Les pourvois surprenants contre les décisions des cours d'assises
Nous avons déjà ici abordé la problématique des pourvois surprenants contre les décisions des cours d'assises, quand, plus précisément, il s'agit de la mise en avant d'une irrégularité qui n'a pas eu lieu, ou dont l'inexistance peut être aisément vérifiée (cf. ici).
Un récent arrêt de la chambre criminelle de la cour de cassation nous en fournit une nouvelle illustration.
Mais commençons par la règle discutée à l'occasion de ce pourvoi.
En tout début de procès, le président de la cour d'assises, parmi d'autres démarches obligatoires, et en application de l'article 328 du code de procédure pénale (texte ici) doit informer l'accusé "de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire." (1)
Avant l'ajout du droit de se taire dans la loi, le président ne disait rien du tout à l'accusé. L'intérêt de l'avis donné à l'accusé n'est pas dans la notification du droit de parler, ce qu'il sait fort bien puisqu'il a déjà été interrogé par des enquêteurs, des experts, et par le juge d'instruction, mais uniquement dans celui de se taire (2).
Et pour comprendre la suite, faisons un détour par le procès-verbal des débats.
Le greffier de la cour d'assises rédige un procès-verbal "à l'effet de constater l'accomplissement des formalités prescrites". (art. 378, texte ici). Ce procès-verbal ne comporte aucune indication sur le fond de l'affaire, mais il est la trace écrite des formalités exécutées à l'audience. C'est donc la lecture de ce procès-verbal qui permet, dans un premier temps, de s'assurer que les formalités obligatoires ont bien été effectuées.
Toutefois, comme déjà souligné dans le précédent article, il peut arriver qu'une formalité ait bien été effectuée à l'audience, ce que chacun des présents a personnellement vu et entendu, mais que, par simple erreur de retranscription, la réalisation de cette formalité n'ait pas été mentionnée sur le procès-verbal.
Or en cas de pourvoi, c'est principalement sur la base du contenu du procès-verbal que la chambre criminelle de la cour de cassation vérifie si la procédure a été régulièrement conduite.
Et nous en arrivons à notre affaire.
Un accusé condamné à 25 ans de réclusion criminelle pour tentative de meurtre en récidive a formé un pourvoi contre la décision de la cour d'assises d'appel, en développant l'argument suivant : Il est écrit dans le procès-verbal que "le président a informé l'accusé de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations et de répondre aux questions qui lui sont posées", il n'est pas fait mention de l'information du droit de se taire, donc la procédure est irrégulière.
Et dans son arrêt du 22 avril 2020 (texte intégral ici) la chambre criminelle de la cour de cassation a jugé : "(..) Il ne résulte pas du procès-verbal que M.T... ait été informé du droit de se taire au cours des débats tenus les 25, 26 et 27 mars 2019. En procédant ainsi, le président de la cour d'assises a méconnu les dispositions de l'article 328, alinéa 1er du code de procédure pénale. La cassation est par conséquent encourue de ce chef. "
Si l'on se contente d'une lecture mécanique du procès-verbal, il n'y a rien à dire.
Mais il faut aller au-delà des apparences.
D'emblée, deux hypothèses viennent à l'esprit du lecteur du procès-verbal. Soit le président n'a pas informé l'accusé du droit de se taire, soit il l'a fait et cela a été par erreur omis dans le procès-verbal.
La particularité dans cette affaire est qu'un élément, dans le procès-verbal, est grandement en faveur de la notification effective du droit de se taire à l'accusé.
En effet, comme mentionné plus haut, s'il n'y avait pas le droit de se taire à lui notifier, un président ne dirait jamais - et ne disait jamais avant - à un accusé qu'il a le "droit, au cours des débats, de faire des déclarations et de répondre aux questions qui lui sont posées", comme cela figure dans le procès-verbal litigieux. En clair soit le président prononce la phrase entière, avec en fin de phrase le droit de se taire, soit il ne dit rien de cette phrase. L'avis du seul droit de faire des déclarations n'a aucune raison d'être.
Il faut savoir en plus que tous les présidents des cours d'assises ont en permanence sous les yeux ce qu'ils appellent leur "fil conducteur". C'est un long texte, qu'ils suivent scrupuleusement à chaque étape du procès, et dans lequel figurent toutes les phrases qu'ils doivent obligatoirement lire. Ceci justement pour ne rien oublier.
Puisque cette phrase presque complète est mentionnée dans le procès-verbal, il est plus que probable que la phrase entière du code de procédure pénale a été prononcée par le président, et qu'il s'agit d'une erreur de retranscription, le copier-coller ayant laissé de côté les derniers mots de la phrase.
Il n'empêche que certains pourraient considérer non sans raison que cela n'est pas suffisant même si c'est un indice important. C'est pourquoi il faut aller chercher la réalité de l'audience un peu plus loin encore.
Nous passerons rapidement sur un premier point, quand bien même il y a dans cet aspect de la problématique quelque chose de dérangeant, pour nous arrêter sur le second.
Supposons que le président ait bien avisé l'accusé du droit de se taire. Alors toutes les personnes présentes, au premier rang desquelles l'avocat de cet accusé, ont entendu que la formalité a été totalement respectée. Il y a donc quelque chose qui peut troubler dans le fait que l'avocat qui sait que son client a été avisé du droit de se taire soutienne devant la cour de cassation qu'il ne l'a pas été. On pourrait imaginer que l'avocat qui a entendu le président donner cet avis, par honnêteté intellectuelle, s'abstienne de mettre en avant une erreur du procès-verbal qu'il sait contraire à la réalité.
Mais venons en au point le plus important.
Dans les cours d'assises d'appel, dont les décisions peuvent être frappées de pourvoi, depuis quelques années les débats doivent obligatoirement faire l'objet d'un enregistrement sonore (art. 308 texte ici). A la fin du procès, la clé usb dans laquelle se trouve le fichier de l'enregistrement sonore est placée sous scellé et conservée au greffe.
Concrètement et chronologiquement, c'est à l'audience après que l'appareil enregistreur a été mis en route que le président prononce la phrase précitée comprenant l'avis à l'accusé du droit de se taire. Et s'il la prononce bien, cette phrase est inéluctablement enregistrée.
Dès lors, si un doute existe sur le fait que le président a ou non donné cet avis à l'accusé, il suffirait de quelques minutes d'écoute de cet enregistrement pour vérifier si la formalité a été ou non accomplie.
Mais c'est là que la difficulté apparaît.
L'article 308 n'autorise explicitement l'écoute de l'enregistrement sonore qu'en cours de procès, en appel si le procès de première instance a été enregistré ce qui est facultatif, pendant le délibéré, ou dans les procédures en révision. Il n'est pas mentionné que la cour de cassation peut l'écouter pour vérifier si une formalité a été réalisée ou non.
Ce qui a pour conséquence, au final, que des cassations interviennent sur des procédures qui ont été parfaitement régulières, ce que savent tous les acteurs du procès, et cela à cause d'une simple erreur de retranscription.
Et qui fait qu'après un deuxième procès au cours duquel les droits de l'accusé ont été parfaitement respectés, un troisième procès est imposé avec ce que cela comporte en terme de coût humain et financier, et, peut-être plus encore, de souffrance supplémentaire pour la victime et ses proches.
Alors que la réalité pourrait rapidement et simplement être vérifiée à l'occasion du pourvoi, ce qui aboutirait à une décision conforme à la vérité du procès.
Pour l'instant, rechercher une solution à ce problème important et récurrent ne semble intéresser personne.
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1. Disposition introduite dans notre code de procédure pénale par la loi du 27 mai 2014 (art. 8). (texte intégral ici)
2. Sur le droit de se taire et le droit de mentir lire ici. Et sur le mensonge des proches de l'accusé lire ici.