La légitime défense du juge
Par Michel Huyette
Voilà une démarche bien inhabituelle que celle du juge Thierry Fragnoli, juge d'instruction du pôle dit « antiterroriste » du Palais de justice de Paris. Dans une chronique publiée dans le journal Le Monde du 27 janvier 2009 il répond aux propos tenus par le député André Vallini qui s'est dit préoccupé par la façon dont est menée l'instruction du dossier « de Tarnac » (dégradations sur des lignes de chemin de fer) impliquant entre autres mis en examen Monsieur Coupat. Le député s'étonne notamment du maintien en détention de ce dernier.
Ce qui va nous retenir quelques instants ce n'est pas le fond du dossier mais la démarche du juge et la question qu'elle pose à chaque magistrat.
C'est peu dire que depuis la nuit des temps la justice déchaîne les passions. C'est un lieu où se retrouvent des opposants, où se cristallisent les conflits les plus aigüs, où se joue le sort des uns et des autres. Et comme certains « gagnent » leur procès », il y a aussi ceux qui les « perdent » et qui sont souvent sévères avec les juges pour masquer la faiblesse de leur dossier et de leur argumentation. Sans parler des réactions de ceux qui détiennent le pouvoir, politique et économique, ou qui gravitent autour, et qui trouvent insupportable, c'est un euphémisme, que la loi s'applique aussi à eux quand ils l'ont délibérément violée, et qui, plutôt que de reconnaître leur malhonnêteté démasquée, préfèrent s'en prendre au juge pour détourner l'attention.
Comprenons nous bien. Certaines des critiques émises sur le fonctionnement de la justice sont pleinement justifiées. Nous avons encore bien des progrès à accomplir dans de nombreux domaines et nous sommes parfois défaillant. Cela a déjà été souligné sur ce blog... Il n'est question aujourd'hui que des critiques injustifiées, car il y en a aussi !
Ce que les magistrats ont du mal à accepter, ce sont d'un côté les critiques plus personnalisées qui sont dirigées non plus contre une décision de « la justice » mais contre tel juge individuellement désigné, de l'autre et plus largement les tentatives de manipulation de l'opinion publique à qui l'on présente trop souvent et de façon volontairement trompeuse une justice différente de ce qu'elle est véritablement.
Et la question qui se pose aux magistrats est alors la suivante : faut-il parfois répliquer, et dans l'affirmative comment ? La réponse est complexe.
Le premier obstacle est le devoir de réserve. Et cela, il faut l'admettre, c'est bien pratique pour tous ceux qui savent qu'ils critiquent la justice ou un magistrat sans argument solide. C'est : « Je te dis toutes les horreurs qui me viennent à l'esprit mais attention, si tu as la moindre volonté de répondre, tu enfreins ton devoir de réserve et tu sera sanctionné. Donc tu dois te taire et comme cela moi je peux dire ce que je veux et je n'ai aucun risque d'être contredit ». Et toc ! Ce réflexe pour empêcher le magistrat d'exprimer son point de vue sous couvert de son devoir de réserve, on le retrouve dès les premières lignes de la réponse de Monsieur Vallini qui écrit en langage à peine codé que Thierry Fragnoli a utilisé « un ton qui ne sied guère à la fonction éminente qu'il occupe et à la sérénité qu'elle requiert ». Mais la sérénité n'impose peut-être pas de tendre la joue droite après avoir été frappé sur la gauche....
Le deuxième obstacle, c'est l'état d'esprit des magistrats. En effet il n'est pas dans nos habitudes, à cause de notre formation, de notre métier, de notre histoire collective... de nous impliquer personnellement et directement dans les polémiques autour de la justice, même si elles nous atteignent. Au-delà, il faut bien admettre qu'il existe dans la magistrature une ancienne habitude de soumission qui n'incite pas à la rébellion.
Le troisième obstacle, c'est la timidité, c'est peu dire, de la hiérarchie intermédiaire (les présidents de tribunaux et les premiers présidents de cour d'appel). Un niveau intermédiaire de réaction quand le Ministère de la justice est désespérément muet est d'autant plus indispensable qu'il est individuellement très difficile aux magistrats de répondre quand la critique porte sur la gestion d'un dossier particulier ou d'un service à l'échelon local. De fait, alors que depuis des dizaines d'années des magistrats sont régulièrement agressés quand ce n'est insultés par des tiers sans aucune raison valable, on compte sur les doigts de quelques mains les mises au point des responsables judiciaires locaux. Ou alors ceux-ci publient un communiqué dont le contenu, d'une précaution extrême, doit faire sourire ceux qui n'ont pas du tout l'intention de cesser de s'en prendre à une institution dont ils ne supportent pas les rappels à la loi.
C'est pour ces raisons que l'on comprend ce qui peut avoir incité T. Fragnoli à publier un communiqué dans Le Monde.
Mais malheureusement notre réflexion n'a pas beaucoup avancé. Car que dit le magistrat parisien dans son article : qu'il travaille en co-saisine avec deux autres juges d'instruction, mais cela tout le monde le sait, que ces magistrats ont de l'expérience, mais le mot n'a pas beaucoup de sens tant qu'il n'est pas comparé à la réalité, que si la détention doit être l'exception elle existe dans la législation, mais c'est le rappel de la loi, qu'il a confiance dans les policiers qui enquêtent, mais seul le débat public au procès montrera si cela est justifié. Et pour finir il renvoie le député dans les cordes en lui rappelant quelques conclusions issues de la commission « Outreau »...et celui-ci publie un nouveau texte dans le même journal....
J'ai pour ma part tendance à penser que les situations dans lesquelles il nous est absolument indispensable de répondre à des critiques même réellement injustifiées sont très peu fréquentes finalement. Laissons les uns et les autres s'exprimer, de bonne foi ou malhonnêtement, en ayant en tête que les plus intelligents parmi nos concitoyens sauront faire la part des choses et que, quoi que nous disions, ceux qui préfèrent le zinc du café du commerce seront toujours indifférents à nos explications. A condition toutefois que les limites de l'acceptable ne soient pas dépassées.
Par contre, je pense également qu'il nous faut réagir quand des débats fondamentaux sont lancés (actuellement sur la justice des mineurs, sur la procédure d'instruction...) pour rétablir quelques vérités malmenées et plus largement pour témoigner de ce qu'est la « vraie » justice, celle qui, on le constate journellement, est très mal connue de l'extérieur. L'objectif n'est pas de privilégier nos avis, mais de permettre à nos contitoyens de se faire une opinion sur la base d'informations exactes et fiables.
Il se peut qu'en dénonçant les mensonges et l'hypocrisie de certains discours les magistrats s'approchent des limites de leur espace de parole. Il se peut que la multiplication des articles dans les journaux, des interventions dans les medias, des blogs.. irrite ceux qui pendant si longtemps ont été les seuls à s'exprimer sur la justice et en ont profité pour multiplier supercheries et contre-vérités. Mais il s'agit là d'une légitime défense du juge.
Qui osera se lever le premier pour tenter de nous faire taire ?
Ce qui va nous retenir quelques instants ce n'est pas le fond du dossier mais la démarche du juge et la question qu'elle pose à chaque magistrat.
C'est peu dire que depuis la nuit des temps la justice déchaîne les passions. C'est un lieu où se retrouvent des opposants, où se cristallisent les conflits les plus aigüs, où se joue le sort des uns et des autres. Et comme certains « gagnent » leur procès », il y a aussi ceux qui les « perdent » et qui sont souvent sévères avec les juges pour masquer la faiblesse de leur dossier et de leur argumentation. Sans parler des réactions de ceux qui détiennent le pouvoir, politique et économique, ou qui gravitent autour, et qui trouvent insupportable, c'est un euphémisme, que la loi s'applique aussi à eux quand ils l'ont délibérément violée, et qui, plutôt que de reconnaître leur malhonnêteté démasquée, préfèrent s'en prendre au juge pour détourner l'attention.
Comprenons nous bien. Certaines des critiques émises sur le fonctionnement de la justice sont pleinement justifiées. Nous avons encore bien des progrès à accomplir dans de nombreux domaines et nous sommes parfois défaillant. Cela a déjà été souligné sur ce blog... Il n'est question aujourd'hui que des critiques injustifiées, car il y en a aussi !
Ce que les magistrats ont du mal à accepter, ce sont d'un côté les critiques plus personnalisées qui sont dirigées non plus contre une décision de « la justice » mais contre tel juge individuellement désigné, de l'autre et plus largement les tentatives de manipulation de l'opinion publique à qui l'on présente trop souvent et de façon volontairement trompeuse une justice différente de ce qu'elle est véritablement.
Et la question qui se pose aux magistrats est alors la suivante : faut-il parfois répliquer, et dans l'affirmative comment ? La réponse est complexe.
Le premier obstacle est le devoir de réserve. Et cela, il faut l'admettre, c'est bien pratique pour tous ceux qui savent qu'ils critiquent la justice ou un magistrat sans argument solide. C'est : « Je te dis toutes les horreurs qui me viennent à l'esprit mais attention, si tu as la moindre volonté de répondre, tu enfreins ton devoir de réserve et tu sera sanctionné. Donc tu dois te taire et comme cela moi je peux dire ce que je veux et je n'ai aucun risque d'être contredit ». Et toc ! Ce réflexe pour empêcher le magistrat d'exprimer son point de vue sous couvert de son devoir de réserve, on le retrouve dès les premières lignes de la réponse de Monsieur Vallini qui écrit en langage à peine codé que Thierry Fragnoli a utilisé « un ton qui ne sied guère à la fonction éminente qu'il occupe et à la sérénité qu'elle requiert ». Mais la sérénité n'impose peut-être pas de tendre la joue droite après avoir été frappé sur la gauche....
Le deuxième obstacle, c'est l'état d'esprit des magistrats. En effet il n'est pas dans nos habitudes, à cause de notre formation, de notre métier, de notre histoire collective... de nous impliquer personnellement et directement dans les polémiques autour de la justice, même si elles nous atteignent. Au-delà, il faut bien admettre qu'il existe dans la magistrature une ancienne habitude de soumission qui n'incite pas à la rébellion.
Le troisième obstacle, c'est la timidité, c'est peu dire, de la hiérarchie intermédiaire (les présidents de tribunaux et les premiers présidents de cour d'appel). Un niveau intermédiaire de réaction quand le Ministère de la justice est désespérément muet est d'autant plus indispensable qu'il est individuellement très difficile aux magistrats de répondre quand la critique porte sur la gestion d'un dossier particulier ou d'un service à l'échelon local. De fait, alors que depuis des dizaines d'années des magistrats sont régulièrement agressés quand ce n'est insultés par des tiers sans aucune raison valable, on compte sur les doigts de quelques mains les mises au point des responsables judiciaires locaux. Ou alors ceux-ci publient un communiqué dont le contenu, d'une précaution extrême, doit faire sourire ceux qui n'ont pas du tout l'intention de cesser de s'en prendre à une institution dont ils ne supportent pas les rappels à la loi.
C'est pour ces raisons que l'on comprend ce qui peut avoir incité T. Fragnoli à publier un communiqué dans Le Monde.
Mais malheureusement notre réflexion n'a pas beaucoup avancé. Car que dit le magistrat parisien dans son article : qu'il travaille en co-saisine avec deux autres juges d'instruction, mais cela tout le monde le sait, que ces magistrats ont de l'expérience, mais le mot n'a pas beaucoup de sens tant qu'il n'est pas comparé à la réalité, que si la détention doit être l'exception elle existe dans la législation, mais c'est le rappel de la loi, qu'il a confiance dans les policiers qui enquêtent, mais seul le débat public au procès montrera si cela est justifié. Et pour finir il renvoie le député dans les cordes en lui rappelant quelques conclusions issues de la commission « Outreau »...et celui-ci publie un nouveau texte dans le même journal....
J'ai pour ma part tendance à penser que les situations dans lesquelles il nous est absolument indispensable de répondre à des critiques même réellement injustifiées sont très peu fréquentes finalement. Laissons les uns et les autres s'exprimer, de bonne foi ou malhonnêtement, en ayant en tête que les plus intelligents parmi nos concitoyens sauront faire la part des choses et que, quoi que nous disions, ceux qui préfèrent le zinc du café du commerce seront toujours indifférents à nos explications. A condition toutefois que les limites de l'acceptable ne soient pas dépassées.
Par contre, je pense également qu'il nous faut réagir quand des débats fondamentaux sont lancés (actuellement sur la justice des mineurs, sur la procédure d'instruction...) pour rétablir quelques vérités malmenées et plus largement pour témoigner de ce qu'est la « vraie » justice, celle qui, on le constate journellement, est très mal connue de l'extérieur. L'objectif n'est pas de privilégier nos avis, mais de permettre à nos contitoyens de se faire une opinion sur la base d'informations exactes et fiables.
Il se peut qu'en dénonçant les mensonges et l'hypocrisie de certains discours les magistrats s'approchent des limites de leur espace de parole. Il se peut que la multiplication des articles dans les journaux, des interventions dans les medias, des blogs.. irrite ceux qui pendant si longtemps ont été les seuls à s'exprimer sur la justice et en ont profité pour multiplier supercheries et contre-vérités. Mais il s'agit là d'une légitime défense du juge.
Qui osera se lever le premier pour tenter de nous faire taire ?