Assimilation et nationalité française, une décision du Conseil d'Etat
Par Michel Huyette
Une récente décision du Conseil d'Etat (arrêt du 27/06/08) fait grand bruit, et soulève des questions de société particulièrement délicates.
Une femme de nationalité étrangère qui a épousé un homme français souhaite acquérir la nationalité française. Le code civil, dans une section intitulée "acquisition de la nationalité à raison du mariage", prévoit que l'étanger qui se marie avec un français peut après quatre années de mariage obtenir la nationalité française, sous réserve d'une vie commune permanente et d'une connaissance suffisante de la langue française. Toutefois, même lorsque ces conditions sont réunies, le gouvernement peut s'opposer à l'acquisition de la nationalité française notamment en cas de "défaut d'assimilation". La décision de refus est alors notifiée à l'intéressé qui peut la contester devant la juridiction administrative. C'est un tel refus qui est à l'origine de cette affaire.
Le Conseil d'Etat a jugé dans un paragraphe essentiel que : "si Mme M. possède une bonne maîtrise de la langue française, elle a cependant adopté une pratique radicale de sa religion, incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment avec le principe d'égalité des sexes ; qu'ainsi, elle ne remplit pas la condition d'assimilation posée par l'article 21-4 précité du code civil".
Le lecteur sera tout de suite tenté - à juste titre - de critiquer cette décision en ce qu'elle ne donne aucune indication d'aucune sorte sur les éléments concrets qui justifient cette affirmation pour le moins laconique. Et l'on ajoutera que si depuis des années les juridictions judiciaires essaient de rendre leurs décisions plus lisibles et plus compréhensibles car mieux argumentées, bien du chemin reste encore à parcourir dans les juridictions administratives...
Quoi qu'il en soit, c'est le fond de l'affaire qui retient l'attention.
D'abord, le débat est ouvert sur ce qui caractérise "l'assimiliation". Derrière ce mot apparaissent les notions de rapprochement, d'intégration, de partage de valeurs à défaut d'identification. Etre assimilé c'est partager suffisamment les options fondamentales d'un groupe social et ne pas s'en démarquer au point de lui rester étranger. Là où dans notre affaire le débat est particulièrement difficile est qu'il s'agit de religion. Or la France est un pays laïque qui autorise l'expression de convictions religieuses diverses, et qui, pour chaque confession, permet même des pratiques exigeantes. Et dans bien des religions reconnues des individus vivent dans notre pays à la marge du groupe social.
Mais ce que retient le Conseil d'Etat pour admettre le refus d'acquisition de la nationalité française, ce n'est pas l'appartenance religieuse en soi. Il ne condamne pas le mode de vie de la femme qui l'a saisi. Il constate que la pratique religieuse intégriste (respect absolu de la règle suivie) de celle-ci aboutit à un mode de vie qui ne reconnaît pas l'une de nos valeurs qu'est légalité entre hommes et femmes. Il semblerait que ce soit dans ce dossier à cause du port d'une burqua qui, il est vrai, caractérise un emprisonnement et une ségrégation de la femme par le biais d'un vêtement qui lui interdit presque toute vie sociale. Il semble alors raisonnablement possible de conclure qu'une femme qui vit de telle façon n'est pas dans un processus d'assimilation aux valeurs fondamentales d'une démocratie occidentale. En ce sens la décision du Conseil d'Etat est peu contestable.
Se pose ensuite la question de l'avenir de cette femme et des membres de sa famille d'autant plus, il ne faut pas l'oublier, que même si le refus qui lui a été opposé n'entraînera pas son départ de France, ce n'est pas rien pour elle, c'est peu dire, d'être désignée comme française ou étrangère, tant d'un point de vue moral, social, juridique que psychologique. Pour tous les membres de cette famille, l'enjeu va bien au delà d'une simple pièce d'identité.
On pourrait naïvement espérer que la décision du Conseil d'Etat infléchisse la réflexion du couple et ses pratiques religieuses. Mais, pour ce qui concerne cette femme, il n'est pas certain que son intégrisme religieux soit le résultat d'un choix personnel véritablement libre, ni qu'un éventuel souhait de mieux s'intégrer en France puisse prospérer et même s'exprimer.
C'est là que se trouve le véritable enjeu de cette affaire, et c'est aussi cela le message du Conseil d'Etat : aujourd'hui, en France, il ne devrait plus y avoir de place pour l'esclavage religieux des femmes.
- à lire également : "Mariage, virginité, mensonge, annulation, quelques réflexions autour d'un récent jugement du tribunal de Lille".
Une récente décision du Conseil d'Etat (arrêt du 27/06/08) fait grand bruit, et soulève des questions de société particulièrement délicates.
Une femme de nationalité étrangère qui a épousé un homme français souhaite acquérir la nationalité française. Le code civil, dans une section intitulée "acquisition de la nationalité à raison du mariage", prévoit que l'étanger qui se marie avec un français peut après quatre années de mariage obtenir la nationalité française, sous réserve d'une vie commune permanente et d'une connaissance suffisante de la langue française. Toutefois, même lorsque ces conditions sont réunies, le gouvernement peut s'opposer à l'acquisition de la nationalité française notamment en cas de "défaut d'assimilation". La décision de refus est alors notifiée à l'intéressé qui peut la contester devant la juridiction administrative. C'est un tel refus qui est à l'origine de cette affaire.
Le Conseil d'Etat a jugé dans un paragraphe essentiel que : "si Mme M. possède une bonne maîtrise de la langue française, elle a cependant adopté une pratique radicale de sa religion, incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment avec le principe d'égalité des sexes ; qu'ainsi, elle ne remplit pas la condition d'assimilation posée par l'article 21-4 précité du code civil".
Le lecteur sera tout de suite tenté - à juste titre - de critiquer cette décision en ce qu'elle ne donne aucune indication d'aucune sorte sur les éléments concrets qui justifient cette affirmation pour le moins laconique. Et l'on ajoutera que si depuis des années les juridictions judiciaires essaient de rendre leurs décisions plus lisibles et plus compréhensibles car mieux argumentées, bien du chemin reste encore à parcourir dans les juridictions administratives...
Quoi qu'il en soit, c'est le fond de l'affaire qui retient l'attention.
D'abord, le débat est ouvert sur ce qui caractérise "l'assimiliation". Derrière ce mot apparaissent les notions de rapprochement, d'intégration, de partage de valeurs à défaut d'identification. Etre assimilé c'est partager suffisamment les options fondamentales d'un groupe social et ne pas s'en démarquer au point de lui rester étranger. Là où dans notre affaire le débat est particulièrement difficile est qu'il s'agit de religion. Or la France est un pays laïque qui autorise l'expression de convictions religieuses diverses, et qui, pour chaque confession, permet même des pratiques exigeantes. Et dans bien des religions reconnues des individus vivent dans notre pays à la marge du groupe social.
Mais ce que retient le Conseil d'Etat pour admettre le refus d'acquisition de la nationalité française, ce n'est pas l'appartenance religieuse en soi. Il ne condamne pas le mode de vie de la femme qui l'a saisi. Il constate que la pratique religieuse intégriste (respect absolu de la règle suivie) de celle-ci aboutit à un mode de vie qui ne reconnaît pas l'une de nos valeurs qu'est légalité entre hommes et femmes. Il semblerait que ce soit dans ce dossier à cause du port d'une burqua qui, il est vrai, caractérise un emprisonnement et une ségrégation de la femme par le biais d'un vêtement qui lui interdit presque toute vie sociale. Il semble alors raisonnablement possible de conclure qu'une femme qui vit de telle façon n'est pas dans un processus d'assimilation aux valeurs fondamentales d'une démocratie occidentale. En ce sens la décision du Conseil d'Etat est peu contestable.
Se pose ensuite la question de l'avenir de cette femme et des membres de sa famille d'autant plus, il ne faut pas l'oublier, que même si le refus qui lui a été opposé n'entraînera pas son départ de France, ce n'est pas rien pour elle, c'est peu dire, d'être désignée comme française ou étrangère, tant d'un point de vue moral, social, juridique que psychologique. Pour tous les membres de cette famille, l'enjeu va bien au delà d'une simple pièce d'identité.
On pourrait naïvement espérer que la décision du Conseil d'Etat infléchisse la réflexion du couple et ses pratiques religieuses. Mais, pour ce qui concerne cette femme, il n'est pas certain que son intégrisme religieux soit le résultat d'un choix personnel véritablement libre, ni qu'un éventuel souhait de mieux s'intégrer en France puisse prospérer et même s'exprimer.
C'est là que se trouve le véritable enjeu de cette affaire, et c'est aussi cela le message du Conseil d'Etat : aujourd'hui, en France, il ne devrait plus y avoir de place pour l'esclavage religieux des femmes.
- à lire également : "Mariage, virginité, mensonge, annulation, quelques réflexions autour d'un récent jugement du tribunal de Lille".