Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Guide de la protection judiciaire de l'enfant

Le "Guide de la protection judiciaire de l'enfant" est en téléchargement libre.

Pour l'obtenir cliquez ici.

Paroles de juges sur Facebook

Sur Facebook, les articles, et d'autres choses en plus.

C'est ici.

Publié par Parolesdejuges

 

Par Monsieur M.. , juré en 2020

 

Jeudi, 17h, encore sur mon lieu de travail, mon portable sonne. C’est le commissariat. Je suis appelé en urgence pour une convocation au tribunal. Une grande panique et des interrogations avant de comprendre qu’il s’agit simplement d’un appel à une expérience qui me marquera, probablement à vie.

Je suis juré titulaire pour la prochaine session de la cour d’assises.

Qu’est ce que cela veut dire ?  Quel sera mon rôle ? Est-ce obligatoire ? A quoi m’attendre ? Pourquoi moi ?

Je trouverai mes réponses le jour de ma convocation, après une réunion d’accueil dirigée par le président de la cour. Longue de formalités administratives, d’attente, mais nécessaire.

Puis l’envie, la curiosité prennent le dessus sur toutes mes émotions. Cette après-midi aura lieu la première affaire de la session.

C’est ainsi, à 14h, que l’ensemble des jurés nous retrouvons dans la somptueuse cour d’assises. Spacieuse, imposante. Elle change de mon bureau.

Au tirage au sort, mon nom est appelé en premier. Un peu pris de cours, je m’approche maladroitement de la tribune et suis placé à la droite du premier accesseur. Une fois l’ensemble des jurés sélectionnés, nous prêtons serment. A ce moment-là, je me sens observé, épié, scruté. Le temps de se rassoir, et le procès est ouvert.

Un coup d’œil sur ma droite, au box des accusé. C’est un jeune homme, à peine plus âgé que moi. C’est lui que je vais juger. Lui dont je ne soupçonnais même pas l’existence il y a 10 minutes. J’ai le sort d’un parfait inconnu entre les mains, sur le hasard d’une série de tirages au sort.

C’est terrifiant.

Un regard à gauche, devant, dans l’audience : une famille, peut-être deux, agglutinées, ignorant les gestes barrières obligatoires en cette période sanitaire si particulière. Peu leur importe. Je comprends qu’il s’agit des parties civiles.

Je prends alors conscience de mon rôle, de ma responsabilité. Tous ces gens, à gauche, comme à droite, attendent beaucoup de ce procès et de notre verdict.

Un paquet de feuille blanche à notre disposition, stylos en mains, armés de notre inexpérience et de nos histoires banales, nous écoutons longuement la première prise de parole du président de la cour. C’est un amas d’informations, de faits, et d’horreurs.

Experts et témoins passent à la barre ou en visioconférence. Certains sont durs à entendre, tant l’émotion est forte. D’autres sont effrayants, tant le détail des faits est lourd.

Chacun nous apporte des éléments : importants, inutiles, vrais, faux. Peu importe, nous les écoutons un par un.

A quoi s’accrocher ? Qui croire ?

A chaque demi-journée, nous bénéficions d’une pause. Utile, pour se remettre de nos émotions et faire le tri dans nos têtes. Autour d’un café, nous en profitons, à chaque fois, pour inonder le président de questions. Sur la procédure, sur son avis, et sur la suite du procès. Nous nous dispersons, sautant les étapes. Je salue son incroyable pédagogie et sa gentillesse. Mais par-dessus tout, son humilité et sa patience. Lui qui a connu nombre de procès, qui a tant de recul. On aurait pu croire qu’il nous prendrait pour des boulets à trainer dans la réalisation de sa tâche. Mais non, il croit en nous, nous fait confiance, et nous apporte toutes les réponses à nos interrogations.

La tension est plus forte de jour en jour, les témoignages de plus en plus intenses. Jusqu’à l’audition des parties civiles : déchirantes.

Puis vient celle de l’accusé. Les questions du président sont pertinentes, justes, mais jamais orientées. Qu’il semble difficile de se défendre.

Nous terminons par les plaidoiries et le réquisitoire : théâtral plus que factuel. Mais je m’y attendais. Le procès est suspendu. Nous délibérerons le lendemain matin.

En sortant du tribunal, je suis pris d’une sensation d’angoisse et de panique. Après des jours d’audition, demain je serais acteur. J’aurais à décider du sort d’un homme. Les médias sont présents à l’audience. Les parties civiles attendent des réponses, elles « réclament justice ». L’accusé saura ce qu’il adviendra de lui pour le reste de sa vie, ou du moins, une partie. L’enjeu est immense.

Le délibéré.

Réunis autour d’une grande table, dans une ancienne bibliothèque du tribunal, le président prend le temps de nous détailler la procédure. Il m’invite à m’asseoir à ses côtés, puisque étant premier juré, je suis missionné d’une tâche importante : je dépouillerai les votes.

Il résume les questions auxquelles nous devrons répondre. Elles sont cruellement froides. Purement factuelles et déguisées sous un format juridique.

Chacun parle, le temps qu’il veut. Mais tous avec passion et intérêt. Chacun a mesuré l’enjeu. Le point de vue est libre. Certains sont plus convaincants, d’autres relèvent des éléments auxquels je n’avais pas pensé. C’est là tout l’intérêt. Certains cherchent à comprendre, à expliquer. Parfois hors du possible. Le président nous expliquera qu’il ne s’agit pas de fabuler sur une histoire. Mais de déterminer un scénario crédible, rationnel. D’ailleurs, il ne cherche jamais à nous convaincre. Il nous entend tous avec intérêt.

Mais que faire en l’absence de preuve irréfutable ? Le code de procédure pénale nous parle « d’intime conviction ». J’espère encore ne pas m’être trompé…

Nous débattons et votons pendant 4h.

Il reste un dernier moment à vivre : l’annonce du verdict et de la peine. Peut-être le plus difficile. C’est très formel. Nous revenons du délibéré, le président de la cour annonce la sentence et nous repartons. C’est rapide, mais j’ai quand même le temps d’observer la réaction des protagonistes. Des pleurs de soulagement d’un côté, un stoïcisme glacial de l’autre.

Marqué émotionnellement mais en partie libéré d’un poids, cette première semaine s’achève.

 

La vingtaine de jurés et moi revenons pour la seconde affaire. Celle-ci est totalement différente dans les faits. Mon nom est de nouveau cité comme trois autres de la première semaine.

Je l’aborde plus sereinement. Probablement délesté du poids de l’inconnu.

Le même cycle reprend son cours : les experts, les témoins, les plaidoiries. Autre affaire, autres émotions. Mais la même responsabilité. Il m’est cependant impossible, malgré moi, de ne pas comparer le nouvel accusé avec celui de la semaine dernière. Il ne faudrait pas.  Mais nous en discutons avec deux de mes anciens partenaires. « Il est plus dangereux », « est ce que c’est plus grave ? ».

Le délibéré est un peu plus court mais l’enjeu reste le même.

L’annonce de la sentence est toujours aussi délicate et les réactions sont semblables.

Je ne serai pas tiré au sort pour les autres affaires, contrairement à un des autres jurés qui a partagé les deux premières avec moi. Il m’avait dit en plaisantant « jamais deux sans trois ! ».

Nous ne voulions pas être tiré au sort. Ces procès étaient passionnants, mais bouleversants. Ils étaient même durs. Trop loin de notre monde banal, nous citoyens sans histoire. D’une certaine manière, ils permettent de relativiser.

Seulement quinze jours après, j’ai le sentiment que chaque élément de mon quotidien me ramène à ces affaires. Par un détail dans la rue, ou un flash info à la radio.

Mais je terminerai ce bref résumé de mon expérience par du positif. Puisqu’il s’agit d’une expérience, dans la mesure où elle n’arrivera probablement qu’une fois dans une vie. Elle est passionnante, humainement. Un peu traumatisante mais tellement enrichissante. Et même au-delà, elle m’aura définitivement changé sur ma vision des choses peu communes.

Je l’ai considérée comme un appel de la société. Il est de notre devoir de nous exprimer pour juger ceux qui ne respectent pas les règles. Un débat est ouvert sur la nécessité de conserver ce système de jurés en cour d’assises. Pour autant je ne me suis jamais senti non concerné par les deux affaires que j’ai eu la chance de juger, aussi différentes qu’elles puissent être l’une de l’autre.

« L’intime conviction » fait forcement appel à notre sensibilité et notre vécu. Pour moi, nous incarnons ce rôle. Dans certains cas, la justice ne peut pas être que professionnelle.

Je ne crois pas que l’humain puisse être supprimé pour juger des actes inhumains.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article