Les propositions de réforme du conseil supérieur de la magistrature: un oubli essentiel
Le comité de réflexion sur la modernisation des institutions vient de rendre son rapport, qui comporte une section intitulée "une justice mieux garantie". Le comité y aborde, notamment, les questions du statut et du fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Il y fait diverses propositions : supprimer la présidence du conseil par le président de la République et remplacer ce dernier par une "personnalité indépendante", prévoir une composition plus "ouverte sur la société" avec la présence de deux conseillers d'Etat, un avocat, un professeur d'université, deux personnalités désignées par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, permettre au CSM de donner un avis sur la nomination des procureurs généraux. Le comité propose enfin de permettre la saisine du CSM par des justiciables, afin "d'apporter des réponses disciplinaires aux désordres (..) mettant en cause non pas le fond des décisions de justice mais le respect des garanties procédurales et le comportement professionnel des magistrats".
Il ne s'agira pas aujourd'hui de commenter ces propositions, mais d'en souligner un manque et d'en proposer une autre, qui pourrait s'avérer au moins aussi importante que celles qui ont été retenues.
La saisine du CSM par les justiciables (ou par n'importe quel autre biais), a pour but de faire contrôler par une autorité supérieure les modalités du travail des magistrats. Répétons-le une fois encore, le principe d'un contrôle minutieux et exigeant du travail quotidien des magistrats est la contrepartie justifiée des missions et des pouvoirs qui leur sont confiés. Mais n'oublions pas que ce contrôle existe déjà sous deux formes : par l'exercice des voies de recours pour ce qui concerne la production intellectuelle (les décisions rendues), et par l'appréciation portée par les chefs de juridiction sur les magistrats de leur ressort (appréciation sur laquelle il y a beaucoup à dire mais ce n'est pas le sujet du jour !).
Mais le comité de réflexion, comme la plupart de ceux qui ont avant lui réfléchi sur le fonctionnement du CSM, a oublié une catégorie de personnes pouvant se plaindre du fonctionnement de l'institution et qui voudraient pouvoir saisir une autorité extérieure pour faire connaître les difficultés rencontrées : les magistrats eux-mêmes.
En effet, très nombreux sont actuellement les magistrats qui constatent et veulent faire savoir qu'ils ne sont pas toujours en mesure de produire un travail de qualité, qu'ils sont coincés entre des exigences contradictoires, produire vite mais produire bien, et qui ne trouvent pas au sein de l'institution ni l'écoute ni les moyens leur permettant de trouver une solution satisfaisante aux situations critiques dans lesquelles ils se retrouvent parfois (cf. un article précédent sur les sanctions de la cour européenne des droits de l'homme).
Ces magistrats, soucieux de fournir des prestations de qualité optimale, se heurtent soit à des obstacles matériels insurmontables, tel le nombre de dossiers à traiter ne permettant pas d'y consacrer tout le temps indispensable, soit à une hiérarchie qui, tout en tenant un discours public sur la qualité de la justice, refuse d'entendre les difficultés portées à sa connaissance et laisse les magistrats se débattre dans leur insoluble dilemme.
Il serait dès lors particulièrement utile que les magistrats puissent interpeller ce qui pourrait devenir une "commission déontologie" du CSM, pour poser des questions aussi simples que : "j'ai tant de dossiers à traiter, je ne peux pas leur consacrer tout le temps nécessaire, je risque en conséquence de commettre des erreurs, j'ai sollicité les chefs de juridiction afin d'obtenir un allègement des charges mais la réponse est négative, alors que dois-je faire ?".
Mais les magistrats ont d'autres raisons de réclamer la création d'une instance déontologique. Prenons un exemple très récent. Il semblerait d'après les informations reçues qu'un premier président de cour d'appel ait imposé aux magistrats de son ressort de solliciter son avis et d'obtenir son accord avant tout contact avec la presse. Certains magistrats ont déjà fait savoir qu'ils s'interrogent sur le fondement juridique de cette consigne, qui peut sembler en contradiction avec certains avis déjà émis par le CSM. Alors que doit faire le magistrat qui demain est sollicité par un journaliste ? Est-il contraint de suivre cette instruction à la lettre même sans en connaître ni la raison d'être ni le cadre réglementaire ? Peut-il décider de l'ignorer mais alors prend-il un risque disciplinairement ? Il serait bien plus utile que tout magistrat du ressort de cette cour d'appel puisse saisir le CSM afin que celui-ci donne son avis et dise si oui ou non il entre dans les pouvoirs d'un premier président de réduire le droit d'expression public des magistrats.
Les magistrats sont les premiers à vouloir une justice plus efficace, qui produit un travail de plus grande qualité. Ils sont les premiers à regretter les manques de moyens, les dysfonctionnements, les erreurs parfois graves qui sont effectivement commises.
Mais pour faire plus et surtout mieux les magistrats ont un urgent besoin de pouvoir s'adresser à un organisme capable, quand ils s'interrogent sur des enjeux essentiels, de leur donner des lignes de conduite claires et incontestables.
C'est pourquoi il faut impérativement autoriser la saisine du conseil supérieur de la magistrature directement pas les magistrats. Cela peut être fait dans le cadre de la réforme envisagée. A défaut le conseil pourrait admettre lui-même qu'il est naturel que les magistrats le saisissent, sans qu'un texte spécifique soit indispensable.