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Publié par Parolesdejuges

La fabrique des jugements (Bibliographie)

 

La justice pénale est l'objet d'une attention permanente. Ses décisions sont analysées et largement commentées. Même de la part de ceux qui ne savent pas vraiment de quoi ils parlent.

C'est pourquoi tout ce qui peut aider à décrypter le processus pénal qui conduit à une décision judiciaire est intéressant.

C'est le cas du livre de Arnaud Philippe (1) que les éditions La découverte (leur site) ont récemment publié, qui est intitulé :
 

La fabrique des jugements

et qui est sous-titré "Comment sont déterminées les sanctions pénales".
 

Sur le site de l'éditeur (page dédiée) le livre est présenté de la façon suivante :

"Chaque année, plus de 600 000 personnes sont condamnées par la justice française. Leurs sanctions s’étalent de légères amendes à de lourdes peines de prison. Ces jugements font l’objet d’une exposition médiatique intense, de critiques nombreuses et d’évaluations contradictoires. La justice pénale est tour à tour qualifiée de laxiste, de discriminatoire et de partiale ; elle est accusée de s’acharner sur certains ou de représenter les intérêts d’un groupe ou d’une classe… Pourtant, cette défiance masque une relative méconnaissance des mécanismes de la décision judiciaire. Pour expliquer ses modulations, de nombreux paramètres sont évoqués. Parfois inconciliables, ceux-ci vont d’un légalisme strict – les juges ne feraient qu’appliquer la loi à la lettre – à un contextualisme absolu – les peines prononcées dépendraient de « ce que les juges ont mangé au petit déjeuner ».
À partir d’un travail de recherche inédit fondé sur l’analyse de vastes bases de données individuelles, en particulier le casier judiciaire national français, ce livre déconstruit les verdicts pour en analyser les déterminants. Comment l’avalanche de lois et les mesures prises par l’exécutif infléchissent-elles le travail des magistrats ? La justice est-elle rendue uniformément sur l’ensemble du territoire ? Est-elle influencée par l’actualité ou les caractéristiques des parties ? Quels biais sont susceptibles de l’affecter ? Les critères des juges diffèrent-ils de ceux des citoyens ?
En répondant à ces questions fondamentales et en éclairant les relations entre le pouvoir politique et l’institution judiciaire, Arnaud Philippe nous permet d’envisager la « demande de sévérité » exprimée par les sondages et l’« inflexibilité » sécuritaire affichée par les élus sous un tout autre jour
."

Le livre comporte 2 parties contenant chacune plusieurs chapitres : Première partie "D'encre et de papier, les déterminant légaux et institutionnels des sanctions (Définir le cadre, Contraindre, L'amont du procès, L'intendance suivra) ; Seconde partie "De chair et d'os, des décisions humaines" (Un homme dans la cité, race classe et genre, Dans la tête des juges, Choisir des juges choisir ses juges).

Ces thèmes permettent à l'auteur d'aborder de très nombreuses problématiques qu'il traite à partir d'une masse d'informations objectives collectées auprès d'une pluralité d'organismes, et notamment du casier judiciaire national et de la section statistiques du ministère de la justice.

Elles sont tellement nombreuses que nous ne retiendrons ici, à titre de présentation, que quelques une des informations contenues dans ce livre :

En introduction l'auteur fournit quelques chiffres importants (2) et entre autres : En 2013 environ 570.000 adultes ont été condamnés et parmi eux 300.000 n'ont reçu aucune peine de prison et 84 ont été condamnés à plus de 20 ans de prison. Plus largement, parmi toutes les peines prononcées, 52,5 % l'ont été sans prison, 26,7 % avec de la prison non ferme, 20,8 % avec de la prison ferme dont environ 3 % avec des peines de prison ferme supérieures à 1 an. Cela montre à quel point les décisions pénales à de la prison ferme ne sont pas majoritaires.

L'auteur précise un peu plus loin que sur la même ce qui domine ce sont les délits routiers (environ 250.000), suivis des vols (80.000), des atteintes à la législation sur les stupéfiants (60.000), puis des violences (50.000). A côté les homicides, viols et vols avec armes étaient de 2.600 (3). La France se situant dans la moyenne de l'Europe en termes de nombre de condamnations par habitant.

Il nous apprend aussi qu'à la cour d'assises, alors que pour les crimes les peines encourues vont de 15 ans à la réclusion à perpétuité, la moyenne des peines prononcées est de 9,5 ans, et que les délits les plus sévèrement sanctionnés sont les agressions sexuelles.

Particulièrement intéressant sont les paragraphes sur la multiplication des textes et les peines prononcées au regard des peines encourues.

Entre 2002 et 2012, 62 textes ont modifié le code pénal, soit un tous les 2 mois. Il s'agit selon l'auteur "d'un populisme pénal et d'une frénésie sécuritaire", qui avait fait dire à Robert Badinter "Quand on ne sait pas quoi faire, on peut toujours faire une loi, ça ne coute pas cher et ça fait plaisir. Que ce soit efficace est une autre question". A titre d'exemple, en 2003, 350 délits ont été crées et 150 supprimés, et environ 80 crimes ont été créés.

Cette fois-ci l'analyse va plus loin car l'étude des réformes fait apparaître qu'il s'agit souvent de l'intégration dans le champ pénal de désagréments mineurs.

Par ailleurs, les délits supprimés entre 1998 et 2014 n'étaient auparavant pratiquement jamais poursuivis. Et sur environ 3200 délits créés entre 1998 et 2014, 2600 (81%) ont été utilisés moins de 10 fois.

Ce qui fait confirmer par l'auteur qu' "Il s'agit simplement de réagir à une actualité en faisant quelque chose et en montrant sa préoccupation pour un problème".

L'auteur a également constaté qu'en moyenne les peines prononcées correspondent à 7,9 % de la peine encourue, dont 3,6 % pour les peines de prison ferme. Sur 2013, 95% des peines délictuelles prononcées ont été inférieures à un tiers de la peine encourue, et moins de 1% ont dépassé les deux tiers. S'agissant des crimes, la différence est moins élevées mais le constat est quand même que les peines prononcées correspondent en moyenne à 44,6 % des peines encourues.

Une étude de la situation de plusieurs pays fait écrire à l'auteur, et c'est assez nouveau, que "l'écart entre peine et encourus peut donner un sentiment d'impunité au condamné lui-même", ou le sentiment d'un système judiciaire peu munitif, et que quand la peine prononcée est plus cohérente avec la peine encourue la récidive diminue. Ce qui incite à considérer qu'il serait plus cohérent, mais aussi plus efficace tant en terme de prévention que de récidive, de réduire les peines encourues avec en contrepartie des peines prononcées plus proches de ces encourus (lire aussi ici). Ou comme il le reprend plus loin, l'augmentation du risque de sanction a plus d'effet dissuasif que la hausse des peines encourues.

L'auteur a ensuite étudié les faibles effets de l'augmentation des peines encourues sur les peines prononcées. En considérant que cela ne gêne probablement pas le pouvoir politique qui veut envoyer des signaux à son électorat sans déstabiliser l'édifice pénal et remplir encore plus les prisons (4)

Et il a constaté que la seule réforme qui a engendré une réelle augmentation des peines prononcées, contre les récidivistes, a été l'instauration de peines-planchers, ensuite supprimées (5). Mais en même temps la réforme n'a pas eu d'effet sur le nombre de délits commis en récidive après l'entrée en vigueur de la loi.

Plusieurs pages sont consacrées à l'analyse des divers chiffres de la délinquance, ainsi qu'aux conséquences des priorités policières sur l'activité de la justice. Et plus largement sur la "politique pénale".

Puis aux peines alternatives à la prison, mises en place notamment pour réduire le nombre des classements sans suite, et au rôle du procureur. Et au comparutions sur reconnaissance de culpabilité, inexistantes en 2000, et au nombre d'environ 250.000 en 2014.

L'auteur décortique les situations dans lesquelles les personnes poursuivies sont, ou non, placées en détention provisoire. Et s'interroge sur les liens entre détention avant jugement et peines prononcées, et une éventuelle tendance à "couvrir" la détention provisoire.

L'auteur s'est interrogé sur un éventuel lien entre disponibilité des établissements pénitentiaires et sanctions prononcées, pour conclure qu'il n'en existe pas. Tout comme chaque fois qu'a été ouverte une prison pour mineurs.

Puis sur les effets des aménagements de peines sur la récidive.

Il a cherché à comprendre les différences de sévérité pénale d'un département à l'autre. En découvrant un lien avec les résultats des élections politiques et l'âge moyen de la population. En croisant avec les déplacements géographiques des magistrats.

Il a tenté d'analyser les décisions sous le double prisme du sexe du délinquant et de celui du juge.

L'auteur a recherché les effets de la présence, ponctuelle, de citoyens dans les juridictions correctionnelles, dont la venue a été présentée par le pouvoir politique comme la volonté d'une plus grande sévérité des décisions rendues. Pour constater que cette présence n'a eu aucun effet. D'autant plus, comme il l'écrit plus loin, que "la demande de sévérité repose largement sur une ignorance des réalités de la justice pénale".

Il s'est interrogé aux conséquences, dans d'autres pays, de modes différents de sélection des juges.
 

Tout ceci fait de l'ouvrage une mine de renseignements et de réflexions sur la justice pénale. Ce qui le rend spécialement utile est que les constats ne proviennent pas d'une analyse subjective de l'auteur mais du traitement d'innombrables informations correspondant à la réalité judiciaire.

Au-delà des professionnels, le livre passionnera tous ceux qui s'intéressent à la justice pénale française, et qui souhaitent disposer d'éléments de réflexion objectifs et fiables.

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1. Arnaud Philippe est normalien, docteur en économie de Paris 1, et enseignant-chercheur à l’université de Bristol. Après avoir travaillé en prison dans le cadre d’activités associatives, il a collaboré pendant huit ans avec le service statistique du ministère de la Justice français.

2. Du fait du temps nécessaire entre la création de banques de données, leur collecte et leur analyse, la plupart des éléments donnés concernent des années antérieures à la période la plus récente.

3. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit du nombre de faits sanctionnés par la justice, non pas du nombre de faits dénoncés.

4. Alors que les pouvoirs politiques réclament toujours plus de sévérité de la part des juges, l'actuel ministre de la justice a fait passer de 5 à 6 mois les possibles réduction de peines par année, souhaitant que la peine prononcée puisse au final être réduite de moitié. Sans jamais en parler dans ses interventions publiques... (lire aussi ici)

5. Les peines minimales "plancher" ont été crées en 2007 et supprimées en 2014.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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