A propos de la notation des enseignants, et de quelques autres professionnels
Par Michel Huyette
Le tribunal de Paris vient de rendre sa décision dans l'affaire opposant des enseignants et leurs syndicats d'un côté, le responsable d'un site permettant la notation nominative des profs de l'autre. Les premiers ont sans doute eu raison de contester quelques aspects du fonctionnement de ce site (absence de contrôle et caractère absurde de certaines appréciations, noms d'enseignants décédés etc..). Mais le débat ne peux pas en rester là. En tous cas, on se demande d'où vient l'attrait pour un site qui permet de donner un avis sur les aptitudes professionnelles des enseignants. En général quand un site internet qui propose un service est pris d'assaut, c'est parce qu'il répond à un besoin qui n'est pas (suffisamment) satisfait par ailleurs. L'offre sur internet est telle aujourd'hui que les sites sans réel intérêt n'ont qu'une existence éphémère. Si les élèves se sont rués vers le site poursuivi en justice, c'est probablement, au delà du caractère nouveau et amusant de son fonctionnement, que nombreux sont ceux qui ont ressenti un fort besoin de donner d'une façon ou d'une autre leur avis sur ce qu'ils vivent en classe, sur la façon dont les enseignants se comportent avec eux, sur ce qui les satisfait mais aussi ce qui les choque ou les blesse. Et on comprend aisément la démarche. Rien n'est plus frustrant que de recevoir des appréciations d'un notateur sans pouvoir à l'inverse souligner ses qualités et ses défauts, surtout quand les seconds priment largement sur les premières. Le système de notation devient même insupportable quand celui qui note est un individu de médiocre qualité dont la façon d'élaborer ses appréciations est aberrant. Or, tous les élèves et tous les parents d'élèves le savent, on trouve de tout, vraiment de tout dans les établissements scolaires (comme dans tous les corps de métiers sans exception....). A côté d'enseignants exemplaires se trouvent des paresseux, des maladroits, des agressifs, des peu pédagogues, en tous cas des enseignants qui sont pour partie responsables des mauvais résultats dans leur classe. Nous en connaissons tous.
Au delà de la simple notation des profs par leurs élèves, ce qui est souhaité sans que cela soit exprimé clairement, c'est la mise en place d'un mécanisme venant pondérer les appréciations injustifiées de certains enseignants. Car il suffit d'assister à quelques conseils de classe pour se rendre compte que les responsables des établissements, bien que connaissant le mode de fonctionnement de certains profs, ne font rien pour corriger les excès de leurs notations. D'où une compréhensible frustration de ceux qui en sont injustement les victimes : les élèves.
En réaction à l'affaire du site, le ministère de la justice a avancé l'idée d'une évaluation plus fréquente des enseignants. Le message est le suivant : vous voulez plus de contrôle, d'accord, mais nous allons l'organiser et l'effectuer nous-mêmes. C'est moins risqué sans doute. Mais un inspecteur qui passe une heure ou deux dans une classe, qui se trouve en face d'un enseignant qui du fait de cette présence va adapter sa façon d'agir, est-il en mesure de percevoir suffisamment la façon d'être de l'enseignant lorsqu'il est seul, jour après jour, avec ses élèves : écoute, sens du dialogue, pédagogie, gestion des conflits, etc.. Or, à part l'enseignant, les élèves sont les mieux placés pour décrire ce qui se passe vraiment dans la classe. Et il ne suffit pas, pour les tenir à l'écart, d'affirmer d'un revers de phrase qu'en interrogeant à la sortie d'un conseil de classe l'élève qui vient d'être sanctionné à juste titre l'avis émis ne sera pas forcément objectif, ce genre d'affirmation ayant essentiellement pour objectif de discréditer en bloc l'ensemble des appréciations critiques des élèves alors que certains d'entre eux sont tout à fait aptes a émettre des avis raisonnable et intelligemment motivés. Car derrière la saisine du tribunal, et sous couvert de questions juridiques, se dissimule certainement chez les enseignants une forte crainte d'entendre des critiques susceptibles d'être justifiées.
L'éducation nationale devrait donc rechercher comment être plus à l'écoute des élèves, comment mieux prendre en compte leurs remarques critiques concernant les enseignants. Le recours à un site perdrait alors son intérêt. Mais une telle démarche demande beaucoup de courage, et d'humilité.
Il en va de même pour les magistrats, chez qui la question de la notation est un véritable serpent de mer. Certains, qui siègent régulièrement en audience, sont notés sans qu'une seule fois leur chef de juridiction ne vienne regarder comment ils travaillent. Et il arrive aussi que le chef de juridiction ne lise jamais les décisions rendues par les magistrats qu'il note. En plus, cela pourra surprendre, il n'existe à ce jour aucun « guide des bonnes pratiques » pouvant servir de support à une comparaison entre ce qui est fait et ce qui devrait être fait. La magistrature, pour ce qui concerne le contrôle du travail de ces membres, est en permanence dans le flou, l'incertain, et la subjectivité prend souvent le pas sur une analyse objective et sérieuse des aptitudes des magistrats. Dans ce domaine tout reste à faire tant le système actuel est aberrant.
En tous cas, puisque c'est le sujet du jour, une interrogation reste encore sans réponse convaincante : les avis des usagers de la justice doivent-ils être recueillis et si oui comment ?
Dans ce secteur d'activité, c'est infiniment compliqué, tant il est traversé par les passions, les rancoeurs, les haines, les conflits, les intérêts divergents. Il est certain que ce n'est pas à celui qui vient de perdre son procès qu'il faut demander un avis distancié et objectif sur la justice. Par ailleurs, la pratique de la cour d'assises montre à quel point les citoyens qui deviennent jurés sont étonnés par ce qu'ils découvrent. Au demeurant, la plupart du temps ils repartent avec une opinion bien plus positive qu'à leur arrivée. Cela montre combien les préjugés sur la justice sont nombreux.
Mais l'on sait tout autant qu'au milieu d'un grand nombre de commentaires découlant d'une insatisfaction illégitime après une décision justifiée, se glissent des remarques mettant en lumière de réels dysfonctionnements.
Quoi qu'il en soit, nous ne savons toujours pas quel système mettre en place pour recueillir les avis des usagers de la justice. L'erreur fréquemment commise est de n'envisager qu'un système de recueil des plaintes, quand il devrait s'agir d'obtenir tous les avis utiles. Sur ces questions le débat reste ouvert.
Finalement, parce qu'une telle démarche est compliquée et semée d'embûches, avant même de s'interroger sur la façon dont pourraient être mieux pris en compte les avis des usagers de la justice, il faut prioritairement mettre en place un système de contrôle interne fiable, irréprochable, avec des critères d'appréciation clairs, permanents, et indiscutables.
Mais il faudra se débarrasser de bien des tares actuelles. Un exemple suffira : comment un chef de juridiction qui a pour préoccupation principale le nombre des décisions rendues et l'oeil en permanence rivé sur les statistiques (si les chiffres sont élevés son bilan personnel apparaîtra alors flatteur, ce qui pourra être bien utile au moment de solliciter la promotion tant désirée...) peut-il apprécier honnêtement le travail de magistrats de sa juridiction qui, à cause de la pression qu'il exerce quotidiennement sur eux pour qu'ils rendent un maximum de décisions, n'ont plus la possibilité de garantir une qualité minimale de leurs prestations ?
De ce côté aussi tout reste à faire.
Mais finissons par une note positive car dans la magistrature il y a des choses que nous faisons très bien. Nous savons parfaitement organiser de magnifiques colloques sur l'éthique, la déontologie, les bonnes pratiques, et toutes ces choses qui nous permettent de nous convaincre que nous sommes soucieux de bien faire.
Et peu importe si le lendemain nous faisons exactement le contraire.