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Publié par Parolesdejuges

Par Philippe Lombard


I)
Sur la réforme


Le gouvernement a décidé une réforme de la carte judiciaire. L'objectif affiché est une meilleure organisation du service public de la justice pour une plus grande efficacité de celui-ci. La réforme de la carte judiciaire est peut-être un moyen d'atteindre ce but mais ne sera qu’une apparence de réforme si on en fait un objectif en soi. Elle ne peut être réellement efficace sans s’accompagner au regard du but poursuivi par ce service public d’une réelle réflexion d’ensemble notamment sur la procédure et singulièrement sur la répartition des compétences en vue d’une meilleure distribution des contentieux en fonction des justiciables et de la nature des contentieux.


La méthode de “concertation” retenue, si tant est qu’il y en est une, sans qu’aucun élément officiel, précis et tangible ne soit diffusé, a pour effet la circulation d'hypothèses qui semblent guidées par une approche essentiellement voire exclusivement financière. L’objectif de réduction des coûts du service public de la justice est tout à fait respectable.


Pourtant, si l’objectif poursuivi est effectivement d’améliorer le service public de la justice par une meilleure adaptation de la carte judiciaire à la situation actuelle, il conviendrait alors de ne pas prendre comme unique critère le rapport budget/nombre de dossiers traités. La réduction d’un service comme celui de la justice aux simples chiffres constatables est une erreur profonde à la limite de la duperie. Il devrait être tenu compte également de l’environnement de la juridiction, de son efficacité, de la qualité du service rendu, du service apporté au citoyen et du coût financier de ce service non pas exclusivement en coût direct pour le ministère, mais aussi en perspective avec les bénéfices tirés de ce service pour la population et les économies financières, sociales, environnementales, etc. induites par la prestation fournie. Ce ratio coût financier/bénéfice social est un chiffre difficile à mettre en évidence qui nécessite des études plus approfondies et du temps. Une approche purement financière de la réforme de la carte judiciaire objectivée uniquement par les chiffres retenus conduit nécessairement à la suppression des petites entités au motif de leur faible “chiffre d’affaires”, et donc essentiellement à la suppression du tissu des petites juridictions que sont les tribunaux d’instance


Certes, la "concertation" est en cours et il a été dit qu'aucune hypothèse n'était écartée. Mais il apparaît clairement que la suppression de (des ?) tribunaux d’instance est un processus déjà engagé comme le montre par exemple la création des juridictions de proximité et la modification du ressort de compétence des huissiers de justice, mais aussi l'absence de nomination à certains postes d'instance dont celui de La Mure.


Rien pourtant ne justifie la disparition à la fois géographique et fonctionnelle d’une juridiction proche et efficace et qui risque fort de perdre ces qualités si elle est intégrée dans un Tribunal de Première Instance (TPI).


L'actuelle juridiction d'instance démontre depuis 40 ans son efficacité et son utilité. Elle est la Justice des litiges du quotidien (contentieux locatif, impayés, voisinage...) et des difficultés des plus fragiles (surendettement, tutelles, saisies des rémunérations, etc.). C'est une juridiction à dimension humaine. Par sa taille d’abord. Le plus souvent un tribunal avec un ou deux juges au plus avec un greffe d'un dizaine d'agents. Les personnels de greffe ont généralement un fort sentiment d’appartenance à la juridiction à laquelle ils sont attachés ce qui les motive et améliore sensiblement la qualité du service. Les juges sont attentifs à la fois à la qualité de la rédaction et à l’efficacité de la décision, du fait de l’impact que celle-ci peut avoir sur une population au milieu de laquelle ils vivent.


C’est une juridiction qui traite d’affaires dites simples mais que l’on doit plutôt qualifier de courantes ou de masse. Le droit pénal, les intérêts civils, le contentieux locatif, le droit de la consommation ne font pas nécessairement appel à des concepts simples ou à des compétences limitées pouvant relever de juges non professionnels. Le juge traite d’affaires qui font appel à des compétences juridiques diverses et qui sont les mêmes que celles que doit maîtriser un juge de tribunal de grande instance ou un conseiller même si le montant des sommes en cause est en général inférieur à 10.000 Euros. Il a ainsi une compétence technique étendue qui lui permet de rendre des décisions dont la qualité générale parait tout à fait satisfaisante : les décisions des juges d'instance ne sont pas plus contestées et pour les décisions en dernier ressort ne font pas l'objet de plus de cassations, que celles des juridictions dites supérieures. Par ailleurs, son implantation dans le tissu local confère, aux yeux des justiciables, une légitimité accrue aux décisions rendues par la juridiction. Ainsi la connaissance des spécificités locales est un atout pour rendre une bonne justice spécialement dans le contentieux très spécifique du Tribunal Paritaire des baux ruraux qui nécessite une connaissance du territoire qui ne peut s’acquérir qu’en étant proche géographiquement.

Il n’est pas contestable que le tribunal d’instance est une juridiction efficace : les multiples contentieux dont il est chargé sont traités dans des délais raisonnables et bien plus courts que ceux des autres juridictions et ce malgré les multiples réformes qui ont surchargé ce service. La procédure orale et sans ministère d’avocat obligatoire permet au justiciable de se défendre lui-même ce qui est extrêmement fréquent. Cet absence d'intermédiaire fait souvent gagner du temps pour les litiges simples car le plaideur, sur place, est pressé de voir son affaire aboutir, alors que l’intervention d'un avocat soumis à de multiples contraintes a souvent pour conséquence de multiplier les renvois et de retarder d’autant la décision.


Juridiction proche et efficace, la logique de la réforme retenue envisage pourtant la suppression du tribunal d'instance en l'intégrant dans un tribunal de première instance dont il ne serait au mieux qu’une chambre au nom d’une économie d’échelle supposée qui n'est cependant pas vérifiée. Au contraire cette intégration risque fort de priver le justiciable de son accès à la justice et de faire perdre toute efficacité au juge.


Pour rester efficace, non pas en terme uniquement financier mais au sens où elle atteint son objectif de service du public, la justice rendue par les tribunaux d'instance doit rester proche du justiciable.


Proche géographiquement, car celui-ci, souvent démuni financièrement, n’a pas – ou n’a plus – les moyens matériels d’aller trop loin. L’éloignement aurait comme conséquence que les plus faibles et les plus fragiles, ne comparaîtront pas. Eloigner le contentieux traité par le Tribunal d’Instance revient à fragiliser encore plus ceux qui sont déjà les plus faibles.


Rester proche également physiquement tant il est plus facile d’exposer une situation forcément complexe, directement plutôt que de passer par un avocat ou une caméra comme il est actuellement envisagé. Pour le type de contentieux traité, un accès direct à un juge un minimum disponible et accessible est indispensable. Comme l’a rappelé Madame le Garde des Sceaux dans une interview récente "Le service Public de la Justice doit [au justiciable], respect et considération, patience et compréhension afin de l’aider à formuler ses propos". Cet aspect des choses peut paraître anodin. Mais le mépris apparent, l’impossibilité de s’exprimer, l’impression de ne pas être écouté, finit par avoir un coût social non négligeable qui se traduit à terme par un coût financier. L’accès au Juge doit donc rester pour ce type de contentieux, le plus ouvert possible, avec des modes de saisines simples, sans représentation obligatoire par avocat, en raison principalement du coût pour le particulier d’une telle représentation, souvent plus important que le litige lui-même et dans des salles d’audience adaptées.


S'il peut paraître opportun voire nécessaire de supprimer des tribunaux d’instance dont l’activité est limitée en nombre d’affaires pour arriver à une masse critique, cette suppression ne peut se faire au seul regard du nombre d'affaires civiles traitées dans l'année.


D'une part c'est l'activité globale du tribunal d'instance qui doit être prise en compte. Particulièrement le nombre de dossiers de tutelles en fort accroissement depuis une dizaine d'années et qui représente une très grosse partie de l'activité de cette juridiction doit être un élément à retenir. D'autre part, il convient de maintenir un tribunal proche du justiciable par une diffusion géographique adaptée aux circonstances locales.


Au regard des moyens de déplacements il est incontestable que la présence de deux juridictions à quelques kilomètres l'une de l'autre (Voiron-Grenoble ; Toulon-Hyères ; Riom-Clermont, Grasse-Cannes-Cagnes sur mer, etc...) n’est pas justifiée et un certain nombre de juridictions pourrait être utilement supprimées sans préjudice excessif pour les justiciables . De même, l’installation des juridictions dans les zones les plus peuplées paraît également plus opportune que le maintien dans une localité plus petite pour de simples raisons historiques. Mais il faut que soit également prises en compte les particularités locales. Pour prendre l’exemple du sud-Isère, se rendre de LA SALETTE à GRENOBLE au mois de février par un moyen de transport public nécessite largement plus de deux heures de trajet. Le justiciable défavorisé ne se déplacera pas pour l’audience de 8h30 à Grenoble pour se défendre dans une procédure d’expulsion, de saisie des rémunérations ou de surendettement dont pourtant le caractère éminemment personnel justifie qu’il soit présent, au coût de la perte d’une journée de travail. La postulation obligatoire ne permettra pas de pallier son absence et est de toute façon contraire à l’objectif d’économie.


Il conviendrait donc de ne pas supprimer des juridictions sans une étude prospective minimale sur l’évolution de la démographie du ressort notamment en terme de vieillissement de la population ce qui pourrait d'ailleurs conduire à la création de tribunaux dans des zones particulièrement mal desservies.


De façon générale une véritable évaluation de l’impact d’une telle réforme serait la bienvenue, évaluation non seulement en termes budgétaires mais également humains, tant pour le personnel que pour le justiciable et les collectivités concernées.


De même il conviendrait de revoir la répartition des contentieux relevant d'une juridiction de proximité et ceux qui plus spécialisés, gagneraient à être regroupés, et relèveraient de la représentation et de la collégialité.


En effet l'intégration de la juridiction d'instance dans un vaste TPI regroupant toutes les compétences n'est pas non plus un gage d'efficacité.


D'une part il ne saurait être soutenu que plus la juridiction est importante, plus les juges et les fonctionnaires qui y oeuvrent sont compétents. Il s’agit d’un postulat qui ne repose sur aucune démonstration. Au contraire, l’expérience semble prouver que plus la juridiction est importante, plus les délais de traitement sont importants.


D'autre part l’intégration du contentieux relevant actuellement des tribunaux d’instance dans celui d'un TPI ne fera que préjudicier à la qualité attestée du service des actuels tribunaux d'instance sans améliorer sensiblement le fonctionnement des tribunaux de grande instance tant il est vrai que “En versant du vin dans du vinaigre on n’obtient que du vinaigre”. Le transfert du Tribunal d’Instance dans une entité plus grande, sans responsable identifié réduira à néant la vraie richesse constituée par l'équipe greffe-magistrat des tribunaux d'instance. Devenu un juge du TPI et non plus nommé par décret à un tribunal d'instance spécifique, assujetti aux changements de fonctions liés aux contingences matérielles (absence, urgence, et autres...) nécessitant pour le Président de l'affecter à telle ou telle autre fonction du TPI, le juge risque fort de devenir au mieux un juge placé, au pire un fonctionnaire rendant la justice, au sein du TPI. Il perdra ainsi cette spécificité qui a fait l'efficacité des tribunal d'instance et ce à rebours de la spécialisation qui est pourtant une des justification de cette réforme. Le juge perdra aussi de son autonomie et partant de son indépendance, ce qui est toujours à terme préjudiciable à la qualité de la justice.


II) En ce qui concerne le tribunal d’instance de LA MURE :


On ne peut que constater que l’activité du tribunal d’instance de LA MURE est extrêmement faible. Quelques décisions de police et moins de 200 décisions civiles par an. Au surplus cette activité est en réduction sans que la cause en soit identifiée notamment au regard de l'accroissement de la population du ressort. Le tribunal d'instance étend son ressort sur le plateau Matheysin, le Valbonnais et le Trièves en secteur de montagne peu peuplé (23 000 ha environ). LA MURE est situé à 43 km de GRENOBLE Mais cette distance n’est pas nécessairement représentative du temps nécessaire pour se rendre de la limite des Hautes Alpes (Corps, le Valbonnais...) ou de la Drôme (Tréminis, Lalley, Chichillianne..) au chef lieu du département notamment en hiver et par les transports publics. La desserte du Trièves s'est améliorée avec l'ouverture partielle de l'autoroute du même nom, mais la cote de Laffrey à l’origine d’accidents spectaculaires est régulièrement en travaux et les transports publics quoique présents ont des fréquences limitées.


La population est essentiellement rurale dans le sud du ressort et péri-urbaine dans le nord avec une spécificité pour le secteur de LA MURE marqué par l’arrêt de l’activité du charbon. Au vieillissement de la population qui a conduit à une augmentation très sensible du nombre de dossiers de tutelle des majeurs au cours des 10 dernières années se cumule actuellement un rajeunissement du fait d'une population plus jeune exerçant ou ayant exercé une activité professionnelle dans le bassin grenoblois mais à la recherche de logements moins onéreux sur le plateau. Il n’en demeure pas moins que la majorité de la “clientèle” du tribunal est une population plutôt âgée et dans une situation économique difficile (femmes seules avec enfant, chômeurs, retraités...).


Il peut paraître opportun au vu de la faible activité et dans une approche strictement statistique de supprimer ce tribunal. On peut se demander au préalable quel en serait le bénéfice : le tribunal est logé gratuitement pas la commune. Sa suppression n'entraînera des économies d'échelle, hors personnel, que pour les postes de fonctionnement relatif au bâtiment (EDF, ménage, gardiennage), les frais de fonctionnement (frais postaux, téléphone, etc.) étant seulement déplacés soit une économie directe de environ 10 000 € par an.


Les frais de personnels restent limités. Le juge de LA MURE nommé par décret à ce tribunal exerce en réalité la majorité de son activité professionnelle au bénéfice du tribunal de grande instance de GRENOBLE, le temps passé à LA MURE étant limité à 33 % environ d’un équivalent temps plein (ETP). Le greffe est composé d’une greffière à temps plein et d’un agent à temps partiel. L’activité actuelle ne nécessite sans doute pas l’emploi de 1,8 ETP mais serait adapté avec 1,5 ETP réparti à égalité entre un agent et un greffier. Le coût (le surcoût) est donc relativement faible. Mais il est aggravé par la création d'un poste de juge de proximité en 2006 qui a eu pour seul effet, outre le paiement de ses émoluments, de rallonger (doubler) les délais de traitement des procédures civiles.


Le "rendement" du tribunal pourrait être amélioré soit par la nomination d’un greffier exerçant à temps partiel, un candidat s'étant fait connaître, soit par l'extension du ressort du tribunal aux cantons de l'Oisans ou même à l'étendue du ressort de compétence de la compagnie de gendarmerie de La Mure ce qui limiterait les erreurs d’orientation des procédures pénales et permettrait de décharger le Tribunal d’Instance de GRENOBLE.


La suppression du tribunal d'instance de La Mure permettrait donc une économie extrêmement faible au détriment des justiciables du ressort qui serait privés de l'accès au droit compte tenu de l’isolement géographique et des caractéristiques économiques et culturelles du ressort. Mais on ne peut que constater que le justiciable, qui devrait être au cœur de ce débat sur la réforme de la carte judiciaire en est pourtant le grand absent alors qu'il a tout à perdre de la suppression du Tribunal d’Instance : déplacements plus longs, attente interminable en raison d’audiences surchargées, accueil débordé....


Il semble toutefois que malgré la concertation annoncée la décision de supprimer ce tribunal soit déjà prise puisque au départ du titulaire du poste le 31/08/07, aucun juge n’ait été nommé à ce poste et qu’en revanche un juge a été nommé en surnombre au tribunal de grande instance de GRENOBLE.


Il conviendra alors de maintenir un accès au droit et au juge par des audiences foraines en matière civile et de tutelle, étant toutefois souligné que ce type d’audience hors du contexte d’un vrai tribunal est certainement moins efficace.


A minima, il est indispensable de conserver une antenne d’accès au droit. Un agent, éventuellement installé dans les locaux de la mairie, pourrait utilement renseigner les usagers, les orienter, délivrer les dossiers d’aide juridictionnelle, recevoir les déclarations au greffe et les requêtes en injonction de payer etc. La mairie de La Mure consultée sur ce point n’est pas opposée au principe.


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M
Allons courage, Mesdames et Messieurs les Magistrats,Ce n'est pas la première fois que cette lumineuse idée est mise en application : "Les tribunaux civils et correctionnels ont été institués au chef-lieu de chaque arrondissement par la loi du 27 pluviôse an VIII (18 mai 1800).Le décret du 3 septembre 1926 supprima les tribunaux civils d'arrondissement, un seul tribunal de première instance étant maintenu au chef-lieu de département : mais trois ans après, les lois du 22 août 1929 et 16 juillet 1930 suppriment le tribunal départemental et rétablissent un tribunal de première instance dans chaque arrondissement."et abandonnée ... Enfin, reste à prouver que les gouvernants d'aujourd'hui auront la même modestie que ceux du XX° siècle et seront à même de reconnaître leur erreur.Quant aux "juges de proximité", il est fort regrettable que cette nouveauté prive les justiciables de la présence et de l'écoute d'un vrai professionnel.
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