la hiérarchie une véritable dictature du chiffre. D'innombrables grilles et colonnes de nombres sont remplies mois après mois, et malheur à celui qui n'en fait pas assez.
Mais si vous aviez ces grilles sous les yeux, vous y verriez que le mot "qualité" n'y apparaît absolument jamais. Jamais.
Un jour, j'ai indiqué lors d'une réunion organisée par mon chef de juridiction que quand j'emportais mes dossiers après l'audience (en matière civile), je ne regardais jamais la date de délibéré (la date à laquelle la décision a été annoncée, souvent quelques semaines après l'audience) pour ne pas avoir à accélérer si le temps venait à me manquer, et ainsi pour minimiser le risque d'erreur. Car évidemment plus l'on va vite plus l'on se trompe.
Sans surprise, le chef de juridiction m'a aussitôt lancé un regard furieux et, sans même une seconde de réflexion, à dit haut et fort : "Que dites vous là, il faut toujours respecter les dates de délibéré". Traduction : si vous manquez de temps pour étudier tous les dossiers que vous avez, et bien tant pis, accélérez, contentez vous de les survoler, mais la quantité doit passer avant la qualité.
C'est ce qui se dit partout, tous les jours, dans (presque ?) toutes les juridictions de France.
Et c'est pourquoi d'innombrables décisions n'ont pas la qualité maximale que les justiciables sont en droit d'exiger.
En tous cas les gouvernement successifs, qui savent à quel point les magistrats croulent sous le nombre des procédures, continuent à refuser de donner à la justice les moyens humains pour que les prestations soient de qualité optimale. C'est bien ce qu'a souligné le CSM dans sa décision concernant F. Burgaud, en rappelant la centaine d'autres dossiers qu'il avait à traiter. Ce que tout le monde savait sans chercher, à supposer que cela ait été possible, à le décharger d'une partie de ses autres missions pour qu'il puisse consacrer beaucoup plus de temps au dossier Outreau.
Cela n'aurait peut-être pas changé totalement l'évolution de cette affaire. Mais au moins aurait-il eu la possibilité de relire les milliers de dépositions, de pointer et d'analyser les contradictions que le CSM lui reproche de ne pas avoir relevées ou traitées. Mais il faut de très nombreuses journées ou même semaines consacrées exclusivement à la lecture des pièces pour arriver à tout pointer dans un dossier constitué de dizaines de milliers de pages.
Et ce n'est probablement pas F. Burgaud qui a demandé à ne pas être déchargé de ses autres dossiers.
3. La vérification de la qualité du travail
Ce qui manque aussi cruellement dans la justice, c'est un mécanisme de contrôle permanent de la qualité du travail. Je prends un exemple.
Les chefs de juridiction doivent régulièrement porter une appréciation écrite sur le travail des magistrats relevant de leur autorité. Discutant un jour avec l'un d'entre eux, je lui fait part de mon étonnement sur le point suivant : Depuis mon entrée dans la magistrature j'ai présidé d'innombrables audiences civiles, sociales, pénales, sans que jamais mon notateur ne vienne voir comment je faisais. Je me suis donc interrogé à haute voix sur la capacité à apprécier le travail d'un collègue, notamment sa capacité à présider des audiences, sans jamais aller voir "en vrai" comment il fait. La réponse est venue elle aussi immédiatement : "Mais enfin je ne vais quand même pas aller m'asseoir dans le fond de votre salle d'audience". C'est pourtant ce qui me semble indispensable si l'appréciation veut être fondée sur des bases réelles et sérieuses.
De ce fait, les magistrats travaillent sans contrôle sérieux et approfondi de leurs prestations, ce qui ouvre la porte à bien des dérapages. Cela est d'autant plus regrettable qu'il n'est pas impossible de faire autrement.
Il pourrait être notamment envisagé dans chaque juridiction que les décisions d'un service, anonymisées, soient une fois par an lues par les magistrats du service d'à côté, afin que des commentaires soient faits sur leur clarté, leur logique interne, bref leur qualité.
De la même façon, pour la conduite des audiences, surtout pénales, il pourrait être prévu une observation des débats par des personnes extérieures à l'affaire, voire à la justice, qui analyseraient ensuite tout le processus d'audience : conduite générale de l'audience, la maitrise des incidents, la capacité à faire circuler la parole et à écouter etc..
Mais la justice semble aujourd'hui encore totalement imperméable à ces démarches "qualité". Chacun fait son petit boulot dans son coin, sans véritable contrôle.
Et cela aboutit inexorablement à ce que les bons continuent à faire du bon travail, et les mauvais du mauvais, sans que les seconds ne rencontrent de véritables obstacles tant qu'il n'y a pas de drame et d'intervention des medias.
Mais pour faire ce travail de réflexion permanente sur la qualité de nos prestations, encore nous faudrait-il du temps et, surtout, une réelle volonté. Or chez les magistrats, le désir est beaucoup plus de discuter de façon purement théorique de la déontologie et des bonnes pratiques, ce qui permet d'affirmer que bien sûr on s'y intéresse, que de mettre les principes en application, ce qui est un peu plus risqué.
L'affaire d'Outreau pouvait être une occasion unique de permettre à l'institution judiciaire de faire un réel bond en avant. Il aurait été possible de faire un inventaire de tout ce qui fait obstacle à un travail de qualité supérieure, et de rechercher en parallèle les solutions utiles.
Mais certains obstacles semblent aujourd'hui encore insurmontables.
D'abord l'incapacité et le refus des magistrats de reconnaître publiquement, clairement et complètement leurs limites et leurs défaillances, quelles qu'en soient les origines. Rien n'avancera vraiment tant que les magistrats continueront à hurler dans un réflexe exclusivement protecteur chaque fois que des manquements, pourtant réels, seront pointés du doigt.
Ensuite le refus persistant des gouvernements successifs et des parlementaires de donner à la justice les moyens, et donc le temps, pour faire un travail de qualité optimale. Il est insupportable que ce soient ceux qui, année et après année, imposent au magistrats de travailler dans des conditions inadmissibles, qui se jettent comme des loups affamés vers leur proie sur la moindre erreur commise. Le sommet de l'hypocrisie a été atteint par les élus, et cela explique en partie pourquoi les magistrats n'acceptent que très difficilement certaines remontrances.
Enfin, la volonté d'utiliser les dysfonctionnements de la justice comme un mode de règlement de comptes pour affaiblir une institution qui, grâce au courage de certains de ses membres, a fait comprendre à une élite que le temps n'était plus à la protection d'une caste de privilégiés et que dans une démocratie la loi doit s'appliquer à tous.
Autrement dit le grand changement, ce n'est pas pour demain...
Je ne m'attarderai pas aujourd'hui sur cette décision et ce qui l'a précédée depuis plusieurs années, car tout ou presque a déjà été dit sur cette affaire. Surtout, la décision du CSM n'est pas le meilleur point de départ pour s'interroger sur le fonctionnement de l'institution judiciaire, tant l'approche uniquement disciplinaire est réductrice et empêche d'avoir une vision d'ensemble de la problématique.
Ce qui est surtout regrettable, c'est que les questions les plus fondamentales qui sont apparues à l'occasion de cette affaire n'ont toujours pas été complètement abordées et que toutes les solutions utiles pour l'avenir n'ont pas été envisagées. Car il faudra bien un jour quitter le passé pour chercher, enfin, comment faire en sorte que les dérapages dénoncés ne se reproduisent pas, ou peu.
Rappelons quelques uns de ces enjeux.
1. Le recrutement et la première nomination des magistrats
Chacun le sait, certaines fonctions judiciaires sont nettement plus difficiles à exercer que les autres, soit parce que la matière est plus complexe, soit parce que la collégialité n'y existe pas et que le magistrat statue seul. C'est le cas notamment des fonctions de juge d'instruction, juge des enfants, juge aux affaires familiales. Et c'est bien pour cela qu'il a été prévu pour les affaires pénales les plus complexes une co-saisine de plusieurs juges d'instruction et des pôles spécialisés.
Si un jeune magistrat sortant de l'école de la magistrature (ENM) peut assez aisément, avec l'aide des collègues de son service, statuer dans les affaires essentiellement juridiques (exécution des contrats, responsabilité civile, successions, construction etc...) qui demandent surtout de solides connaissances en droit, il en va tout autrement dans les matières (instruction, mineurs, famille) où les enjeux sont tout autant humains, où les faits sont parfois tragiques et déstabilisant, où les connaissances juridiques n'aident en rien à comprendre les fonctionnements humains, où il faut être capable de conduire des entretiens qui peuvent être houleux, où il faut savoir résister aux apparences, aux pressions, parfois aux intimidations. Et tout cela, à 26 ans, on ne sait pas forcément le faire, même si l'on a été un brillant étudiant !
La compréhension des enjeux, la prise de distance avec les faits et l'émotion, la capacité à percevoir et déjouer les pièges, l'aptitude à exercer une forte autorité régulatrice face à des interlocuteurs prêts à toutes les manoeuvres même les moins nobles, ne découleront jamais des études universitaires. Ces compétences ne peuvent s'acquérir que lors de la confrontation avec le terrain, c'est à dire au moment de la confrontation avec les dossiers, à condition que s'y ajoute le partage de l'expérience et de l'analyse des magistrats plus expérimentés. Ainsi seulement est-il possible, dans les premiers temps, d'éviter les maladresses et les erreurs les plus flagrantes.
Or aujourd'hui les jeunes magistrats totalement inexpérimentés doivent la plupart du temps se débrouiller seuls dès le premier jour et le premier dossier. Comment alors leur jeter la pierre sans autre forme de procès si, dépassés par la difficulté d'une affaire ils perdent pied et ne produisent pas un travail de la qualité attendue ?
C'est pourquoi, même si cette opinion reste aujourd'hui très minoritaire dans le corps, je pense qu'il faudrait envisager un système qui, pendant les premiers mois ou années, affecterait les jeunes magistrats dans des formations comprenant des collègues expérimentés, notamment au niveau des cours d'appel, une affectation dans les postes mentionnés plus haut ne pouvant intervenir que dans un second temps.
2.Le temps disponible
Débutant ou expérimenté, un magistrat a besoin de consacrer beaucoup de temps aux dossiers les plus compliqués. Or, ainsi que je l'ai déjà souligné à de nombreuses reprises sur ce blog car il s'agit à mon avis de ce qui parasite le plus le fonctionnement de la justice et l'empêche tous les jours et dans toutes les juridictions de fonctionner correctement, nous manquons cruellement de temps.
Depuis des années les magistrats subissent de la part de la hiérarchie une véritable dictature du chiffre. D'innombrables grilles et colonnes de nombres sont remplies mois après mois, et malheur à celui qui n'en fait pas assez.
Mais si vous aviez ces grilles sous les yeux, vous y verriez que le mot "qualité" n'y apparaît absolument jamais. Jamais.
Un jour, j'ai indiqué lors d'une réunion organisée par mon chef de juridiction que quand j'emportais mes dossiers après l'audience (en matière civile), je ne regardais jamais la date de délibéré (la date à laquelle la décision a été annoncée, souvent quelques semaines après l'audience) pour ne pas avoir à accélérer si le temps venait à me manquer, et ainsi pour minimiser le risque d'erreur. Car évidemment plus l'on va vite plus l'on se trompe.
Sans surprise, le chef de juridiction m'a aussitôt lancé un regard furieux et, sans même une seconde de réflexion, à dit haut et fort : "Que dites vous là, il faut toujours respecter les dates de délibéré". Traduction : si vous manquez de temps pour étudier tous les dossiers que vous avez, et bien tant pis, accélérez, contentez vous de les survoler, mais la quantité doit passer avant la qualité.
C'est ce qui se dit partout, tous les jours, dans (presque ?) toutes les juridictions de France.
Et c'est pourquoi d'innombrables décisions n'ont pas la qualité maximale que les justiciables sont en droit d'exiger.
En tous cas les gouvernement successifs, qui savent à quel point les magistrats croulent sous le nombre des procédures, continuent à refuser de donner à la justice les moyens humains pour que les prestations soient de qualité optimale. C'est bien ce qu'a souligné le CSM dans sa décision concernant F. Burgaud, en rappelant la centaine d'autres dossiers qu'il avait à traiter. Ce que tout le monde savait sans chercher, à supposer que cela ait été possible, à le décharger d'une partie de ses autres missions pour qu'il puisse consacrer beaucoup plus de temps au dossier Outreau.
Cela n'aurait peut-être pas changé totalement l'évolution de cette affaire. Mais au moins aurait-il eu la possibilité de relire les milliers de dépositions, de pointer et d'analyser les contradictions que le CSM lui reproche de ne pas avoir relevées ou traitées. Mais il faut de très nombreuses journées ou même semaines consacrées exclusivement à la lecture des pièces pour arriver à tout pointer dans un dossier constitué de dizaines de milliers de pages.
Et ce n'est probablement pas F. Burgaud qui a demandé à ne pas être déchargé de ses autres dossiers.
3. La vérification de la qualité du travail
Ce qui manque aussi cruellement dans la justice, c'est un mécanisme de contrôle permanent de la qualité du travail. Je prends un exemple.
Les chefs de juridiction doivent régulièrement porter une appréciation écrite sur le travail des magistrats relevant de leur autorité. Discutant un jour avec l'un d'entre eux, je lui fait part de mon étonnement sur le point suivant : Depuis mon entrée dans la magistrature j'ai présidé d'innombrables audiences civiles, sociales, pénales, sans que jamais mon notateur ne vienne voir comment je faisais. Je me suis donc interrogé à haute voix sur la capacité à apprécier le travail d'un collègue, notamment sa capacité à présider des audiences, sans jamais aller voir "en vrai" comment il fait. La réponse est venue elle aussi immédiatement : "Mais enfin je ne vais quand même pas aller m'asseoir dans le fond de votre salle d'audience". C'est pourtant ce qui me semble indispensable si l'appréciation veut être fondée sur des bases réelles et sérieuses.
De ce fait, les magistrats travaillent sans contrôle sérieux et approfondi de leurs prestations, ce qui ouvre la porte à bien des dérapages. Cela est d'autant plus regrettable qu'il n'est pas impossible de faire autrement.
Il pourrait être notamment envisagé dans chaque juridiction que les décisions d'un service, anonymisées, soient une fois par an lues par les magistrats du service d'à côté, afin que des commentaires soient faits sur leur clarté, leur logique interne, bref leur qualité.
De la même façon, pour la conduite des audiences, surtout pénales, il pourrait être prévu une observation des débats par des personnes extérieures à l'affaire, voire à la justice, qui analyseraient ensuite tout le processus d'audience : conduite générale de l'audience, la maitrise des incidents, la capacité à faire circuler la parole et à écouter etc..
Mais la justice semble aujourd'hui encore totalement imperméable à ces démarches "qualité". Chacun fait son petit boulot dans son coin, sans véritable contrôle.
Et cela aboutit inexorablement à ce que les bons continuent à faire du bon travail, et les mauvais du mauvais, sans que les seconds ne rencontrent de véritables obstacles tant qu'il n'y a pas de drame et d'intervention des medias.
Mais pour faire ce travail de réflexion permanente sur la qualité de nos prestations, encore nous faudrait-il du temps et, surtout, une réelle volonté. Or chez les magistrats, le désir est beaucoup plus de discuter de façon purement théorique de la déontologie et des bonnes pratiques, ce qui permet d'affirmer que bien sûr on s'y intéresse, que de mettre les principes en application, ce qui est un peu plus risqué.
L'affaire d'Outreau pouvait être une occasion unique de permettre à l'institution judiciaire de faire un réel bond en avant. Il aurait été possible de faire un inventaire de tout ce qui fait obstacle à un travail de qualité supérieure, et de rechercher en parallèle les solutions utiles.
Mais certains obstacles semblent aujourd'hui encore insurmontables.
D'abord l'incapacité et le refus des magistrats de reconnaître publiquement, clairement et complètement leurs limites et leurs défaillances, quelles qu'en soient les origines. Rien n'avancera vraiment tant que les magistrats continueront à hurler dans un réflexe exclusivement protecteur chaque fois que des manquements, pourtant réels, seront pointés du doigt.
Ensuite le refus persistant des gouvernements successifs et des parlementaires de donner à la justice les moyens, et donc le temps, pour faire un travail de qualité optimale. Il est insupportable que ce soient ceux qui, année et après année, imposent au magistrats de travailler dans des conditions inadmissibles, qui se jettent comme des loups affamés vers leur proie sur la moindre erreur commise. Le sommet de l'hypocrisie a été atteint par les élus, et cela explique en partie pourquoi les magistrats n'acceptent que très difficilement certaines remontrances.
Enfin, la volonté d'utiliser les dysfonctionnements de la justice comme un mode de règlement de comptes pour affaiblir une institution qui, grâce au courage de certains de ses membres, a fait comprendre à une élite que le temps n'était plus à la protection d'une caste de privilégiés et que dans une démocratie la loi doit s'appliquer à tous.
Autrement dit le grand changement, ce n'est pas pour demain...