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Guide de la protection judiciaire de l'enfant

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Publié par Parolesdejuges

 

La publication très récente d’un livre sur l’inceste vient, une fois de plus, relancer le débat judiciaire, parlementaire, et sociétal autour de la réponse pénale et de la notion de consentement.

Nous avons déjà largement abordé cette problématique dans un précédent article auquel nous renvoyons le lecteur (article ici). Nous nous arrêterons un peu plus aujourd’hui sur l’opportunité de modifier le cadre juridique applicable.

Il faut pour commencer rappeler les règles pénales en vigueur, et à cette occasion fournir quelques précisions de vocabulaire.


Les règles en vigueur : catégories d’infractions et peines encourues

Dans le code pénal, l’expression « atteinte sexuelle », s’applique aux contacts sexuels de toute nature qui sont punis par la loi.

Dans la grande catégorie des atteintes sexuelles il y a deux sous-catégories :
 

1. Les contacts sexuels sans le consentement de l’autre.

Quand un contact sexuel est imposé à une personne non consentante, quel que soit son âge, on parle d’agression sexuelle (texte ici).

Pour caractériser l’absence de consentement, le code pénal mentionne un acte sexuel commis avec violence, contrainte (physique ou morale), menace (physique ou verbale) ou surprise. On parle de consentement « surpris » quand il n’a pas pu y avoir un consentement libre, lucide et éclairé, quand bien même il n’y a aucune des trois autres composantes. (1)

Et dans cette catégorie des agressions sexuelles il y a encore deux sous-catégories :

              -> Les agressions sexuelles avec pénétration qui sont les viols. (2)

Le viol est puni de 15 ans de prison (texte ici).

Une pluralité de circonstances aggravantes fait passer la peine à 20 ans de prison et parmi celle-ci : la victime est un « mineur de 15 ans » (mineur signifie « moins de », donc il s’agit des victimes de 14 ans et en dessous) ; l’auteur est un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime (par exemple le beau-père qui l’élève avec la mère) (texte ici).

Sans que cela modifie la peine encourue, le viol est déclaré incestueux quand il est commis par un ascendant, un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce de la victime ; le conjoint, le concubin d'une de ces personnes ou le partenaire pacsé de ces personnes s'il a sur la victime une autorité de droit ou de fait (texte ici).(sur inceste et droit lire ici)

              -> Toutes les autres agressions sexuelles, concrètement toutes les formes d’attouchements à caractère sexuel sans pénétration.

Ces agressions sexuelles sont punies de 5 ans de prison (texte ici).

Ici encore il existe une pluralité de circonstances aggravantes et qui font passer la peine à 7 ans de prison et notamment : l’auteur est un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime (texte ici).

La peine devient 10 ans de prison quand l’attouchement sexuel est commis sur un mineur de 15 ans (texte ici).

Ces agressions sexuelles sont déclarées incestueuses dans les mêmes conditions précitées que pour le viol (texte ici)
 

2. Les contacts sexuels avec le consentement des deux partenaires mais dont l’un est majeur et l’autre mineur. On parle alors d’atteintes sexuelles sans autre précision.

Cela concerne d’abord tous les contacts à caractère sexuel, avec ou sans pénétration, entre un majeur, et un mineur de 15 ans. (texte ici)

Ces contacts sexuels sont punis de 7 ans de prison (texte ici), ce qui n’est pas dérisoire puisque le texte s’applique quand le mineur est consentant.

La peine passe à 10 ans de prison quand le majeur est un ascendant ou une personne ayant autorité sur le mineur (texte ici).

Au-delà, sont également punis les contacts sexuels avec un mineur de 15 à 17 ans consentant quand l’auteur de ce contact est un ascendant ou une personne ayant autorité. La peine encourue est alors de 3 ans de prison (texte ici).

Toutes ces atteintes sexuelles sont elles aussi qualifiées incestueuses quand les auteurs sont ceux décrits plus haut (texte ici). (3)


La problématique du consentement des jeunes enfants

Si la loi prévoit qu’un mineur de 15 ans puisse être consentant, ce qui au procès laisse ouverte la possibilité d’un débat sur l’existence ou l’absence de ce consentement, elle ne prévoit pas d’âge en dessous duquel l’absence de consentement est certaine et ne peut pas être discutée. C’est pourquoi le débat est régulièrement relancé sur l’opportunité d’inscrire dans le code pénal qu’en dessous d'un certain âge l’enfant ne peut par principe jamais être considéré comme consentant. Cela s’appellerait une présomption de non-consentement.

La problématique comporte deux aspects : En quoi consiste le consentement dans une relation sexuelle ? Faut-il et à quel âge fixer une éventuelle présomption de non-consentement ?

Ce point a été largement abordé dans le précédent article (lire ici) (4). Rappelons quand même l’essentiel.

Le consentement ce n’est pas l’absence d’opposition. Consentir au sens plein du terme, c’est être capable de donner un accord libre, éclairé, et lucide.

Dans une relation sexuelle, le partenaire dont le consentement est requis doit d’une part avoir une connaissance réelle et suffisante de la sexualité sous ses composantes physique, médicale, et émotionnelle, et d’autre part ne subir aucune influence ou contrainte d’aucune sorte, directe ou indirecte, de la part de l’autre.

Pour clarifier les choses, certains de ces critères ont été insérés dans le code pénal. Il y est écrit que la différence d’âge et l’autorité de l’adulte peuvent caractériser la contrainte morale et la surprise. Et que pour les moins de quinze ans l’absence de connaissance et de maîtrise suffisante de la sexualité caractérise l’absence de discernement. (texte ici)

C’est pourquoi en justice, quand l’acte sexuel est pratiqué sur un très jeune enfant, et quand bien même la loi ne prévoit pas de présomption de non-consentement, il ne viendra à l’idée de personne de soutenir que ce très jeune enfant a pu consentir librement et lucidement à cet acte.

En plus, tout le monde a conscience que quand l’auteur de l’acte est un proche qui détient l’autorité (père ou beau-père notamment), il est très difficile au jeune enfant de dire non même s’il perçoit plus ou moins le caractère bizarre du contact sexuel. D’autant plus que les adultes exercent souvent une forme de chantage affectif sur l’enfant pour le dissuader de les dénoncer.

Tout cela fait qu’aux audiences pénales, sauf peut-être en de très rares exceptions, personne ne soutient que les jeunes enfants puissent être vraiment consentants. Pour ce qui concerne la cour d’assises, les accusés et surtout les avocats qui les accompagnent savent très bien à quel point soutenir cela peut avoir un effet négatif au moment où va être décidé le nombre d’années de prison (5).


Faut-il faire évoluer le code pénal ?

Pour les raisons qui viennent d’être énoncées, s’il était inscrit dans la loi comme cela est régulièrement proposé que les mineurs de 13 ans ne peuvent jamais être consentants, cela ne changerait pas grand-chose au traitement judiciaire des affaires.

Cela pourrait sans doute éviter quelques rares dérives, clarifier le cadre juridique dès la plainte et les premières auditions des mis en cause, empêcher pendant le procès quelques allusions malsaines. Ce serait un message d’avertissement clair à tous les citoyens. Mais cela ne bouleverserait pas le traitement judiciaire des affaires.

L’enjeu est bien moins important que ce que l’agitation autour de cet aspect du débat laisse penser.

Mais à l’inverse, une présomption de non-consentement des mineurs de 13 ans confirmerait que le débat sur la réalité d’un consentement reste possible pour les 13/14 ans. Même si peu d’entre eux sont en situation de fournir un consentement libre et éclairé. L'effet négatif d'un tel texte pourrait être alors plus important que son effet positif.

Il pourrait toutefois être envisagé une autre évolution du code pénal.

En effet, les textes en vigueur sur les atteintes sexuelles avec des mineurs de 15 ans consentants ne distinguent pas selon qu’il y a pénétration ou non. Les textes ne font pas de différence entre la caresse sur la poitrine et l’acte de pénétration. Ce qui n’est pourtant pas la même chose.

Alors que les attouchements de nature sexuelle sur ces mineurs sont punis de 10 ans quand ils sont commis par un ascendant ou une personne ayant autorité, la peine encourue en cas d’atteinte sexuelle avec pénétration pourrait être criminalisée (6) et passer à 15 ans.

Outre le parallèle avec la répression différenciée des agressions sexuelles avec ou sans pénétrations, il serait soutenu à l’appui de cette augmentation de la peine que les relations sexuelles complètes sont nettement plus graves que les seuls attouchements, et que ces relations sexuelles entre les jeunes enfants et leurs proches sont toujours psychiquement dévastatrices, y compris quand en apparence il y a une forme de consentement de l’enfant concerné.

Cela ne supprimerait pas totalement le débat sur le consentement, mais celui-ci perdrait une grande partie de son utilité car le caractère toujours dommageable et donc totalement inacceptable de telles relations serait affirmé avec force par la loi. Ce serait socialement un message fort adressé à tous les proches des enfants : même avec des enfants qui semblent être consentants la relation sexuelle est toujours un acte psychiquement dévastateur et très sévèrement puni par la loi.

Ces relations sexuelles par des proches sur les enfants de moins de 15 ans seraient finalement soit des viols punis de 20 ans de prison en cas d’absence certaine de consentement libre et lucide, soit secondairement des atteintes sexuelles punies de 15 ans de prison en cas de consentement du mineur. (7)

Conclusion

Même si leur nombre exact n’est pas connu, personne ne conteste le fait que les atteintes sexuelles sur les enfants sont d’une ampleur inacceptable. Et dans tous les cas, elles ont des conséquences psychiquement dommageables voire dévastatrices.

La loi pénale actuelle punit déjà sévèrement toutes les formes d’atteintes sexuelles sur les mineurs de 15 ans, avec ou sans consentement du mineur, et notamment celles commises par les proches et qui comprennent les relations sexuelles incestueuses.

Une décision judiciaire inadaptée ici ou là ne change rien au fait que juges et jurés sont déjà très sensibilisés au fait que les jeunes enfants ne peuvent pas élaborer un consentement suffisamment lucide et éclairé à la relation sexuelles avec un majeur. D’autant plus que celui-ci est un proche qui a autorité sur eux et auquel il leur est difficile de s’opposer.

La mise en place d’un seuil d’âge en dessous duquel il existerait dans la loi une présomption de non-responsabilité, s’il peut clarifier les choses socialement, n’est pas une priorité d’un point de vue judiciaire.

L’essentiel n’est pas là. Si bien des progrès doivent être faits dans tous les domaines, l’une des lacunes majeures est le manque d’information précises de toute la population.

C’est pourquoi il pourrait être décidé d’une part de distribuer à tous les enfants à partir du collège une plaquette d’information rappelant les termes de la loi, et d’autre part de faire régulièrement diffuser aux heures de grande écoute, sur les chaines de télévision et de radio, des messages rappelant ce qui est interdit et les peines encourues (8).

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1. C’est le cas par exemple si une pénétration sexuelle est effectuée sur une femme inconsciente (sommeil, alcool, hôpital...) et qui ne se rend pas compte de ce qui se passe. Elle ne s’oppose pas, mais elle ne consent pas.

2. De très nombreux hommes sont persuadés, à tort, que les fellations imposées ne sont pas des viols.

3. A noter que l’atteinte sexuelle consentie sera qualifiée incestueuse uniquement si elle est commise sur un mineur, alors que ce caractère ne dépend pas de l’âge de la victime.

4. Sur la problématique semblable de discernement lire un précédent article ici.

5. A tel point que l’on voit assez régulièrement des avocats se désolidariser de la position intenable de leur client accusé. Ce qui est stratégiquement habile, quand bien même cela interroge d’un point de vue déontologique.

6. On parle de peine « correctionnelle » jusque 10 ans de prison, et de peine « criminelle » de 15 ans de prison à la réclusion à perpétuité. Les peines criminelles sont 15 ans, 20 ans, 30 ans, et la réclusion perpétuelle (textes ici).

7. Le Sénat vient de voter la création d'une nouvelle infraction rédigée ainsi (document ici) : "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par une personne majeure sur un mineur de treize ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle lorsque l’auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime." Mais sachant que le consentement des mineurs de 13 ans n'est quasiment jamais soutenu et qu'une telle relation sexuelle est déjà punie de 20 ans de prison comme viol, on ne voit pas bien ce que ce texte, qui ne retient pas la qualification de viol et qui ne figure pas dans la section du code pénal relative aux agressions sexuelles, va apporter et dans quel cas il sera utilisé.

8. En podcast sur France Culture, "Comment  parler de pédo-criminalité et de violences sexuelles aux enfants" (document ici)

 

 

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