Les infractions sexuelles contre les mineur(e)s et la connaissance de l'âge de la victime
Cet article a été mis en ligne en mars 2021.
Il est mis à jour après la publication d'articles du Monde en mai 2024
(texte de mai 2024)
Une affaire de prostitution d'une jeune fille de 12 ans
Dans ses éditions des 29 et 30 mai 2024, Le Monde fait le compte rendu d'un procès impliquant une pluralité d'adultes qui ont eu des relations sexuelles avec une jeune fille de 12 ans qui était contrainte à la prostitution (articles ici et ici). Les proxénètes ont été poursuivis et condamnés dans le cadre d'un premier procès, et dans celui qui est commenté dans Le Monde ce sont des clients qui ont eu des relations sexuelles avec cette jeune fille qui comparaissent devant le tribunal correctionnel.
Parce que la victime avait 12 ans, la journaliste s'étonne à juste titre que les personnes qui ont eu une relation sexuelle avec elle n'aient pas été poursuivies pour viol. Elle écrit : " (..) les clients comparaissent ce mercredi et encourent jusqu'à cinq ans d'emprisonnement. Ni la minorité de moins de 15 ans ni la présomption de non consentement de la mineure de moins de 15 ans, qui auraient permis de poursuivre les prévenus pour viol, n'ont été retenues. (..)".
En effet, après un débat qui a duré des années, il a été inséré dans le code pénal français en avril 2021 un article 222-23-1 (texte ici) pour prévoir, dorénavant, que même sans violence contrainte menace ou surprise, il y a juridiquement et sans aucune exception viol punissable en cas de relation sexuelle entre une personne qui a moins de 15 ans et un majeur (avec comme condition une différence d'âge d'au moins cinq ans entre les deux).
Puis dans ce même article la journaliste relate les propos de membres d'une association qui agit contre la prostitution des enfants : "ils regrettent aussi que la loi de 2021 sur la présomption de non consentement des mineurs de moins de 15 ans ressemble à une loi d'affichage, impossible à utiliser dans ces cas pour lesquelles elle a été notamment pensée. Il faut en effet pouvoir démontrer que le client savait qu'elle avait moins de 15 ans alors qu'on sait que personne même pas la victime ne va jamais dire qu'elle a 12 ans. Résultat le dossier achoppe sur des débats d'apparence. Les clients se justifient avec la pénombre de la chambre ou la quantité de maquillage qui les ont empêché d'appréhender la réalité de son âge. On le comprend pénalement mais c'est très dur moralement. " (1)
Dans le deuxième article, rédigé après la condamnation pénale des clients, la journaliste écrit ceci : "Il aura rarement été autant question de luminosité dans un procès. De cette « lumière tamisée », de cette « pénombre », de cette « serviette déposée sur la lampe de chevet », qui aurait empêché les six prévenus qui comparaissaient pour recours à la prostitution d’une mineure devant le tribunal correctionnel de Pontoise, mercredi 29 mai, de se rendre compte de l’âge extrêmement jeune de l’adolescente en face d’eux dans ces deux chambres d’hôtels d’Herblay (Val-d’Oise) ces deux soirs de novembre 2023. A l’époque des faits, Inès (son prénom a été modifié) avait 12 ans. Le clair-obscur était-il une explication suffisante ? Au terme de quatre heures d’âpres débats, le président du tribunal (..) et les deux juges à ses côtés ont estimé que non, la lumière n’était pas une justification : « L’apparence physique de la victime ne laissait aucun doute sur son état de minorité. »
Certaines personnes semblent donc penser que pour que la circonstance aggravante tenant à l'âge de la victime soit retenue, il faut prouver que la personne poursuivie connaissait cet âge.
Cela impose de revenir en arrière, d'analyser les enjeux de cette problématique de la connaissance de l'âge de la victime, et de préciser sur ce sujet l'état du droit en vigueur.
(texte de 2021, mis à jour)
La connaissance de l'âge de la victime de moins de 15 ans n'est pas une condition légale de la condamnation de l'agresseur sexuel
- Depuis un long moment la société s'interroge sur les réponses juridiques à apporter aux infractions sexuelles commises sur les mineur(e)s. Ce sujet a été abordé plusieurs fois ici (lire ici) (auparavant ici).
Avant la réforme rappelée plus haut, un article du journal Le Monde (lire ici) avait mentionné que le Parlement prévoyait de fixer de nouveaux seuils d'âge en matière d'infractions sexuelles et d'ajouter dans la loi pénale, c'est ce qui nous intéresse aujourd'hui, que les seuils d'âge s'appliqueront et auront un effet direct sur la peine encourue par l'auteur de l'agression sexuelle mais "à la condition qu’il ait connaissance de l’âge de la victime".
La notion de connaissance de l'âge de la victime apparaît bien dans certains documents parlementaires. Dans une proposition de loi déposée le 9 février 2021 à l'Assemblée Nationale il est mentionné à plusieurs reprises : "alors même qu’il a connaissance de cet âge ou ne pouvait l’ignorer" (document ici).
Cette petite phrase avait attiré immédiatement l'attention des juristes et des praticiens de la justice, parce qu'elle ressemblait à une bombe à retardement qui aurait pu faire de lourds dégâts.
- La première difficulté concernait la cohérence d'ensemble de notre droit pénal.
Le code pénal contient de nombreux seuils d'âge. Et très souvent celui de 15 ans. On retrouve un tel seuil de 15 ans à propos du meurtre (texte ici), des actes de torture et de barbarie (texte ici), des coups mortels (texte ici), des violences avec infirmité (texte ici), du non empêchement de crime (texte ici), de la provocation au suicide (texte ici), du délaissement de mineur (texte ici), de la provocation à usage de stupéfiants (texte ici) ou de l'alcool (texte ici).
Dans le domaine des infractions à caractère sexuel, on retrouve ce seuil de 15 ans à propos du viol (texte ici), des autres agressions sexuelles (texte ici), des atteintes sexuelles (texte ici), du harcèlement sexuel (texte ici), du proxénétisme (texte ici).
Si ces projets avaient été suivis d'effets, il aurait été nécessaire d'expliquer pourquoi dans certaines infractions la connaissance de l'âge de la victime est posée comme condition, mais pas dans d'autres.
Actuellement, dans aucun de ces nombreux textes il n'est écrit que l'application de la circonstance aggravante de l'âge de la victime est soumise à la condition de la connaissance de cet âge par l'auteur de l'infraction.
C'est ce qui explique pourquoi, à la cour d'assises ou la cour criminelle départementale, lorsque des accusés sont poursuivis pour viol sur mineur de 15 ans, sur la feuille de questions qui énumère les questions auxquelles doit répondre la juridiction criminelle et qui fixe les caractéristiques juridiques de l'infraction définitivement retenue, il y a une question sur le fait que la victime avait moins de 15 ans mais il n'y a jamais aucune question sur la connaissance par l'agresseur sexuel de l'âge réel de la victime. Ce qui fait que même si l'agresseur sexuel prétend qu'il ignorait que la victime avait moins de 15 ans, cela ne peut avoir aucun impact sur la déclaration de culpabilité incluant cette circonstance aggravante. Autrement dit, la juridiction se contente à chaque fois de constater l'âge de la victime au moment des faits.
L'absence d'une telle question est implicitement validée par la comparaison avec une autre circonstance aggravante du viol qui est l'état de vulnérabilité de la victime (article 222-24, 3° du code pénal - texte ici). Il est expressément prévu que cette circonstance aggravante, qui comme la minorité de 15 ans fait passer la peine encourue de 15 à 20 ans, doit être "apparente ou connue de l'auteur". Dans ce cas, et parce que cela est expressément prévu par la loi pénale, la juridiction criminelle doit poser et répondre à une question supplémentaire sur la connaissance, par l'accusé, de la vulnérabilité de la victime. Ce qui impose de retenir, à l'envers, que là où cette condition n'apparait pas expressément dans la loi la question de la connaissance de la particularité de la victime, et notamment son âge, ne se pose pas.
Notons que cette absence de question posée sur la connaissance de l'âge de la victime de viol n'a jamais fait l'objet de la moindre critique dans les milieux juridiques.
Enfin, tout aussi révélateur est le fait que le parlement n'ait finalement pas décidé, comme les projets mentionnés plus haut le prévoyaient, d'ajouter dans le code pénal et dans les articles sur les agressions sexuelles des phrases comme : "à la condition qu’il ait connaissance de l’âge de la victime".
- En cas d'approche inverse, la difficulté majeure concernerait la charge de la preuve.
Dans la très grande majorité des procès, les auteurs des agressions sexuelles ne discutent pas leur connaissance de l'âge réel de la victime. Ce n'est que de façon très exceptionnelle qu'ils soutiennent n'avoir pas su ou s'être trompés sur l'âge de cette victime.
C'est ce qui explique pourquoi les décisions de justice autour de cette connaissance de l'âge de la victime ne sont pas très nombreuses. Et celles que l'on relève ne sont pas en faveur des personnes poursuivies.
La cour de cassation a validé la condamnation d'un homme pour corruption de mineur après que la cour d'appel ait retenu qu'il "il lui appartenait nécessairement de s'en informer (de l'âge)", et "qu'il est en conséquence mal fondé à se prévaloir d'une erreur ou d'une ignorance dont il est entièrement responsable" (décision intégrale ici).
Elle a également validé la motivation d'une autre cour d'appel qui avait retenu que l'auteur "ne saurait, pour s'exonérer de sa responsabilité pénale, prétendre avoir ignoré leur minorité ou même avoir été volontairement induit en erreur sur celle-ci par les victimes elles-mêmes, dès lors que l'aspect de la victime ne saurait être invoqué comme constitutif d'erreur et qu'il lui appartenait de s'assurer de leur majorité" (décision intégrale ici).
Cela montre qu'en droit et jusqu'à présent, il est considéré que l'âge de la victime est un élément factuel objectif, et qu'il appartient à l'auteur de l'infraction de vérifier cet âge avant de commettre l'acte envisagé. Il n'y a pas de place pour une prétendue erreur sur l'âge de la victime. Ou pour le dire autrement, l'erreur pour être admise doit être inévitable (2), ce qu'elle n'est pas dans ce domaine.
Mais supposons un instant qu'il soit nécessaire de démonter que l'agresseur sexuel connaissait l'âge de la victime, et demandons nous à quoi pourrait ressembler le débat à l'audience.
D'abord, comment le procureur pourra-t-il rapporter une telle preuve si l'auteur affirme qu'il ne connaissait pas l'âge de la victime, même si cela est faux ?
S'il n'y a aucun témoin qui, par exemple, serait susceptible de confirmer qu'au cours d'une conversation à laquelle il a assisté la victime a clairement dit à son agresseur qu'elle avait 14 ans, ou si l'auteur de l'infraction n'est pas un très proche de la victime (oncle, grand-père, beau-père..) qui manifestement connaît son âge, comment le procureur pourra-t-il démontrer que l'agresseur disposait de cette information ?
Conditionner l'application de la circonstance aggravante à la preuve supplémentaire rapportée par l'accusation de la connaissance par l'auteur de l'infraction de l'âge de la victime, ce serait donner volontairement à tous les auteurs d'agressions sexuelles sur de très jeunes filles un moyen efficace d'échapper à l'aggravation de la peine encourue du fait de l'âge de la victime. Car, à n'en pas douter, la plupart des intéressés affirmeraient qu'ils ne savaient pas que la victime avait moins de 15 ans, même si c'est un mensonge. Les personnes poursuivies en justice ne prêtent pas en France serment de dire la vérité (sur le droit de mentir lire ici).
- Faudrait-il alors, pour contourner le mensonge de l'accusé, se demander au regard de ce que donnait à voir la victime s'il pouvait réaliser quel était son âge ? Les praticiens n'osent pas imaginer un procès au cours duquel serait projetée une photographie de la victime à l'époque des faits, chacun dans la salle d'audience se demandant si elle "fait" 15 ans...ou un peu moins moins.. ou un peu plus. Avec toute la subjectivité de l'exercice.
On trouve une rare trace d'une telle approche dans une décision de la cour de cassation (texte intégral ici, n° 105 p. 241) : "Attendu que, pour écarter l'argumentation du prévenu qui soutenait avoir cru que X... était âgée de seize ans et non de douze ans au moment de la commission des faits, en septembre 2012, la cour d'appel énonce notamment que les photographies de celle-ci, datant de ce même mois, représentaient une jeune fille de son âge et que, selon un ami du prévenu qui l'avait rencontrée peu de temps avant lui, elle avait visiblement bien moins de quinze ans ; Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine, desquelles il résulte que le prévenu n'a pu se méprendre sur l'âge de la victime, la cour d'appel a justifié sa décision."
Mais la cour de cassation n'affirme pas qu'il faut raisonner comme l'a fait la cour d'assises. Elle se contente de ne pas critiquer la démarche, ce qui n'est pas la même chose.
Ensuite de cette projection, peut-on imaginer que dans la motivation d'une décision de justice il soit écrit qu'en fonction de sa taille, de ses yeux, du développement de son corps, il a été considéré puis jugé qu'une jeune fille fait plus ou moins de quinze ans, et que cela était visible de l'accusé, pour conclure que l'auteur de l'infraction devait connaître son âge en la regardant et en l'observant ? Cela est difficilement envisageable et ouvrirait la porte à la subjectivité du juge.
Conclusion
En droit, aujourd'hui comme hier, quand le code pénal prévoit une peine aggravée pour une infraction sexuelle sur un mineur de moins de 15 ans, la question de la connaissance par l'auteur de l'infraction de l'âge réel de la victime ne se pose juridiquement pas. Que la personne poursuivie reconnaisse ou conteste qu'elle savait que la victime avait moins de 15 ans, cela ne change rien à sa situation légale et la circonstance aggravante lui est applicable, de même que l'augmentation de la peine encourue qui en est la conséquence.
Raisonner en sens inverse, et exiger la preuve de la connaissance chez les auteurs de l'âge de la victime, serait, en encourageant le mensonge de ceux-ci, offrir aux agresseurs sexuels d'enfants un moyen d'échapper à la sanction.
Ceux qui choisissent en pleine connaissance de cause de ne pas vérifier l'âge d'une partenaire sexuelle qui ne leur semble pas très âgée ne doivent jamais pouvoir en tirer un avantage.
Quant à ceux qui veulent éviter de transgresser la loi, il leur suffit soit de s'assurer par un moyen ou un autre de l'âge exact de l'éventuelle partenaire sexuelle, soit en cas de doute de s'abstenir.
Rien n'obligera jamais personne à avoir une relation sexuelle dans des conditions douteuses.
--------------------
1. La journaliste a aussi interviewé l'avocat de la jeune fille qui a déclaré qu'une comparution devant la cour d'assises aurait pu être dommageable pour elle. Et qui donc approuve implicitement la correctionnalisation des faits (sur le mécanisme discutable de la correctionnalisation lire not. ici)
Il faut alors rappeler que l'un des arguments principaux mis en avant pour justifier l'expérimentation puis la généralisation de la cour criminelle départementale (CCD) était la fin de la correctionnalisation. Qui semble encore largement pratiquée.
2. Xavier Pin. Droit pénal. Droit pénal général, Dalloz, 9ème édition, n° 212.