Le difficile choix d'une sanction pénale
Plusieurs procès très récents sont l’occasion de s’arrêter un instant sur l’une des plus délicates questions qui se pose au juge, le choix de la sanction pénale. Toutefois il ne s’agit pas d’une réflexion générale sur le choix de la peine à infliger à un délinquant, mais sur la problématique suivante : dans quelle proportion faut-il tenir compte d’une part de la nature de la faute commise, et d’autre part de la conséquence de cette faute ? Mais soyons concrets.
Il y quelques jours une cour d’assises a jugé plusieurs jeunes filles qui, pour se venger après une dispute avec d’autres jeunes, ont mis le feu à des boîtes aux lettres. Partons de cette hypothèse de départ et éloignons nous de la réalité de cette affaire (dont ni vous ni moi ne connaissons les détails) pour poser quelques questions de principe.
Si l’on s’en tient à l’acte, soit mettre le feu à une boîte aux lettres, et que l’on suppose un instant que rien d’autre ne se soit passé, la faute n’est pas très grave comparativement à de nombreuses infractions. C’est seulement la destruction d’un objet de faible valeur ce qui, pour un primo délinquant, peut justifier une simple mesure de réparation (l’achat d’une boîte aux lettres de remplacement) ainsi qu’une convocation chez le délégué du procureur pour que des excuses soient présentées au propriétaire de la boîte détruite.
Mais l’on sait aussi que le feu s’est propagé à d’autres parties de l’immeuble, qu’il a dégagé d’importantes fumées toxiques, et que cela a entraîné le décès de plusieurs des habitants. Il est toutefois possible que les jeunes filles n’aient à aucun moment voulu autre chose que la destruction des boîtes aux lettres, et n’aient même pas pensé que leur geste puisse occasionner d’autres dégâts. Mais l’on peut tout autant retenir à l’inverse qu’elles avaient forcément conscience du risque créé en mettant le feu et qu’elles savaient, même si elles ne le voulaient pas, qu’il existait un risque de contagion de l’incendie vers d’autres parties de l’immeuble.
Maintenant, mettez vous un instant à la place d’un juré, au moment du délibéré de la cour d’assises et du choix de la sanction. Quel raisonnement suivriez-vous ? Prendriez-vous en compte principalement la nature de la faute initiale (peu grave) et l’état d’esprit des jeunes filles (pas de volonté de nuire gravement) pour prononcer une sanction modérée ? Estimeriez-vous au contraire que la conscience du danger créé et la conséquence de l’acte sont des éléments essentiels et par voie de conséquence que la sanction doit être sévère ? Choisiriez-vous un entre-deux ?
Cette problématique - gravité de la faute/conséquence de la faute - se retrouve dans l’affaire de cette infirmière qui s’est trompée de médicament à injecter, ce qui a entraîné le décès d’un très jeune enfant. S’il est démontré que cette infirmière est habituellement compétente, attentive, qu’elle fait un travail de qualité, décideriez-vous de ne prononcer qu’une sanction de principe au motif que la faute, une erreur involontaire de flacon, ne justifie pas une sanction importante ? A l’inverse, jugeriez-vous que la conséquence de l’erreur, un décès, rend indispensable le prononcé d’une peine élevée ? Ou, ici encore dans un entre-deux, estimeriez-vous que, même en ne prenant pas uniquement en compte sa conséquence, la faute initiale est en elle-même inexcusable en ce sens qu’une lecture attentive de l’étiquette du flacon aurait inéluctablement permis à l’infirmière de se rendre compte qu’elle tendait la main vers le mauvais produit ?
Dans ces deux hypothèses la sanction, de quelque ampleur qu’elle soit, a été et risque d’être mal acceptée. Trop indulgente, elle entraîne la révolte de la famille des victimes. Trop sévère, elle est incompréhensible pour les accusées et leur entourage, et peut avoir sur leur évolution personnelle, familiale et professionnelle, des conséquences hors de proportion avec leur état d’esprit au moment de la commission de la faute à l’origine d’un drame.
Pour finir, éloignons nous un instant de ces affaires inhabituelles pour revenir au quotidien de la justice pénale.
Chaque jour, les juges doivent faire face à des interrogations identiques notamment dans un domaine ou les infractions sont très nombreuses : les accidents de la circulation. Prenons encore un exemple.
Un automobiliste double la voiture qui le précède en franchissant une ligne blanche dans une montée, ce qui lui interdit de voir sur une très longue distance si une voiture risque d’arriver en face de lui pendant le dépassement. Le fait qu’une voiture arrive ou n’arrive pas est un pur hasard, et ne dépend aucunement du conducteur qui viole le code de la route et est très imprudent en doublant avec une visibilité réduite. D’où la question suivante : faut-il punir plus sévèrement le conducteur si une voiture vient en face et s’il y a un accident, et moins sévèrement s’il n’y a qu’un dépassement dangereux, ce qui signifie tenir compte de la conséquence de la faute plus que de la faute en elle-même ? Ou doit-on punir ce conducteur de la même façon qu’il y ait ou non un accident au motif que c’est sa dangerosité qui est sanctionnée et que ce n’est que par chance si aucun véhicule n’est arrivé en face pendant le dépassement ?
Les magistrats ne sont pas tous du même avis. Et le vôtre est certainement aussi justifié que le nôtre.
Quoi qu’il en soit, le but de cet article est de souligner combien il nous est souvent difficile, à nous les juges, de choisir une sanction pénale quand il y a plusieurs façons d’appréhender un dossier. Les jurés qui se joignent à nous à la cour d’assises en font très vite l’expérience.
C’est pourquoi il n’est pas rare qu’une fois l’audience terminée, sur le chemin du retour, nous nous demandions encore si nous avons eu raison ou tort au moment de choisir la sanction dans un dossier particulièrement délicat. Mais il faut bien trancher.
C’est le travail du juge….