Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Guide de la protection judiciaire de l'enfant

Le "Guide de la protection judiciaire de l'enfant" est en téléchargement libre.

Pour l'obtenir cliquez ici.

Paroles de juges sur Facebook

Sur Facebook, les articles, et d'autres choses en plus.

C'est ici.

Publié par Parolesdejuges

Rendre la justice  (Bibliographie)

 

Les éditions Calman-Levy (leur site), viennent de publier un livre élaboré sous la direction de Robert Salis et intitulé (page dédiée) :
 

Rendre la justice
 

Le livre est sous-titré : "Un portrait de la justice par celles et ceux qui ont la lourde responsabilité de juger leurs semblables".
 

Sur le site de l'éditeur le livre est présenté de la façon suivante :

"Soixante-cinq des plus grands noms de la magistrature, parmi lesquels François Molins, procureur général près la Cour de cassation, ou Jean-Michel Hayat, premier président de la cour d'appel de Paris, mais aussi des juges des enfants, des avocats généraux, des procureurs, des membres du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État, du Conseil supérieur de la magistrature, qui officient aussi bien dans des tribunaux de commerce que dans l’antiterrorisme, à Paris en province et en outre-mer, prennent la parole et nous disent ce qu’est rendre la Justice au quotidien… Comment  ? Avec quels moyens  ?
Chacune de leurs voix se propose de comprendre un pan des rouages de la machinerie judiciaire et de saisir toute la difficulté d’un métier où l’impartialité, l’intégrité, la recherche perpétuelle de ce qui est juste, font loi. Mais nos gardiens de la justice restent des hommes, faillibles parfois, sensibles – car l’humain n’est jamais loin, et s’il peut être la source de cas de conscience cornéliens, il est aussi ce qui permet d’apporter un peu de lumière dans une profession labyrinthique
."



Ce livre est une originalité. Comme il l'explique dans l'avant-propos, Robert Salis, qui a réalisé avec Jean-Christophe Hullin un film du même nom (cf. ici), a décidé de donner la parole à des magistrats en leur laissant carte blanche quant au choix du sujet

Au fil des 540 pages et des 65 contributions, s'expriment des magistrats qui dans la hiérarchie judiciaire se situent du sommet à la base.

Les sujets sont variés, allant du statut du parquet (cf. aussi ici) aux violences intra-familiales, en passant notamment par la gouvernance des juridictions, l'entrée dans la magistrature après l'exercice d'un autre métier, la médiation civile, l'éthique, la justice d'outre-mer, l'indépendance, ou la place des femmes dans la magistrature.


La lecture de toutes ces contributions laisse un sentiment partagé.

La première réaction est positive. Le lecteur voit s'entrouvrir la porte des bureaux des magistrats, et les écoute s'exprimer sur leur métier et leur quotidien, ce qu'ils ont rarement l'occasion de faire. Le lecteur peut mieux percevoir les missions, les difficultés, mais aussi les questionnements et les doutes. Le livre est le point de départ de nombreuses et indispensables réflexions autour de la justice.

En plus, les sujets ne concernent pas exclusivement la justice pénale. Si les rubriques des faits divers envahissent les médias, le quotidien de la justice c'est tout autant la justice civile, familiale, sociale.

La seconde réaction est plus mitigée. Si des sujets importants sont parfois abordés, les magistrats sollicités ont la plupart du temps choisi de s'exprimer sur un ton plutôt convenu, et surtout de ne pas aller au delà d'un certain degré de liberté d'expression.

Ce qui fait que le professionnel qui oeuvre dans l'institution judiciaire et la connaît de l'intérieur perçoit assez vite, au fil des pages, un certain décalage entre une présentation polie et un peu édulcorée, et une réalité quelques fois bien plus dégradée.

Il n'empêche que ce qui transparait le plus au fil des pages, c'est une douleur, pudiquement exprimée, de ne pas pourvoir répondre aussi bien que souhaité aux attentes légitimes des justiciables, faute de moyens humains, matériels, et de temps disponible.

L'un des contributeurs écrit : "Cette exigence de performance quantitative, dans un contexte budgétaire très contraint malgré une relative progression du budget de la justice, fragilise l'identité même du juge et, parfois, sa légitimité professionnelle. (..) Lorsque s'y ajoutent des impossibilité matérielles d'investigations (..), d'organisation du temps de parole (..), par l'effet de la réduction drastique des coûts et l'obligation constante de justifier ce qui n'entre pas dans le schéma de gestion classique d'un dossier, ce sont alors des interférences insupportables sur l'acte de juger qu'il faut affronter."

Un autre a écrit : "Il nous faut donc trouver d'autres voies pour redonner du sens et de l'efficacité à l'intervention du juge et mieux répondre aux attentes légitimes des justiciables. L'office du juge doit être repensé non pas au sein d'une institution judiciaire devenue au fil du temps un service public de droit commun mais au sein d'une autorité judiciaire constitutionnellement garantie."

Et un autre encore : "De fait, la justice judiciaire  reste le parent pauvre du budget de l'Etat. En effet les augmentations régulières sont minimes et insuffisantes, à tel point qu'un ancien ministre de la justice avait évoqué une justice en voie de clochardisation. Cette expression n'avait choqué que ceux qui n'avaient pas conscience de l'ampleur du retard pris par cette institution aux équipements informatiques obsolètes, aux bâtiments qui fuient ou menacent ruine, aux personnels mal payés, aux délais excessifs, et toujours en retard de paiement."

L'un des artifices de plus en plus souvent utilisé pour camoufler le manque de moyens est le recours au juge unique (l'audience est conduite et présidée par un seul magistrat), mais aussi de façon plus insidieuse au juge rapporteur (la décision est théoriquement rendue par trois magistrats mais un seul va à l'audience et doit ensuite rendre compte aux deux autres), mécanisme de juge rapporteur qui dissimule mal, trop souvent, un véritable juge unique, faute de temps pour de véritable et approfondis délibérés après l'audience tenue par ce seul magistrat. Au demeurant, Robert Salis écrit dès son avant-propos que "Pour enrayer les couts et le peu de moyens alloués face à l'augmentation des contentieux ces procédures à juge unique se multiplient de façon dangereuse même en appel (..).

A l'inverse, comme l'écrit un contributeur : "Il convient me semble-t-il de valoriser et de renforcer des notions qui donnent aussi une valeur particulière à l'acte de juger : collégialité, cosaisine, travail d'équipe, esprit de service, bref autant de déclinaisons qui donnent un sens collectif à l'acte de juger. Ce qui pourrait passer pour une perte d'énergie ou de temps renforce au contraire la crédibilité de notre institution."

La souffrance des magistrats est donc clairement perceptible tout au long du livre. Non pas au regard de leur situation personnelle, mais du service qu'ils n'arrivent pas toujours à rendre à leurs concitoyens avec la qualité à laquelle pourtant ils ont droit.

L'un d'entre eux a écrit : "Je peux témoigner, hélas, par les fonctions qui ont été les miennes antérieurement, que notre droit français, notre organisation judiciaire, autrefois des modèles d'exportation, non seulement n'inspirent plus mais deviennent des contre-modèles. Il serait trop long de dresser ici l'état des lieux d'un déclin qui n'a pourtant rien d'inexorable si l'on voulait se donner les moyens raisonnables d'un rebond."


Toute ceci en fait un livre à la fois intéressant et un peu frustrant.

Mais qui mérite le détour.

 


 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article