Marketing judiciaire
Par Michel Huyette
Dans un récent article publié sur son blog, la journaliste du Monde Pascale Robert-Diard met en avant le nombre d'acquittements obtenus par un avocat pénaliste bien connu du grand public.
Le titre de son texte est "64 acquittements au compteur".
Il y est précisé que cet avocat exerce sa profession depuis 1984, soit depuis 23 années. Cela correspond mathématiquement à moins de 3 acquittements par an.
Ce que le lecteur remarque tout d'abord, c'est qu'il n'est fait aucune comparaison avec les résultats obtenus par d'autres avocats. Or le score mis en avant, pour souligner ce qui semble être une compétence exceptionnelle, ne peut être considéré comme flatteur que s'il est très différent de ce que obtiennent les centaines d'autres avocats pénalistes de France. Mais sur ce point le lecteur n'en saura pas plus.
Ensuite, il est écrit que cet avocat a obtenu le plus grand nombre d'acquittements en France. Mais l'affirmation ne vaut que si l'on met en relation le nombre d'acquittements obtenus et le nombre de dossiers traités. En effet, un avocat qui plaide 10 dossiers et obtient 2 acquittements (donc dans 20 % de ses affaires) est plus efficace qu'un avocat qui en plaide 50 et qui en obtient 4 (donc dans 8 % de ses affaires). Mais le second, s'il est malin et peu embarrassé par la morale, va pour se mettre en avant proclamer qu'il en obtient deux fois plus!
D'autre éléments doivent être introduits dans la réflexion sur les résultats des "ténors" du barreau.
Chaque année, toutes les cours d'assises de première instance ou d'appel prononcent des acquittements. Ce qui est présenté implicitement dans l'article du Monde comme un phénomène inhabituel est donc plutôt banal. Toute l'habileté des avocats à la recherche de publicité est de transformer quelque chose d'ordinaire en victoire exceptionnelle afin que, comme le mentionne la journaliste, les accusés croient qu'ils disposent de capacités et de moyens que les autres n'ont pas.
Il faut souligner également que les acquittements régulièrement prononcés par les cours d'assises sont obtenus par des avocats pénalistes très compétents, qui font un excellent travail, mais dont vous ne connaîtrez jamais le nom parce que leur première préoccupation n'est pas d'obtenir une médiatisation maximale.
Alors, celui qui sait mettre en avant ses résultats quitte à les présenter de façon trompeuse et sait organiser efficacement la publicité autour de sa personne est-il réellement plus efficace que celui qui obtient les mêmes résultats mais préfère rester discret ?
En tous cas, il faut reconnaître la très grande habileté de certains avocats pénalistes. Ils ont réussi à focaliser l'attention sur eux et à persuader qu'ils détiennent une compétence que les autres n'ont pas, alors que les juges constatent tous les jours dans leurs salles d'audience qu'il n'existe aucun lien manifeste entre la médiatisation et la qualité des prestations, par ricochet des résultats *.
Finalement, ce qui distingue surtout ceux qui savent attirer les caméras de ceux qui ont le triomphe discret est le montant de leurs honoraires, variable dans des proportions qui parfois laissent pantois.
C'est sur ce terrain là qu'il faut bien reconnaître à certains "ténors du barreau" un véritable talent.
*sur le même sujet, un précédent article de ce blog)