Trois femmes exceptionnelles
Quand je suis arrivé elles étaient déjà là, toutes les trois assises et serrées sur le banc. J'ai tout de suite vu dans leur regard combien elles étaient anxieuses. Et je savais pourquoi.
L'une était mère de famille mais, parce que sa vie avait pendant un temps sombré dans le chaos, l'enfant qu'elle avait mis au monde lui avait été retirée peu après sa naissance.
La jeune fille entre les deux femmes était cette enfant. Elle avait treize ans.
L'autre femme était l'assistante maternelle qui l'élevait depuis qu'elle lui avait été confiée bébé.
Je les avais convoquées toutes les trois pour un moment qui allait être, je le savais aussi, d'une rare intensité. Car la mère de famille avait, pas après pas, remonté une pente qui pourtant était raide. Aidée de travailleurs sociaux, faisant preuve d'une ténacité et d'un courage si souvent mis à rude épreuve, elle avait retrouvé après des années d'errance un mode de vie qui lui permettait d'envisager le retour de sa fille auprès d'elle. Et c'est ce qu'elle avait demandé. Mais encore fallait-il l'accord du juge des enfants. Mon accord.
J'ai souri, intérieurement, en les voyant choisir leur siège. La jeune fille s'est tout de suite placée au milieu. Ainsi elle serait à égale distance des deux femmes. A treize ans elle savait déjà qu'un geste en dit parfois plus long qu'une parole. Puis la mère s'est assise à droite, et l'assistante maternelle à gauche.
La mère, avec beaucoup d'émotion, a raconté son parcours depuis notre dernière rencontre, parcours que je savais très positif après la lecture des rapports des services sociaux. Dans un état de grande tension, elle m'a demandé de bien vouloir autoriser le retour de sa fille auprès d'elle. Sa crainte d'une réponse négative devait être une véritable torture.
La jeune fille, pour qui tout semblait étonnamment simple, a dit que dorénavant sa place était auprès de sa mère, en qui maintenant elle avait de nouveau confiance. Mais elle a ajouté qu'elle adorait son assistante maternelle dont la maison resterait comme sa deuxième famille.
Sur le chemin du tribunal ce jour là, je m'étais surtout demandé comment l'assistante maternelle pouvait supporter de voir partir la jeune fille qu'elle avait accueillie toute petite et à qui elle avait donné son affection pendant douze années. Ce qui lui était demandé me semblait tellement énorme. Mais cette femme est restée neutre, sereine, a souligné les efforts de la maman, et a dit comprendre le souhait de l'enfant de retourner vivre dans sa famille. A aucun moment pendant toutes ces années cette femme n'avait critiqué la mère, même quand cette dernière avait des attitudes très contestables, ceci afin de préserver autant que possible le lien mère/enfant. J'ai rarement ressenti une telle admiration envers quelqu'un.
Essayant de dissimuler au mieux mes propres émotions, j'ai dit que oui, le moment était venu de mettre fin à l'accueil de la jeune fille hors de sa famille, et que la maman allait pouvoir la récupérer.
Dès que j'ai eu fini de parler l'adolescente s'est jetée au cou de l'assistante maternelle et l'a embrassée longuement. Puis elle a rapproché sa chaise de celle de sa mère et l'a prise par le bras.
L'après-midi j'ai rédigé mon jugement. Au-delà du constat de la disparition de tout danger pour l'enfant, j'ai surtout souligné l'attitude exceptionnelle de ces trois femmes. Elles le méritaient tellement.