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Publié par Parolesdejuges

 

A première vue, le titre de l'article peut surprendre. Et pourtant...

Depuis leur retour au pouvoir, les talibans qui dirigent l'Afghanistan ont une obsession majeure : faire disparaître les femmes en les emmurant vivantes dans leurs logements et en les privant de tous leurs droits.

Chaque fois que l'on pense que ces femmes n'ont plus rien, les talibans trouvent encore un moyen de les anéantir un peu plus. En cette fin d'année 2024, ils ont décidé que doivent être obstruées les fenêtres des maisons par lesquelles il est possible d'apercevoir les femmes de l'extérieur. 

Notons que sous l'angle juridique cette atteinte concertée et systématiques aux droits fondamentaux de toutes les femmes relève possiblement de la qualification de crime contre l'humanité (textes français ici) (cf. aussi ici ; ici ; ici - CPI).

Ce qui nous intéresse aujourd'hui est l'une des phrases prononcées par un des chefs talibans, mise officiellement en ligne sur place, et retranscrite dans un article du journal Le Monde du 29 décembre 2024 (article ici) : 

« Le fait de voir des femmes travaillant dans des cuisines, dans des cours ou collectant de l’eau dans des puits peut engendrer des actes obscènes »

Nous ne nous arrêterons pas au fait qu'il faut vraiment voir tous les hommes comme des obsédés sexuels permanents pour considérer qu'ils sont susceptibles d'actes obscènes s'ils voient par la fenêtre une femme en train de cuisiner ou de nettoyer chez elle. Cela n'est pas très flatteur pour la communauté masculine afghane présentée comme décérébrée. Mais l'important n'est pas là.

Si le début d'une phrase est le constat que des comportements mêmes les plus ordinaires des femmes déclenchent chez les hommes des pulsions sexuelles et des actes incontrôlables et inacceptables, la fin de la phrase devrait être un sévère avertissement aux hommes qui ne se maitrisent pas suffisamment. Avec en complément une injonction forte adressée à ces hommes de changer radicalement de façon d'agir, cela sous la menace de sanctions très lourdes en cas de dérapage.

Mais non. Plutôt que d'imposer aux hommes de modifier leurs comportements et ici de mieux contrôler leurs pulsions, la responsabilité est transférée sur les femmes. Puisque leur simple vue provoque les hommes, ce dont elles sont responsables, alors ces femmes provocantes doivent être enfermées et privées de liberté. Rien n'est reproché aux hommes. Ce sont elles les fautives.

C'est le monde à l'envers.

Mais pas seulement en Afghanistan.

En France, au cours des procédures judiciaires pour viol, et surtout à l'audience, il existe une constante observée depuis longtemps, relevée par tous, et qui irrigue en permanence les débats : le dénigrement et le transfert de responsabilité des agressions sexuelles sur les femmes.

Tout y passe. Et sans mesure. Prenons seulement quelques brefs exemples.

Une femme a passé la soirée en discothèque et s'était habillée de façon à plaire ? Il est sous-entendu à l'audience que c'est de sa faute si elle est violée en fin de nuit. Certes un homme qui se fait beau avant d'aller en discothèque est un séducteur à qui personne ne reprochera rien. Mais une femme qui se fait belle avant d'y aller est une dépravée, une aguicheuse, une provocatrice. C'est elle la responsable du comportement de son agresseur. 

Une femme agressée sexuellement avait eu auparavant des relations avec d'autres hommes ? Il est sous-entendu à l'audience que c'est une obsédée sexuelle qui est responsable de la situation. Certes,  un homme qui a des relations sexuelles avec une pluralité de femmes est un Don Juan que ses amis admirent et envient. Mais cela n'est pas permis chez une femme. Alors quand bien même une femme ne fait rien de différent de ce que font les hommes en ayant plusieurs partenaires, c'est encore elle la responsable de son agression sexuelle.

Une femme a accepté d'aller boire un verre chez un homme qu'elle trouvait rassurant et de confiance, et avec qui elle voulait ce jour là seulement passer un moment à discuter, et elle se fait violer ? Il est sous-entendu à l'audience que c'est de sa faute car en allant chez lui elle l'a provoqué. (1)

Les exemples de telles approches pourraient être multipliés tant ils sont nombreux.

Ils se résument en une seule et même affirmation : Si un homme n'a pas résisté à ses pulsions sexuelles, c'est de la faute de la femme qui été d'une façon ou d'une autre provocante, pas la sienne.

C'est donc la femme agressée qui est la plus critiquée à l'audience. Pas l'homme qui ne s'est pas contrôlé et qui a abusé d'elle. C'est ce qu'on appelle la victimisation secondaire des victimes de viol (article ici).

C'est fondamentalement, chez ceux qui présentent les choses ainsi chez nous, la même façon de raisonner que celle des talibans en Afghanistan : Les femmes sont par le seul fait qu'elles sont de sexe féminin, et ont des attitudes de femmes, les déclencheurs des comportements inappropriés des hommes. Les fautives sont les femmes, pas les hommes. Ce sont donc elles qu'il faut blâmer, pas les hommes.

Tout ceci a été très bien théorisé sous l'expression "culture du viol", qui s'applique à tous les pays du monde (cf. un précédent article ici et le livre cité note 4). Expression qui réunit tout ce qui a pour but de culpabiliser les femmes pour dédouaner les hommes.

Culture du viol qui, comme une magistrate l'a constaté puis en a fait le titre de son livre, conduit à dire aussi souvent que possible à propos de la femme victime de viol : "Elle l'a bien cherché" (article ici).

Si le mépris des femmes a sans doute atteint en Afghanistan une ampleur inégalée, il est tout aussi présent chez nous. Et ce constat est fait, trop souvent, pendant les audiences criminelles.

Et pourtant.

La façon de se vêtir ou de se comporter d'une femme, ou le fait qu'elle ait eu de multiples partenaires, ne nous renseigne en rien sur l'existence ou l'absence de son  consentement au moment de la relation sexuelle litigieuse. De la même façon que ce n'est pas parce qu'une femme mariée se couche avec une nuisette sexy ou parce qu'elle a eu pendant plusieurs années des dizaines de relations sexuelles avec son mari que le soir où elle a refusé et qu'il l'a contrainte il n'y a pas viol.

Nous avons très récemment abordé le cas de la femme ivre (article ici). La femme devenue un pantin après avoir consommé une très grande quantité d'alcool ne peut pas lucidement consentir à des actes sexuels, et l'homme qui en profite pour lui imposer des actes sexuels auxquels elle ne peut pas s'opposer commet un viol. Mais à l'audience c'est le comportement de la femme qui va être critiqué bien plus que celui de l'homme qui a profité de la situation. On reprochera à cette femme d'avoir trop bu et de s'être mise elle-même en situation de vulnérabilité. Alors que rien n'oblige un homme à profiter de l'ivresse d'une femme pour lui imposer une relation sexuelle.

Quoi qu'il en soit, le viol n'est pas qu'une affaire de pulsion sexuelle masculine et de provocation des femmes. Il est surtout une situation de domination et de possession, qui s'accompagne souvent d'un contrôle coercitif de l'homme sur la femme (2). Le viol est, fondamentalement, et depuis la nuit des temps, l'une des manifestations de la discrimination des femmes (3).

Pour finir sur une note plus légère, il serait intéressant que ceux qui pensent que dans les situations mentionnées plus haut les femmes ont une réelle part de responsabilité si elles se font violer nous expliquent, très concrètement, comment une femme doit être habillée, combien d'homme elle peut fréquenter, chez qui et jusque quelle heure elle peut aller..., pour rester respectable et ne subir aucun reproche.

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1. Ces arguments sont présentés la plupart du temps par le biais de sous-entendu, jamais clairement. On entend seulement : "Comment étiez-vous habillée ?" ; "Avez-vous souvent des relations sexuelles avec des hommes ?" ; "Pourquoi êtes-vous allée chez lui alors que vous le connaissiez si peu ?" etc..

2. A lire : "Le contrôle coercitif, au coeur de la violence conjugale" de Andrea Gruey-Vintila. Editions Dunod (page éditeur ici)

3. Il faut lire l'excellent et très complet livre : "Le mythe de la virilité" de Olivia Gazalé, aux éditions Robert Laffont (page éditeur ici).
 

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R
En Afghanistan, chez les talibans,on comprend pcq ceux qui font des lois et qui les exécutent sont toujours des hommes. Mais en Europe et devant les cours et tribunaux, ça me laisse sans voix.
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A
Pour suivre. Hormis les cas d'agressions sexuelles flagrants, dans ces affaires intimes, les faits eux-mêmes sont souvent souvent difficiles à établir. L'intentionalité qui est au coeur de la décision peut l'être encore plus, d'autant qu'elle peut fluctuer.dans la même unité de temps..D'où les classements, non lieux, relaxes ou acquittements mal compris des plaignants.
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A
Comme toujours votre chronique est intéressant car elle oblige à réfléchir. Le parallèle que vous faîtes est osé entre la loi déshumanisante afgahne qui organise la séqestration des femmes et les recherches d'aventures sexualisées qui tournent mal. Après avoir chargé à l'excès les attitudes jugées provocatrices des femmes, ce qui peut être le cas, il ne faudrait par charger des tords exclusifs la gente masculine. Il me semble que dans une acception bien comprise des droits de l'Homme, chaque partenaire d'une aventure amoureuse a, à parts égales, des droits et des devoirs, sans aucun a priori. Le nier revendrait à tomber dans une nouvelle forme de sexisme.
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