F. Burgaud devant le CSM. Un enjeu pour la justice.
Par Michel Huyette
Cette semaine F. Burgaud se retrouve face au Conseil supérieur de la magistrature qui au terme des débats et de son délibéré dira si ce magistrat a été défaillant, s'il a commis des fautes, et s'il doit être sanctionné.
Cette épisode unique de la vie judiciaire, qui est sans doute pour l'intéressé un moment essentiel de son existence, pose de très nombreuses questions auxquelles la décision à venir n'apportera peut-être pas toutes les réponses. Essayons brièvement d'en énumérer quelques une.
1. Les modalités de contrôle du travail des magistrats.
Seul un corporatisme aveugle peut inciter à proclamer par principe que F. Burgaud ne mérite aucun reproche. Tout magistrat peut malheureusement dans un dossier ou un autre avoir des comportements ou des pratiques inappropriés. L'institution judiciaire est composée d'hommes et de femmes que leur métier ne rend pas à lui seul différents des autres. Mais étant donné les responsabilités qui leur sont confiées, les français sont en droit d'exiger d'eux des prestations de très grande qualité. C'est pourquoi, répétons le une fois encore, un contrôle permanent et exigeant du fonctionnement de la justice est légitime et même indispensable.
Le problème n'est pas dans l'existence de ce contrôle mais dans ses modalités. En effet aucune pratique n'est jamais parfaite. Dans une même fonction certains sont plus habiles que d'autres. Par ailleurs, tel magistrat qui sait très bien rédiger des jugements civils dans le silence de son bureau peut être beaucoup moins à l'aise et maladroit dans une confrontation directe avec les justiciables. Et si certains savent aisément maîtriser les incidents à l'audience, d'autres sont rapidement dépassés etc... Il ne peut donc pas être question de traquer la moindre imperfection car personne n'y échapperait. Et cela dans tous les métiers. Le contrôle du CSM doit donc se limiter à la recherche des pratiques démontrant chez les magistrats des défaillances importantes qui ne peuvent perdurer sans altérer gravement le fonctionnement de l'institution. Alors oui, si tel est le cas, la sanction doit intervenir.
2. La distinction entre manque de compétence et faute.
Il est impossible de regarder de la même façon d'une part celui qui fait au mieux de ses capacités mais dont le talent est modeste, autrement dit celui qui malgré sa bonne volonté ne peut pas faire mieux, et d'autre part celui qui pourrait aisément faire autrement mais qui par choix ne fait pas les efforts nécessaires. C'est toute la différence entre l'insuffisance et la faute. Bien sur pour le justiciable le résultat - négatif - peut être identique. Bien sur il est indispensable d'intervenir pour mettre un terme à ces défaillances quelle que soit leur origine. Mais en terme de sanction les deux situations ne peuvent pas être appréhendées de la même façon car celui qui produit un travail de mauvaise qualité alors qu'il peut aisément faire mieux est beaucoup plus fautif que celui qui essaie véritablement de faire du mieux qu'il peut.
On peut dès lors s'interroger sur la démarche récente du Ministère de la justice qui, selon la presse, aurait transmis au CSM une note soulignant des insuffisances présentant un «caractère systématique voire volontaire». C'est le « volontaire » qui retient l'attention puisque c'est l'un des composants de la faute disciplinaire. S'agit-il d'une nouvelle analyse du comportement de F. Burgaud ? Cela pourrait être tout autant une tentative de dernière minute de centrer le dossier sur sa responsabilité personnelle pour, par ricochet, écarter celle d'autres magistrats. Et ainsi mieux protéger l'institution dans son ensemble.
3. Les moyens donnés aux magistrats.
Pour que soit considéré comme fautif un magistrat dont la prestation est de mauvaise qualité, encore faut-il qu'il ait eu à sa disposition tous les moyens de faire mieux. Je vous renvoie aux précédents articles de ce blog sur les moyens matériels de la justice et les conséquences sur notre travail quotidien (cf. not. le manque de temps qui ne permet pas aux juges correctionnels de motiver toutes leurs décisions ce qui viole le droit français et a entraîné une condamnation de la cour européenne des droits de l'homme).
De la même façon, on sait bien que les jeunes juges débutants (et on est encore vraiment débutant après deux années de fonction..) ont besoin de plus de temps que leurs aînés pour travailler sur de gros dossiers. Or dans de nombreux cas au cours des années passées des juges qui se sont vus attribuer des dossiers importants n'ont pas en contrepartie été déchargés de quelques dossiers de moindre importance. Le temps qui manque parfois cruellement est alors, pour partie, à l'origine de la difficulté à traiter au mieux le dossier reçu.
Il ne s'agit pas de détourner l'attention pour éviter les sanctions. Mais il ne peut y avoir sanction que s'il y a faute, et le CSM ne peut conclure à la responsabilité personnelle et fautive d'un magistrat qu'après avoir vérifié, et constaté, qu'il disposait de tous les moyens pour faire correctement son travail.
3. Les phénomènes parasites.
C'est peu dire que dans les affaires comme celle de Outreau le juge d'instruction doit être particulièrement solide pour résister au déferlement médiatique. On a vu dans le passé d'autres magistrats se laisser emporter par le torrent de l'opinion publique.
Et rappelons nous ce qui se passe parfois quand des magistrats doutent de la culpabilité d'individus présentés publiquement comme des monstres et sont alors désignés comme des irresponsables et agressés férocement verbalement ou même physiquement.
Alors bien sur, de l'extérieur, à froid, il est possible d'affirmer qu'un magistrat doit rester totalement insensible aux humeurs de la rue ou des élus qui ne sont pas toujours en reste. Comme ce serait mieux pour chaque magistrat si tout était aussi simple...
Certes les pressions extérieures n'escusent pas tout. Mais là encore dans l'appréciation des éventuels dysfonctionnements, le CSM ne peut pas les ignorer.
4. Les autres intervenants de la procédure.
Comme cela a été dit et répété, F. Burgaud n'a pas été le seul à intervenir dans ce dossier. D'autres magistrats ont mis les « acquittés » en prison, les y ont maintenus, ont requis contre eux, et un autre juge d'instruction les a renvoyés devant la cour d'assises. C'est pourquoi, sans que cela ne puisse servir à masquer les éventuelles défaillances du juge d'instruction, ne pas replacer son activité dans un ensemble de décisions juridictionnelles qui n'ont pu que le conforter dans sa démarche ne serait pas acceptable. C'est en cela que la récente note du Ministère mentionnée plus haut est particulièrement troublante. Sans doute les erreurs des uns n'effacent pas les erreurs des autres. Mais la sanction d'un seul magistrat sans prise en compte de l'influence sur son activité des décisions des autres serait injuste, et donc inacceptable.
Par ailleurs, il a été mis en avant à l'occasion de cette affaire la piètre qualité de certaines expertises psychologiques ayant estimé les propos des mineurs plausibles (rappelez-vous l'expert indiquant qu'il fait des expertises au tarif d'une femme de ménage...), ou la tendance de l'époque à trop vouloir croire les enfants (les parlementaires avaient même envisagé une loi pour que l'on « présume » que tout enfant est crédible par principe..!).
Enfin n'oublions pas trop vite qu'à l'occasion du premier procès, après un débat au cours duquel chacun a pu s'exprimer librement sur la qualité de l'instruction, des jurés ont estimé opportun de retenir des culpabilités et de prononcer des peines de prison...
Nombreux sont donc ceux qui, a un degré ou un autre, directement ou indirectement, ont participé à la construction de ce qui allait plus tard être qualifié de "fiasco". On est alors bien loin du seul juge d'instruction.
Ce qui se joue aujourd'hui est essentiel en terme de justice. Ce n'est pas seulement le sort de F. Burgaud qui dépend de la décision du CSM. C'est le fonctionnement de l'institution judiciaire dans son ensemble.
Soit le CSM fait la part des chose, examine le moindre recoin de cette affaire, a le courage de mettre en lumière toutes les défaillances et toutes les responsabilités, et sa décision, si elle doit contenir la sanction de manquements indiscutables, sera acceptée dans son principe. Mieux, elle pourra être une référence pour l'avenir et ainsi être bénéfique à l'ensemble du corps.
Soit le CSM élude certaines des questions pourtant inévitables, ignore délibérément une partie de la problématique, réduit son analyse à un comportement individuel, et sa décision contestée par tous n'aura pas un grand crédit.
Les défaillances des magistrats existent. Elles doivent être relevées et les réponses adéquates doivent être apportées, y compris quand cela est opportun en terme de sanction disciplinaire. Les magistrats doivent collectivement l'admettre. Il en va de leur crédibilité auprès de leurs concitoyens.
Mais il faut prendre garde à ce que le remède ne soit pire que le mal. Tel sera le cas si une sanction contre le seul F. Burgaud, même justifiée, permet à tous ceux qui se sont aussi montrés défaillants de croire qu'il est possible de continuer dans la même voie.
Cette semaine F. Burgaud se retrouve face au Conseil supérieur de la magistrature qui au terme des débats et de son délibéré dira si ce magistrat a été défaillant, s'il a commis des fautes, et s'il doit être sanctionné.
Cette épisode unique de la vie judiciaire, qui est sans doute pour l'intéressé un moment essentiel de son existence, pose de très nombreuses questions auxquelles la décision à venir n'apportera peut-être pas toutes les réponses. Essayons brièvement d'en énumérer quelques une.
1. Les modalités de contrôle du travail des magistrats.
Seul un corporatisme aveugle peut inciter à proclamer par principe que F. Burgaud ne mérite aucun reproche. Tout magistrat peut malheureusement dans un dossier ou un autre avoir des comportements ou des pratiques inappropriés. L'institution judiciaire est composée d'hommes et de femmes que leur métier ne rend pas à lui seul différents des autres. Mais étant donné les responsabilités qui leur sont confiées, les français sont en droit d'exiger d'eux des prestations de très grande qualité. C'est pourquoi, répétons le une fois encore, un contrôle permanent et exigeant du fonctionnement de la justice est légitime et même indispensable.
Le problème n'est pas dans l'existence de ce contrôle mais dans ses modalités. En effet aucune pratique n'est jamais parfaite. Dans une même fonction certains sont plus habiles que d'autres. Par ailleurs, tel magistrat qui sait très bien rédiger des jugements civils dans le silence de son bureau peut être beaucoup moins à l'aise et maladroit dans une confrontation directe avec les justiciables. Et si certains savent aisément maîtriser les incidents à l'audience, d'autres sont rapidement dépassés etc... Il ne peut donc pas être question de traquer la moindre imperfection car personne n'y échapperait. Et cela dans tous les métiers. Le contrôle du CSM doit donc se limiter à la recherche des pratiques démontrant chez les magistrats des défaillances importantes qui ne peuvent perdurer sans altérer gravement le fonctionnement de l'institution. Alors oui, si tel est le cas, la sanction doit intervenir.
2. La distinction entre manque de compétence et faute.
Il est impossible de regarder de la même façon d'une part celui qui fait au mieux de ses capacités mais dont le talent est modeste, autrement dit celui qui malgré sa bonne volonté ne peut pas faire mieux, et d'autre part celui qui pourrait aisément faire autrement mais qui par choix ne fait pas les efforts nécessaires. C'est toute la différence entre l'insuffisance et la faute. Bien sur pour le justiciable le résultat - négatif - peut être identique. Bien sur il est indispensable d'intervenir pour mettre un terme à ces défaillances quelle que soit leur origine. Mais en terme de sanction les deux situations ne peuvent pas être appréhendées de la même façon car celui qui produit un travail de mauvaise qualité alors qu'il peut aisément faire mieux est beaucoup plus fautif que celui qui essaie véritablement de faire du mieux qu'il peut.
On peut dès lors s'interroger sur la démarche récente du Ministère de la justice qui, selon la presse, aurait transmis au CSM une note soulignant des insuffisances présentant un «caractère systématique voire volontaire». C'est le « volontaire » qui retient l'attention puisque c'est l'un des composants de la faute disciplinaire. S'agit-il d'une nouvelle analyse du comportement de F. Burgaud ? Cela pourrait être tout autant une tentative de dernière minute de centrer le dossier sur sa responsabilité personnelle pour, par ricochet, écarter celle d'autres magistrats. Et ainsi mieux protéger l'institution dans son ensemble.
3. Les moyens donnés aux magistrats.
Pour que soit considéré comme fautif un magistrat dont la prestation est de mauvaise qualité, encore faut-il qu'il ait eu à sa disposition tous les moyens de faire mieux. Je vous renvoie aux précédents articles de ce blog sur les moyens matériels de la justice et les conséquences sur notre travail quotidien (cf. not. le manque de temps qui ne permet pas aux juges correctionnels de motiver toutes leurs décisions ce qui viole le droit français et a entraîné une condamnation de la cour européenne des droits de l'homme).
De la même façon, on sait bien que les jeunes juges débutants (et on est encore vraiment débutant après deux années de fonction..) ont besoin de plus de temps que leurs aînés pour travailler sur de gros dossiers. Or dans de nombreux cas au cours des années passées des juges qui se sont vus attribuer des dossiers importants n'ont pas en contrepartie été déchargés de quelques dossiers de moindre importance. Le temps qui manque parfois cruellement est alors, pour partie, à l'origine de la difficulté à traiter au mieux le dossier reçu.
Il ne s'agit pas de détourner l'attention pour éviter les sanctions. Mais il ne peut y avoir sanction que s'il y a faute, et le CSM ne peut conclure à la responsabilité personnelle et fautive d'un magistrat qu'après avoir vérifié, et constaté, qu'il disposait de tous les moyens pour faire correctement son travail.
3. Les phénomènes parasites.
C'est peu dire que dans les affaires comme celle de Outreau le juge d'instruction doit être particulièrement solide pour résister au déferlement médiatique. On a vu dans le passé d'autres magistrats se laisser emporter par le torrent de l'opinion publique.
Et rappelons nous ce qui se passe parfois quand des magistrats doutent de la culpabilité d'individus présentés publiquement comme des monstres et sont alors désignés comme des irresponsables et agressés férocement verbalement ou même physiquement.
Alors bien sur, de l'extérieur, à froid, il est possible d'affirmer qu'un magistrat doit rester totalement insensible aux humeurs de la rue ou des élus qui ne sont pas toujours en reste. Comme ce serait mieux pour chaque magistrat si tout était aussi simple...
Certes les pressions extérieures n'escusent pas tout. Mais là encore dans l'appréciation des éventuels dysfonctionnements, le CSM ne peut pas les ignorer.
4. Les autres intervenants de la procédure.
Comme cela a été dit et répété, F. Burgaud n'a pas été le seul à intervenir dans ce dossier. D'autres magistrats ont mis les « acquittés » en prison, les y ont maintenus, ont requis contre eux, et un autre juge d'instruction les a renvoyés devant la cour d'assises. C'est pourquoi, sans que cela ne puisse servir à masquer les éventuelles défaillances du juge d'instruction, ne pas replacer son activité dans un ensemble de décisions juridictionnelles qui n'ont pu que le conforter dans sa démarche ne serait pas acceptable. C'est en cela que la récente note du Ministère mentionnée plus haut est particulièrement troublante. Sans doute les erreurs des uns n'effacent pas les erreurs des autres. Mais la sanction d'un seul magistrat sans prise en compte de l'influence sur son activité des décisions des autres serait injuste, et donc inacceptable.
Par ailleurs, il a été mis en avant à l'occasion de cette affaire la piètre qualité de certaines expertises psychologiques ayant estimé les propos des mineurs plausibles (rappelez-vous l'expert indiquant qu'il fait des expertises au tarif d'une femme de ménage...), ou la tendance de l'époque à trop vouloir croire les enfants (les parlementaires avaient même envisagé une loi pour que l'on « présume » que tout enfant est crédible par principe..!).
Enfin n'oublions pas trop vite qu'à l'occasion du premier procès, après un débat au cours duquel chacun a pu s'exprimer librement sur la qualité de l'instruction, des jurés ont estimé opportun de retenir des culpabilités et de prononcer des peines de prison...
Nombreux sont donc ceux qui, a un degré ou un autre, directement ou indirectement, ont participé à la construction de ce qui allait plus tard être qualifié de "fiasco". On est alors bien loin du seul juge d'instruction.
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Ce qui se joue aujourd'hui est essentiel en terme de justice. Ce n'est pas seulement le sort de F. Burgaud qui dépend de la décision du CSM. C'est le fonctionnement de l'institution judiciaire dans son ensemble.
Soit le CSM fait la part des chose, examine le moindre recoin de cette affaire, a le courage de mettre en lumière toutes les défaillances et toutes les responsabilités, et sa décision, si elle doit contenir la sanction de manquements indiscutables, sera acceptée dans son principe. Mieux, elle pourra être une référence pour l'avenir et ainsi être bénéfique à l'ensemble du corps.
Soit le CSM élude certaines des questions pourtant inévitables, ignore délibérément une partie de la problématique, réduit son analyse à un comportement individuel, et sa décision contestée par tous n'aura pas un grand crédit.
Les défaillances des magistrats existent. Elles doivent être relevées et les réponses adéquates doivent être apportées, y compris quand cela est opportun en terme de sanction disciplinaire. Les magistrats doivent collectivement l'admettre. Il en va de leur crédibilité auprès de leurs concitoyens.
Mais il faut prendre garde à ce que le remède ne soit pire que le mal. Tel sera le cas si une sanction contre le seul F. Burgaud, même justifiée, permet à tous ceux qui se sont aussi montrés défaillants de croire qu'il est possible de continuer dans la même voie.