Un acquittement
Par Michel Huyette
C'est un moment bien particulier lors d'un procès d'assises. Les juges et les jurés ont terminé leur délibéré, les décisions ont été prises, favorables ou non, conciliantes ou impitoyables. Pour les membres de la cour vient le moment de souffler un peu après une épreuve parfois rude.
En même temps, à quelques mètres de là, dans la salle d'audience, dans un silence inhabituel tant la tension est forte, nombreux sont ceux qui attendent avec une fébrilité extrême la décision qui va les atteindre, directement ou indirectement.
Cette attente est peut-être plus insupportable encore pour les accusés dont la culpabilité a été discutée pendant tout le procès, et qui attendent de savoir s'ils sont déclarés coupables ou acquittés.
C'était le cas ce jour là.
Ils étaient trois à comparaître devant la cour d'assises. Tous bien trop jeunes pour se retrouver devant une juridiction criminelle. Surtout pour un assassinat aussi grave puisque la victime était un proche de l'un d'eux.
Elle était la seule fille, à côté des deux garçons.
Ce qui la différenciait des deux autres, c'est surtout qu'elle s'était trouvée au mauvais moment avec les mauvaises personnes.
Ce qu'elle avait fait était quand même à la limite de l'infraction pénale. Connaissait-elle exactement ce qui se mettait en place ? Savait-elle que dans le coffre de la voiture qu'elle conduisait l'un des garçons avait mis un fusil ? Devinait-elle dans quel but l'un d'entre eux voulait se rendre ce soir là dans la maison de cette personne si proche ? Comprenait-elle pourquoi ils sont ressortis de la maison dans un tel état ? Devait-elle refuser dans ces circonstances de les raccompagner chez eux ?
Pendant toute la semaine elle s'est défendue autant qu'elle le pouvait. De notre tribune elle paraissait bien menue mais elle affrontait courageusement ses juges. Et puis elle nous a expliqué à quel point elle avait peur de la sanction, elle qui était tout juste en train de construire son avenir.
Le ministère public la considérait coupable et avait requis une peine.
Quand nous sommes entrés dans la salle d'audience, elle se tenait debout à côté de son avocate, le regard vers le mur d'en face. Elle n'osait pas se tourner vers nous.
Elle ne l'a fait que quand j'ai appelé son nom.
Plutôt que de lui dire sèchement que la réponse aux questions posées était chaque fois « non », je lui ai expliqué en quelques mots notre raisonnement. Je lui ai dit comment nous avions compris son attitude, comment nous avions interprété sa franchise à l'audience. Et puis avant de prononcer le terme fatidique je lui ai dit que nous considérions que personnellement elle n'était responsable de rien. Ainsi l'expression « être lavé de toute accusation » prenait psychologiquement tout son sens.
Elle était acquittée.
Dès le mot « acquittée » prononcé elle a porté les mains à son visage, sans rien dire. Puis elle m'a regardé un assez long moment, en silence. J'ai vu dans son regard quelque chose comme de la gratitude pour chaque membre de la cour. J'espère qu'elle a vu dans le mien tous nos encouragements.
Après un instant elle s'est rapprochée de son avocate, lui a passé les bras autour du cou ,et l'a embrassée.
Nous regardions tous une jeune femme tourner la dernière page d'un mauvais livre et le jeter au feu. La prochaine histoire serait sans doute plus belle. Elle le méritait vraiment.
Cette scène j'y repense souvent. Sans doute parce qu'au milieu de tous ces crimes, qui sont autant de drames tant pour les victimes que pour les accusés, et au-delà pour leurs familles, il y a ces petits moments qui nous emplissent d'un bonheur profond parce qu'il nous est possible de redresser la barre, de remettre les choses dans l'ordre, de remplacer le noir par du blanc.
Un bonheur tel que bien plus tard on se repasse le film, rien que pour le plaisir, comme prend de temps en temps l'envie de s'interrompre dans son activité pour aller vers le placard de la cuisine, d'ouvrir le pot, et de déguster lentement une cuillère de miel.
C'est un moment bien particulier lors d'un procès d'assises. Les juges et les jurés ont terminé leur délibéré, les décisions ont été prises, favorables ou non, conciliantes ou impitoyables. Pour les membres de la cour vient le moment de souffler un peu après une épreuve parfois rude.
En même temps, à quelques mètres de là, dans la salle d'audience, dans un silence inhabituel tant la tension est forte, nombreux sont ceux qui attendent avec une fébrilité extrême la décision qui va les atteindre, directement ou indirectement.
Cette attente est peut-être plus insupportable encore pour les accusés dont la culpabilité a été discutée pendant tout le procès, et qui attendent de savoir s'ils sont déclarés coupables ou acquittés.
C'était le cas ce jour là.
Ils étaient trois à comparaître devant la cour d'assises. Tous bien trop jeunes pour se retrouver devant une juridiction criminelle. Surtout pour un assassinat aussi grave puisque la victime était un proche de l'un d'eux.
Elle était la seule fille, à côté des deux garçons.
Ce qui la différenciait des deux autres, c'est surtout qu'elle s'était trouvée au mauvais moment avec les mauvaises personnes.
Ce qu'elle avait fait était quand même à la limite de l'infraction pénale. Connaissait-elle exactement ce qui se mettait en place ? Savait-elle que dans le coffre de la voiture qu'elle conduisait l'un des garçons avait mis un fusil ? Devinait-elle dans quel but l'un d'entre eux voulait se rendre ce soir là dans la maison de cette personne si proche ? Comprenait-elle pourquoi ils sont ressortis de la maison dans un tel état ? Devait-elle refuser dans ces circonstances de les raccompagner chez eux ?
Pendant toute la semaine elle s'est défendue autant qu'elle le pouvait. De notre tribune elle paraissait bien menue mais elle affrontait courageusement ses juges. Et puis elle nous a expliqué à quel point elle avait peur de la sanction, elle qui était tout juste en train de construire son avenir.
Le ministère public la considérait coupable et avait requis une peine.
Quand nous sommes entrés dans la salle d'audience, elle se tenait debout à côté de son avocate, le regard vers le mur d'en face. Elle n'osait pas se tourner vers nous.
Elle ne l'a fait que quand j'ai appelé son nom.
Plutôt que de lui dire sèchement que la réponse aux questions posées était chaque fois « non », je lui ai expliqué en quelques mots notre raisonnement. Je lui ai dit comment nous avions compris son attitude, comment nous avions interprété sa franchise à l'audience. Et puis avant de prononcer le terme fatidique je lui ai dit que nous considérions que personnellement elle n'était responsable de rien. Ainsi l'expression « être lavé de toute accusation » prenait psychologiquement tout son sens.
Elle était acquittée.
Dès le mot « acquittée » prononcé elle a porté les mains à son visage, sans rien dire. Puis elle m'a regardé un assez long moment, en silence. J'ai vu dans son regard quelque chose comme de la gratitude pour chaque membre de la cour. J'espère qu'elle a vu dans le mien tous nos encouragements.
Après un instant elle s'est rapprochée de son avocate, lui a passé les bras autour du cou ,et l'a embrassée.
Nous regardions tous une jeune femme tourner la dernière page d'un mauvais livre et le jeter au feu. La prochaine histoire serait sans doute plus belle. Elle le méritait vraiment.
Cette scène j'y repense souvent. Sans doute parce qu'au milieu de tous ces crimes, qui sont autant de drames tant pour les victimes que pour les accusés, et au-delà pour leurs familles, il y a ces petits moments qui nous emplissent d'un bonheur profond parce qu'il nous est possible de redresser la barre, de remettre les choses dans l'ordre, de remplacer le noir par du blanc.
Un bonheur tel que bien plus tard on se repasse le film, rien que pour le plaisir, comme prend de temps en temps l'envie de s'interrompre dans son activité pour aller vers le placard de la cuisine, d'ouvrir le pot, et de déguster lentement une cuillère de miel.