Le juge d'instruction est-il responsable de la déforestation amazonienne ?
A l'heure où les problèmes de la procédure pénale procèdent nécessairement de ce magistrat, selon bon nombre de politiques, mais aussi de certains professionnels du droit, la question n'est peut-être pas aussi saugrenue qu'elle veut bien en avoir l'air. Qui a déjà contemplé les monceaux de papier que l'on retrouve dans les cabinets d'instruction comprend que la production de papier d'un juge moyen pose un réel problème.
Bien au delà de cette écologique question, l'inflation procédurière qui a été engendrée par l'inflation législative des dernières décennies a rendu obèse la plupart des procédures d'instruction. La majorité des procès-verbaux n'est pourtant que difficilement exploitable. Nombre de réquisitions, procès-verbaux divers et variés, ou encore de notifications en tous genres ne présentent pour le dossier en général, et pour la recherche de la vérité en particulier, aucun intérêt.
Alors pourquoi y procéder ? Parce que la législateur, fort de l'adage selon lequel la procédure est la soeur jumelle de la liberté, a complexifié à loisir, par strates successives, la procédure pénale de manière générale, et la procédure d'instruction préparatoire en particulier. Tout ne peut qu'être formalisme pour une procédure réussie. Et le juge qui se permettrait de s'en écarter commettrait nécessairement une faute disciplinaire. Il suffit pour s'en convaincre de constater comment le juge Renaud VAN RUYMBECK a été cloué au pilori pour avoir osé entendre un témoin hors de toute procédure écrite, de toute rédaction de procès-verbal, même s'il faut admettre que l'aspect politique des choses a sans doute dans ce dossier pris le pas sur les considérations éthiques. Il est bien loin le temps où le juge d'instruction pouvait sortir de son cabinet, et partir à la rencontre de l'information. Ni le temps, ni la charge de travail, ni la nouvelle déontologie qui est en train de se mettre en place ne le permettent plus.
Cette surabondance de papier trouve également une application chronophage dans le travail de mise en forme des dossiers, qui est l'apanage du greffier d'instruction, sous la direction du juge. Toute pièce, de la plus importante à la plus inutile, doit être côtée, c'est à dire numérotée afin qu'aucun ajout ne puisse être effectué postérieurement, ni qu'aucune pièce ne puisse disparaître sans que l'on s'en aperçoive. Le dossier doit en outre être constitué en double, afin de prévenir les risques de disparition des dossiers. Autant dire que la consommation de papier est là aussi à son summum.
Si l'on rajoute à cela que la copie de dossier, gratuite de surcroit, est de droit pour tout avocat d'une partie qui en fait la demande, à la condition cependant que son client ait été entendu par le juge, et l'on imagine facilement la chaleur qui peut se dégager des photocopieuses des tribunaux. Les avocats mettent en avant les droits de la défense pour justifier cette possibilité. Il faut cependant nuancer cet argument. Si l'on peut entendre qu'il est plus confortable de consulter un dossier chez soi plutôt qu'au greffe d'un juge d'instruction, dans des conditions matérielles parfois hasardeuses, il n'en reste pas moins que tout avocat désigné par une partie peut avoir accès à tout moment au dossier, sous réserve du bon fonctionnement du cabinet (c'est à dire pendant les heures d'ouverture administrative du greffe et hors audition ou nécessité pour le juge d'avoir son dossier sous la main), et donc peut prendre connaissance de la procédure.
Alors que faire pour que les Indiens d'Amazonie ne se mettent pas à détester les juges d'instruction, comme une très forte majorité des français, si l'on en croit les sondages dont les média nous abreuvent ? La solution passerait bien entendu par un allègement des procédures, dont l'excès de formalisme ne contribue pas plus à la manifestation de la vérité qu'aux droits des parties, qui finissent par se perdre dans cet océan de papier. Mais quel Garde des Sceaux accépterait de ne pas connaître de loi, de procédure pénale de préférence, à son nom ?
Une solution plus réaliste est en train de voir le jour depuis quelques mois maintenant grâce à la dématérialisation des procédures. Il s'agit pour l'essentiel de scanner les pièces de procédure afin de constituer un dossier électronique, que les personnes habilitées pourront consulter via un support informatique.
Cette modernisation des méthodes de travail, qui permet aussi bien la transmission électronique des dossiers que le télétravail, nécessite une modification substancielle des mentalités de la part de tous les intervenants judiciaires, magistrats, greffiers, avocats, voire huissiers et notaires. Mais la plus-value que l'on peut en attendre est très importante. Rendre la justice et sauver la planète, existe-t-il de plus beaux desseins ?