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Publié par Parolesdejuges

 

- Depuis un long moment la société s'interroge sur les réponses juridiques à apporter aux infractions sexuelles commises sur les mineur(e)s. Ce sujet a été abordé plusieurs fois ici, et encore très récemment (lire ici) (auparavant ici).

Relancé par quelques affaires très médiatisées, le débat qui traverse toute la société trouve en ce moment sa suite logique au Parlement. Les discussions portent encore et toujours sur les seuils d'âge (13 ans, 15 ans), sur le consentement, et secondairement sur la prescription.

Nous nous arrêterons aujourd'hui sur un aspect des textes débattus par les parlementaires, qui n'en mesurent pas nécessairement l'importance, et les éventuelles conséquences judiciaires.

Il y a quelques jours, un article du journal Le Monde (lire ici) a mentionné que le Parlement prévoit de fixer de nouveaux seuils d'âge en matière d'infractions sexuelles et d'ajouter dans la loi pénale, c'est ce qui nous intéresse, que les seuils d'âge s'appliqueront et auront un effet direct sur la peine encourue par l'auteur de l'agression sexuelle mais "à la condition qu’il ait connaissance de l’âge de la victime".

La notion de connaissance de l'âge de la victime apparaît bien dans certains documents parlementaires. Dans une proposition de loi déposée le 9 février 2021 à l'Assemblée Nationale il est mentionné à plusieurs reprises : "alors même qu’il a connaissance de cet âge ou ne pouvait l’ignorer" (document ici).

Cette petite phrase attire immédiatement l'attention des juristes et des praticiens de la justice, parce qu'elle ressemble à une bombe à retardement qui pourrait faire quelques dégâts.
 

- La première difficulté concerne la cohérence d'ensemble de notre droit pénal.

Le code pénal contient de nombreux seuils d'âge. Et très souvent celui de 15 ans. On retrouve un tel seuil de 15 ans à propos du meurtre (texte ici), des actes de torture et de barbarie (texte ici), des coups mortels (texte ici), des violences avec infirmité (texte ici), du non empêchement de crime (texte ici), de la provocation au suicide (texte ici), du délaissement de mineur (texte ici), de la provocation à usage de stupéfiants (texte ici) ou de l'alcool (texte ici).

Dans le domaine des infractions à caractère sexuel, on retrouve ce seuil de 15 ans à propos du viol (texte ici), des autres agressions sexuelles (texte ici), des atteintes sexuelles (texte ici), du harcèlement sexuel (texte ici), du proxénétisme (texte ici).

Mais dans aucun de ces nombreux textes l'application du seuil n'est soumis à la condition de la connaissance de l'âge de la victime par l'auteur de l'infraction.

C'est pourquoi, si un nouveau texte pénal posant comme condition d'application la connaissance de l'âge de la victime par l'auteur de l'infraction était adopté, il faudrait impérativement que le gouvernement et les parlementaires expliquent de façon convaincante d'une part pourquoi un mécanisme nouveau est introduit aujourd'hui, et plus encore pourquoi cette connaissance de l'âge de la victime sera à l'avenir mentionné pour certaines infractions et pas pour les autres. Et cela quand bien même les infractions avec et sans cette condition sont très proches.

Mais quelles que soient les explications susceptibles d'être apportées par le législateur, une différence de cadre légal entre les auteurs des diverses infractions commises sur des mineur(e)s de moins de 15 ans pourra difficilement être admise d'un point de vue juridique. S'il est admis en droit français que des réponse pénales différentes peuvent être apportées à des situations factuelles différentes, on ne voit pas bien en quoi, s'agissant de la connaissance de l'âge de la victime, le harceleur et le proxénète sont au niveau des principes dans une situation différente de l'agresseur sexuel.
 

- La difficulté suivante et majeure concerne la charge de la preuve.

Dans le cadre légal actuel, il est considéré la plupart du temps que l'âge de la victime est une composante factuelle non discutable. Cette composante de l'infraction est retenue au seul constat objectif de l'âge de la victime, sans aucune autre condition.

En pratique, dans la très grande majorité des procès, les auteurs des infractions ne discutent pas leur connaissance de l'âge objectif de la victime. Ce n'est que de façon très exceptionnelle qu'ils soutiennent n'avoir pas su ou s'être trompés sur l'âge de cette victime.

C'est ce qui explique pourquoi les décisions de justice autour de cette connaissance de l'âge de la victime ne sont pas très nombreuses. Et celles que l'on relève ne sont pas en faveur des personnes poursuivies.

La cour de cassation a validé la condamnation d'un homme pour corruption de mineur après que la cour d'appel ait retenu qu'il "il lui appartenait nécessairement de s'en informer (de l'âge)", et "qu'il est en conséquence mal fondé à se prévaloir d'une erreur ou d'une ignorance dont il est entièrement responsable" (décision intégrale ici).

Elle a également validé la motivation d'une autre cour d'appel qui avait retenu que l'auteur "ne saurait, pour s'exonérer de sa responsabilité pénale, prétendre avoir ignoré leur minorité ou même avoir été volontairement induit en erreur sur celle-ci par les victimes elles-mêmes, dès lors que l'aspect de la victime ne saurait être invoqué comme constitutif d'erreur et qu'il lui appartenait de s'assurer de leur majorité" (décision intégrale ici).

Cela montre qu'en droit et jusqu'à présent, il est considéré que l'âge de la victime est un élément factuel objectif, et qu'il appartient à l'auteur de l'infraction de vérifier cet âge avant de commettre l'acte envisagé. Il n'y a pas de place pour une prétendue erreur sur l'âge de la victime. Ou pour le dire autrement, l'erreur pour être admise doit être inévitable (1), ce qu'elle n'est pas dans ce domaine.

Mais avec la nouvelle rédaction envisagée par les parlementaires, il pourrait être soutenu qu'il y a une modification de la charge de la preuve.

Dans notre système juridique, la charge de la preuve de l'existence de chaque élément constitutif d'une infraction pèse sur le ministère public. Dans ce qui est envisagé, l'ajout de la connaissance préalable par l'auteur de l'infraction de l'âge réel de la victime semble en faire un élément constitutif d'une infraction caractérisée ou aggravée par cet âge.

Ce ne serait donc plus l'auteur de l'infraction qui devrait démontrer qu'il n'était pas en mesure de connaître l'âge de la victime, ce serait au procureur de démontrer que cet auteur connaissait cet âge.

Mais comment le procureur pourra-t-il rapporter une telle preuve si l'auteur affirme qu'il ne connaissait pas l'âge de la victime ?

S'il n'y a aucun témoin qui, par exemple, serait susceptible de confirmer qu'au cours d'une conversation à laquelle il a assisté la victime a clairement dit à son agresseur qu'elle avait 14 ans, ou si l'auteur de l'infraction n'est pas un très proche de la victime (oncle, grand-père, beau-père..) qui manifestement connaît son âge pour avoir été informé de sa naissance et/ou avoir participé à des anniversaires, comment le procureur pourra-t-il démontrer que l'agresseur disposait de cette information ?

Autrement dit, si l'agresseur qui sans être un très proche connaissait l'âge de la victime affirme mensongèrement "je pensais qu'elle avait 15 (ou 16) ans et je ne savais pas qu'elle en avait 14", comment le procureur arrivera-t-il à prouver que c'est faux et qu'il savait qu'elle en avait 14 ? La connaissance de l'âge de la victime n'est alors qu'une information dans le cerveau de l'auteur de l'infraction. Et sa présence y est invérifiable.

Si la victime affirme seule lui avoir dit sans témoin, et conformément à la réalité, qu'elle avait 14 ans (ou moins), et que l'auteur de l'infraction dément, qui faudra-t-il croire ?

Conditionner l'application du texte à la preuve supplémentaire rapportée par l'accusation de la connaissance par l'auteur de l'infraction de l'âge de la victime, ce serait donner volontairement à tous les auteurs un moyen efficace d'échapper à la sanction attachée à l'infraction, ou en tous cas à l'aggravation de la peine encourue du fait de l'âge de la victime. Car, à n'en pas douter, la plupart des intéressés affirmeront qu'ils ne savaient pas que la victime avait moins de 15 ans, même si c'est un mensonge. Les personnes poursuivies en justice ne prêtent pas en France serment de dire la vérité (sur le droit de mentir lire ici).

Il s'agirait en d'autres termes, à travers cette modification des textes, d'encourager et de donner un effet positif au mensonge, en faisant de ce mensonge un moyen simple et efficace de limitation de la responsabilité pénale. Ce qui peut paraître troublant.

- Faudrait-il alors, pour contourner le mensonge de l'accusé, se demander au regard de ce que donnait à voir la victime s'il pouvait réaliser quel était son âge ? Les praticiens n'osent pas imaginer un procès au cours duquel serait projetée une photographie de la victime à l'époque des faits, chacun dans la salle d'audience se demandant si elle "fait" 15 ans...ou un peu moins moins.. ou un peu plus. Avec toute la subjectivité de l'exercice.

On trouve une rare trace d'une telle approche dans une décision de la cour de cassation (texte intégral ici, n° 105 p. 241) : "Attendu que, pour écarter l'argumentation du prévenu qui soutenait avoir cru que X... était âgée de seize ans et non de douze ans au moment de la commission des faits, en septembre 2012, la cour d'appel énonce notamment que les photographies de celle-ci, datant de ce même mois, représentaient une jeune fille de son âge et que, selon un ami du prévenu qui l'avait rencontrée peu de temps avant lui, elle avait visiblement bien moins de quinze ans ; Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine, desquelles il résulte que le prévenu n'a pu se méprendre sur l'âge de la victime, la cour d'appel a justifié sa décision."

Mais la cour de cassation n'affirme pas qu'il faut raisonner comme l'a fait la cour d'assises. Elle se contente de ne pas critiquer la démarche, ce qui n'est pas du tout la même chose.

Ensuite de cette projection, peut-on imaginer que dans la motivation d'une décision de justice il soit écrit qu'en fonction de sa taille, de ses yeux, du développement de son corps, il a été considéré puis jugé qu'une jeune fille fait plus ou moins de quinze ans, et que cela était visible de l'accusé, pour conclure que l'auteur de l'infraction devait connaître son âge en la regardant et en l'observant ? Cela est difficilement envisageable.
 

- La question en arrière plan est celle de l'opportunité d'introduire cette nouvelle condition dans la loi pénale.

Jusqu'à présent et depuis de très nombreuses années, les universitaires, les avocats, les magistrats, ne soutiennent jamais que considérer que l'âge d'une victime est un élément factuel indiscutable pose un quelconque problème légal. Le système juridique actuel ne semble sous cet aspect poser de difficulté à personne. Dans toutes les juridictions pénales, tous les jours, l'âge de la victime est seulement constaté, et il entraîne automatiquement les conséquences légales qui s'y attachent.

Dans le rapport parlementaire précité (document ici), le critère de la connaissance de l'âge a été introduit mais, sauf erreur, il n'est nulle part expliqué pourquoi.

Il est donc difficile de saisir en quoi introduire dans la loi le critère de la connaissance de l'âge, très favorable aux agresseurs sexuels, est devenu soudainement une nécessité.

Quoi qu'il en soit, une modification des textes en ce sens non seulement n'est pas opportune, mais elle pourrait avoir des effets dommageables pour la répression et surtout pour les victimes.

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(1). Xavier Pin. Droit pénal. Droit pénal général, Dalloz, 9ème édition, n° 212.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Présidente de la Fédération des Comités Alexis Danan pour la protection de l'enfance malheureuse.<br /> <br /> Je vous remercie de vos propos, Monsieur, que je partage souvent.<br /> <br /> Respectueusement,<br /> AMC <br /> 06 80 70 63 47<br /> Car les enfants sont malheureux dans tout cela et il y a beaucoup à dire ...
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