Juger sous Vichy, juger Vichy (Bibliographie)
Alors que le livre de François Saint Pierre récemment présenté (cf ici) nous interroge sur la capacité du droit et des juridictions à faire obstacle aux dérives des régimes politiques et aux atteintes aux droits de l'homme, et alors que l'auteur fait allusion dans son introduction à la période du nazisme, un autre ouvrage nous permet d'étudier plus avant le régime de Vichy sous l'angle de l'histoire juridique et judiciaire.
La documentation française (son site) a publié un livre rédigé sous la direction de Jean-Paul Jean, dans la collection de l'Association française pour l'histoire de la justice (AFHJ), intitulé :
"Juger sous Vichy, juger Vichy"
Sur le site de l'éditeur le livre est présenté ainsi (cf. ici) :
"Juger sous Vichy, puis juger à la Libération. Servir l’Etat français et le Maréchal Pétain auquel ils ont prêté serment de fidélité, puis juger dans la France libérée et présider les juridictions de l’Epuration. Ces parcours de magistrats sous Vichy comme à la Libération montrent la complexité des situations et des comportements qui doivent être toujours remis dans leur contexte. La finalité de cet ouvrage est de rassembler des contributions documentées qui permettent de mettre en perspective l’historiographie et les travaux de recherche qui apportent, avec l’ouverture des archives, toujours des éléments nouveaux alors que les derniers témoins disparaissent. Ces textes sont d’abord destinés aux jeunes juristes, aux magistrats et avocats pour les aider à réfléchir, en conscience, sur leurs métiers et les conséquences de leurs attitudes et de leurs décisions, leurs choix éthiques et leurs responsabilités en situation de crise mais aussi dans leur travail quotidien, à chaque fois qu’une liberté est en jeu."
Comme le rappelle Robert Badinter dans l'introduction du livre, pendant certaines des années les plus sombres de notre histoire des magistrats, considérant pour un grand nombre d'entre eux que leur rôle est d'appliquer la loi quel qu'en soit le contenu, ont mis en oeuvre des textes bafouant totalement certains droits fondamentaux. Et ce sont parfois les mêmes magistrats qui ont pendant le régime de Vichy siégé dans les juridictions spéciales ignorant elles-aussi les principes fondamentaux de la justice et qui, ensuite, ont participé à des commission d'épuration à la libération.
Et Robert Badinter pose la même question essentielle que François Saint-Pierre : De tes errements de la justice française seraient-ils concevables aujourd'hui ? Question à laquelle il répond négativement aux motifs que les garanties juridiques se sont multipliées, qu'elles ont été inscrites dans la Constitution et dans des conventions internationales ratifiées par la France, qu'une éthique judiciaire s'est progressivement imposée, et que le respect du droit et de la dignité humaine sont mieux enracinés dans la conscience collective.
Mais rien n'est définitivement acquis, et tout est en permanence fragile.
C'est pour prolonger la réflexion sur aujourd'hui et demain qu'il est indispensable de savoir ce qui s'est passé hier. Et c'est ce que propose ce livre.
L'ouvrage comporte deux parties.
La première, intitulée "Juger sous Vichy (1940-1944)" contient deux chapitres intitulés "Juridictions de Vichy" (avec comme thèmes : "Le masque de la loi sous Vichy", "Une exception ordinaire les magistrats et les juridictions d'exception de Vichy", "Le barreau de Paris pendant la seconde guerre mondiale, "Maurice Garçon avocat écrivain", "La section lyonnaise du tribunal d'Etat et la section spéciale près la cour d'appel de Lyon, l'exemplarité à l'épreuve des faits", "La milice et les cours martiales, la cour martiale de Lyon", La section spéciale de Dijon", "L'exception et l'exemple") et "Acteurs de la collaboration et de la résistance" (avec comme thèmes "Léopold Rabinovitch résistant juif traduit devant la section spéciale de Lyon", "René Linais juge à la section spéciale", "Les milieux judiciaires dans la résistance et la libération", "De Vichy à la résistance le bâtonnier Jacques Charpentier", "René Parodi le martyr de la résistance judiciaire", "Quel regard porter sur les magistrats ayant siégé dans les juridictions d'exception sous l'occupation").
La deuxième intitulée "Juger Vichy (1844-1946)" contient deux chapitres intitulés "Juridictions de l'épuration" (avec comme thèmes : "Avant la libération, la politique de la justice à Alger et le procès Pucheu", "La transition démocratique française après la seconde guerre mondiale", "L'épuration judiciaire à la libération, entre légalité et exception", "Le jugement des juges des sections spéciales et le principe sacré du secret du délibéré", "La cour martiale de l'Isère", "Rendre une justice politique, l'exemple des chambres civiques de la Seine", "La cour de justice de Lyon section du Rhône", "Le procès de Charles Maurras") et "Acteurs de l'épuration" (avec comme thèmes : "Histoire d'une conversion, les magistrats résistants après la libération au service de la réaffirmation de la nouvelle raison d'Etat", "François de Menthon le garde des sceaux oublié", "Joseph dit Joe Nordmann", "Maurice Patin directeur des affaires criminelles", "Maurice Rolland et l'inspection des services judiciaires à la libération", "Un jour de septembre 1944", "Le droit n'est plus, note sur un conte écrit pas Aragon").
Comme le note Jean-Paul Jean, la manière dont les magistrats sous Vichy comme à la libération se sont conduits montre la complexité des situations et des comportements qui doivent toujours être appréhendés en fonction des circonstances.
C'est un livre d'une exceptionnelle richesse qui nous est proposé. Aux articles ont été ajoutées quelques photographies de documents d'époque.
Sa lecture permet de prolonger une réflexion encore d'actualité et toujours aussi indispensable.