Faut-il faire entrer les caméras dans les salles d'audience ?
Par Michel Huyette
Lors de son discours de rentrée, le procureur général de la cour d'appel de Paris a relancé le débat sur la présence des caméras dans les palais de justice, et sur l'opportunité de laisser les journalistes filmer certains procès. Le débat n'est pas nouveau, et il a déjà suscité bien des réflexions. En voici quelques une pour l'alimenter.
Lors de son discours de rentrée, le procureur général de la cour d'appel de Paris a relancé le débat sur la présence des caméras dans les palais de justice, et sur l'opportunité de laisser les journalistes filmer certains procès. Le débat n'est pas nouveau, et il a déjà suscité bien des réflexions. En voici quelques une pour l'alimenter.
- Il semble y avoir autant de raisons pour autoriser la présence des caméras dans les salles d'audience que pour les interdire. Il est impossible d'arriver rapidement à une conclusion simple et acceptable par tous. Il s'agit d'une question très complexe qui nécessite une approche particulièrement prudente. En tous cas actuellement la réglementation est restrictive. Le principe est l'interdiction de l'enregistrement audiovisuel des procès, et l'autorisation l'exception. Toutefois, parce qu'il existe au sein de l'institution judiciaire, chez une part de plus en plus grande de magistrats, une volonté d'ouvrir plus largement qu'avant ses portes aux regards extérieurs, des autorisations ont été ponctuellement données, et l'on constate que de plus en plus souvent les télévisions diffusent l'enregistrement de séquences tournées dans les salles d'audience. Il s'agit là d'expériences qui viennent enrichir la réflexion des professionnels.
- En laissant de côté la règle en vigueur pour avancer dans le débat, l'enregistrement suivi de diffusion d'un procès peut être considéré comme une nouvelle forme de "publicité" élargie. Cette pratique peut donc concerner les audiences déjà publiques. A l'inverse, il ne peut y avoir d'enregistrement là où la loi interdit formellement la présence du public. C'est le cas, notamment, chez le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants. De fait, ceux qui réfléchissent à l'enregistrement des procès pensent essentiellement à la justice pénale.
- Que les français puissent voir directement comment certains procès se déroulent aurait certainement une vertu pédagogique. Tant de remarques sont lancées qui ne correspondent pas à la réalité de la justice quotidienne qu'il serait bon que ceux qui sont à l'extérieur se fassent une opinion non plus seulement à travers ce qu'ils entendent de la bouche des justiciables, des avocats, des juges, ou des journalistes, mais par eux-mêmes, après avoir découvert de leurs propres yeux et de leurs propres oreilles comment la justice fonctionne "en vrai". Les commentaires des jurés qui, à la cour d'assises, entrent pour la première fois de leur vie au cœur de la justice réelle sont toujours très révélateurs. Très nombreux sont ceux qui disent en fin de session, au moment du bilan, à quel point la justice qu'ils ont découverte est différente de celle qu'ils imaginaient. Notons au passage que la plupart du temps ce qu'ils ont vu est à leurs yeux beaucoup plus positif que ce qu'ils avaient en tête.
- Mais à supposer le principe de l'enregistrement de certains procès admis, les difficultés arrivent en cascade et elles sont tout sauf simples à surmonter.
Laisser filmer un procès suppose que la présence des caméras n'en modifie pas le déroulement. Certains diront que les audiences pénales sont déjà publiques. Sans doute, mais c'est une chose de s'exprimer avec quelques personnes derrière soi dans la salle, s'est autre chose d'être vu par la France entière à la de télévision. Et si pour le prévenu la rencontre avec le public est inéluctable, il n'en va pas de même pour les témoins qui n'ont pas souhaité être là et qui peuvent vouloir préserver autant que possible leur vie privée. Par ailleurs, la prise de paroles est déjà suffisamment difficile pour certains de ceux qui s'expriment au cours d'un procès qu'elle ne doit pas être rendue encore plus difficile à cause de la présence de caméras. Devant la cour d'assises le débat est oral, les jurés n'ayant pas accès au dossier écrit. Il serait donc inacceptable qu'une personne ayant des choses importantes à exprimer se taise à cause de la présence des caméras. Cela pourrait gravement nuire à la compréhension de l'affaire ce que personne ne peut accepter. C'est pourquoi il est plus que difficile d'envisager un système dans lequel la présence des caméras serait imposée aux participants au procès.
Même si les participants au procès acceptent d'être filmés, la façon dont ils vont s'exprimer, dans la forme et sur le fond, peut en être modifiée. Et pas seulement dans le sens de la réserve. Certains accusés ou témoins, ou certains professionnels, pourront être tentés d'utiliser l'enregistrement du procès comme une tribune, ou comme un moyen de bénéficier d'une publicité peu onéreuse. Il suffit de voir comment certains d'entre eux se précipitent vers les caméras en fin de chaque journée d'un procès médiatique pour craindre que la présence permanente de ces mêmes caméras dans la salle d'audience n'induise des propos ou des comportements qui en leur absence n'auraient pas trouvé leur place. C'est tout le procès qui s'en trouverait vicié.
- Si le droit d'enregistrement audiovisuel devient la règle après avoir été l'exception, s'agirait-il d'autoriser des journalistes à enregistrer des procès puis à en extraire des séquences pour proposer aux chaînes de grande écoute un film d'une durée raisonnable et habituelle (de une à deux heures), ou de favoriser l'enregistrement intégral de procès ? La seconde hypothèse est manifestement exclue, à l'exception de certains procès présentant un intérêt exceptionnel ou historique. Aucune chaîne ordinaire ne peut diffuser l'enregistrement intégral de procès ayant duré des jours, des semaines ou quelques fois des mois.
- C'est alors qu'apparaissent les difficultés les plus difficiles à surmonter. Parce que l'enregistrement d'un "vrai" procès ne peut pas être assimilé à une fiction à laquelle l'auteur est libre de donner le scénario que bon lui semble, ce qui est diffusé doit, même en extraits, retranscrire fidèlement les enjeux et débats essentiels du procès filmé. Cela veut dire concrètement que aucun des éléments principaux, à décharge ou à charge, ne peut être laissé de côté par le réalisateur du film. On ne pourrait en effet admettre que l'opinion du téléspectateur soit biaisée par un mauvais choix de séquences. Dès lors, faut-il prévoir et imposer un mécanisme de contrôle lors du choix des séquences et de leur montage ? Mais dans l'affirmative par qui et sous quelle forme ? Chaque intervenant doit-il être autorisé à dire : "vous avez choisi telle phrase de ma déposition mais vous avez oublié telle phrase plus importante" ? Les avocats peuvent-ils avoir le droit d'exiger que plus d'extraits favorables à leur client soient inclus ? Le président de la juridiction doit-il vérifier que le film préserve les données essentielles du procès ? etc… On voit bien tout de suite à quel point l'objectif, veiller à ce que le film soit suffisamment fidèle au procès, est difficile à ateindre. C'est bien pour cela qu'entre un projet acceptable, faire mieux connaître le fonctionnement de l'institution judiciaire, et les risques inhérents à la diffusion d'extraits de procès, le pas à franchir semble immense et le gué peu praticable.
- Faut-il en définitive conserver plus ou moins le système d'autorisations ponctuelles ? Quoi qu'il en soit, plusieurs conditions minimales doivent être impérativement remplies : que tous les participants (magistrats, avocats, accusés, témoins principaux et experts) soient d'accord avec cet enregistrement, que le journaliste présente un projet et s'engage sur des modalités de montage ayant pour objet de préserver les équilibres essentiels du procès, et qu'il accepte de montrer son film avant sa remise à une chaîne de télévision afin que les professionnels, avocats et magistrats du siège et du parquet, puissent non pas lui donner des injonctions mais au moins lui présenter des remarques.
- C'est ainsi qu'il a été procédé quand il y a quelques mois un journaliste m'a demandé l'autorisation de filmer un procès d'assises. J'ai accepté parce que ce journaliste aux fortes exigences déontologiques avait déjà réalisé des films de grande qualité sur la justice, en France et à l'étranger. Il s'était engagé à nous montrer son film et à tenir le plus grand compte des remarques qui lui seraient faites. Et tous ceux qui ont visionné le document ont salué l'excellence de son travail. Mais l'équilibre est toujours précaire et le risque de dérapage permanent.
- Finalement, même si les obstacles à surmonter sont impressionnants, le débat sur l'enregistrement audiovisuel de procès doit rester ouvert. Mais l'institution judiciaire est tiraillée entre un objectif pédagogique, montrer plus qu'avant comment elle fonctionne, et la protection des intérêts de tous ceux qui sont appelés à comparaître devant un juge. En tous cas, ce dernier impératif sera toujours le plus important de tous. C'est sans doute le seul aspect du débat qui fera unanimité.