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Publié par Parolesdejuges

Cet article a été publié une première fois en février 2019. L'évolution récente de l'affaire rend nécessaire une nouvelle mise en ligne. A cette occasion l'article a été complété.

 

 

Parfois, au fil du temps, les magistrats pensent avoir vu passer à peu près toutes les situations imaginables autour d’une problématique juridique. Et que le tour de la question a été fait.
 

Mais souvent ils se trompent, l’évolution de la société, des mentalités, et des comportements faisant toujours apparaître de nouveaux cas, qui un jour ou l’autre leur sont soumis.
 

Il en va ainsi des rencontres sur internet et de leurs éventuelles conséquences.
 

Depuis des années des sites de rencontre permettent à chacun de mettre en ligne un profil et de proposer des contacts ou de répondre aux sollicitations d’autres profils. De la personne qui cherche une relation sérieuse et durable en imaginant que le support n’enlève rien au romantisme, à celle qui a comme unique objectif un moment d’un soir, tout est possible dans ces espaces numériques.
 

L’une des premières difficultés est que celui/celle qui construit son profil le remplit comme il l’entend sans contrôle de quiconque. Le vrai, le pas tout à fait vrai, et le totalement faux ont la même place. Aucun modérateur n’ira vérifier si le descriptif extrêmement flatteur, la photo digne d'un magazine de mode, ou les mentions d’état civil correspondent ou non à la réalité de celui qui les entre dans le logiciel.
 

L’être humain étant ce qu’il est, la tentation doit être forte de présenter un profil imaginé comme plus flatteur que la réalité.
 

Mais quelles peuvent être les conséquences humaines puis juridiques de ces modifications mensongères de la réalité, c’est ce que la cour de cassation a eu très récemment à examiner.
 

Les faits, tels qu’ils sont décrits dans les décisions judiciaires et les medias, sont en résumé les suivants : Un homme a créé sur un site de rencontre un profil sur lequel il s’est présenté comme étant âgé de 37 ans, faisant 1,78m, comme étant architecte d’intérieur, et y a joint une photo flatteuse.
 

Après des échanges sur le site puis par téléphone qui ont permis de générer une attirance vers l’homme chez une femme de 33 ans, et après que l'homme ait écarté toutes les autres modalités de rencontre proposées par la femme, celle-ci a accepté le scénario proposé par lui : elle doit se rendre chez lui pour une rencontre qu’il qualifie de « magique », entrer dans l’appartement, se bander les yeux, se mettre nue, le rejoindre dans la chambre guidée par sa voix, le laisser lui attacher les mains au montant du lit, et avoir une relation sexuelle avec lui.
 

Toutefois, après la relation sexuelle, quand l’homme a invité la femme à retirer son bandeau, elle a trouvé à ses côtés un « vieil homme » de 68 ans « à la peau fripée et au ventre bedonnant ». Rien à voir avec le profil prometteur du site de rencontre.

 

Cet homme a recommencé de la même façon avec d’autres femmes.
 

Deux de ces femmes ont porté plainte pour viol. La machine judiciaire s’est donc mise en marche.
 

Il est mentionné dans les décisions de justice que les plaignantes sont des femmes fragiles ou en situation de détresse psychologique.

 

Le viol et la notion de surprise

 

La définition du viol est la suivante dans le code pénal (texte ici) (1) :  "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol."
 

Ce qui nous intéresse aujourd’hui est la notion de surprise. Qui permet de retenir l’existence d’un viol quand il n’y a aucune violence, aucune menace physique ou verbale, aucune contrainte physique ou morale.
 

De quelle surprise s’agit-il ? La réponse est vite éclairée par quelques exemples issues des affaires traitées par les cours d'assises.
 

Imaginons une femme dans le verre de laquelle un homme met un somnifère puissant. La femme s’endort profondément et l’homme a avec elle une relation sexuelle. Cette femme n’a évidemment pas consenti à cette relation. Le législateur a, il y a bien longtemps, inséré dans la loi le mot « surprise » pour qualifier un tel fait. Il est dit que le consentement de la victime a été « surpris ».
 

C’est la même chose quand une relation sexuelle a lieu sur une femme internée en psychiatrie, quand son corps est présent mais sa tête absente. La femme ne réalise pas ce qui se passe. Son consentement est aussi « surpris ».

 

Ce qui alors caractérise la "surprise", c'est dans chaque situation l'absence de lucidité de la femme victime. A chaque fois le cerveau de la femme ne fonctionne pas, elle ne peut ni analyser la situation, ni faire des choix, ni agir de façon à éviter l'agression sexuelle. Autrement dit l'état de la femme l'empêche de s'opposer à son agresseur. Dans tous les cas de "surprise", l'agresseur profite de cette absence de capacité de réflexion  et d'action de sa victime.

 

Mais revenons à notre affaire en cours.
 

Les faits peuvent, schématiquement, être analysés juridiquement de deux façons différentes :
 

- Il peut être considéré, puis jugé, que l’homme a menti, a utilisé un stratagème, a trompé les femmes, et que celles-ci n’auraient jamais voulu une relation sexuelle avec lui si elles avaient connu son véritable profil. Que dans une telle situation elles n’ont pas pu réellement consentir à la relation sexuelle puisqu’elles ne disposaient pas de tous les paramètres. Dès lors que le consentement de ces femmes a été « surpris » au sens du code pénal, et donc qu’il y a bien juridiquement un viol. C'est alors un tout nouveau cas de surprise qui est créé.

 

- Il peut aussi être considéré, puis jugé, que si l’homme a mis en place un stratagème de nature à tromper les femmes, celles-ci, en connaissance de cause de ce que sont ou peuvent être les profils sur les sites de rencontre, ont accepté les modalités de la rencontre, ont notamment de mettre un bandeau sur les yeux, et ce sont ainsi volontairement privées de la possibilité de voir qui est réellement leur interlocuteur avant d'entamer la relation sexuelle avec lui.

 

L'analyse critique

 

- Il est moins facile de retenir la première hypothèse au regard des faits analysés et de la définition habituelle de la "surprise" dans le viol.

 

En effet, après un contact avec un inconnu, une femme a toujours le choix du lieu et des modalités de rencontre. Elle peut à son gré en accepter certaines et en refuser d'autres. La femme à qui il est proposé de se rendre directement dans l'appartement de celui qui reste en grande partie un inconnu peut refuser et imposer préalablement une rencontre dans un lieu public. La femme à qui il est proposé de mettre un bandeau sur les yeux après être entrée dans l'appartement a, avant d'aller chez l'homme, des jours ou au moins des heures pour peser le pour ou le contre et faire librement un choix, après avoir éventuellement sollicité l'avis de ses plus proches ami(e)s.

 

Autrement dit, la femme dont il est question ne semble jamais avoir été privée de sa lucidité au sens de la notion juridique habituelle de "surprise". Et à chaque étape, quand elle a fait des choix, elle aurait pu en faire d'autres.

 

Ou pour le dire autrement encore, et en se focalisant sur la pose du bandeau sur les yeux juste avant la relation sexuelle, il est possible de poser la question suivante : une femme qui décide librement de ne pas regarder peut-elle ensuite se plaindre de ne pas avoir vu ?
 

- Dans une première étape judiciaire, le juge d’instruction a estimé qu'il y avait bien un viol en retenant la première analyse.

Mais à l’étape suivante, la chambre de l’instruction a considéré, notamment, que les plaignantes se sont rendues volontairement chez cet homme, qu’elles étaient demandeuses d’une relation sexuelle, qu’elles ont accepté le scénario mis en place, qu’elles pouvaient à tout moment enlever leur bandeau, que leur consentement n’a pas été annihilé par le stratagème, qu’elles pouvaient refuser les conditions proposées, qu’elles ont accepté de prendre le risque de rencontrer un individu sans aucun autre renseignement que son profil du site de rencontre. Et la chambre de l’instruction a prononcé un non-lieu en faveur de cet homme.

 

Sur recours la chambre criminelle de la cour de cassation a été saisie.
 

Dans un arrêt du 23 janvier 2019 (n° 18-82833, texte intégral ici), elle a cassé la décision de la chambre de l’instruction en motivant ainsi sa décision :
 

« Vu l'article 222-23 du code pénal ;

Attendu que l'emploi d'un stratagème destiné à dissimuler l'identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d'une personne et obtenir d'elle un acte de pénétration sexuelle constitue la surprise au sens du texte susvisé ;   (..)

Attendu que, pour infirmer l'ordonnance du juge d'instruction, l'arrêt attaqué retient notamment que si le stratagème utilisé a pu incontestablement constituer un moyen pour amener les plaignantes à se présenter au domicile de M. S.., elles avaient accepté d'avoir une relation sexuelle au domicile d'un nommé "Anthony Laroche", suivant un scénario élaboré par celui-ci, qu'elles étaient capables d'analyser une situation pour le moins "originale" et le cas échéant, de s'y dérober, aucune contrainte ou menace sérieuse n'étant exercées contre elles ; qu'à l'issue, elles savaient que le bandeau leur serait enlevé ; que les juges énoncent ainsi que la surprise ne peut être assimilée au sentiment d'étonnement ou de stupéfaction des plaignantes lors de la découverte des caractéristiques physiques de leur partenaire ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'elle avait caractérisé l'emploi d'un stratagème, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe sus-énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ; »
 

La première phrase du paragraphe, soit "l'emploi d'un stratagème destiné à dissimuler l'identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d'une personne et obtenir d'elle un acte de pénétration sexuelle constitue la surprise" peut étonner.

 

En effet, la surprise doit s'apprécier au moment de l'acte sexuel. Or, dans notre affaire, l'homme n'a pas dissimulé ses caractéristiques physiques quand a eu lieu la relation sexuelle. Sauf erreur, il n'a jamais été affirmé qu'au moment de s'approcher de la femme dans la chambre cet homme était maquillé ou portait un masque. Au contraire, juste avant la relation sexuelle, rien ne le "dissimulait".

 

Il en va de même de la dissimulation de l'identité. Dans la chambre, l'identité réelle de l'homme était apparente puisque l'identité fausse sur le site de rencontre était liée à une photographies ne le représentant pas fidèlement.

 

Dès lors, si cette relation sexuelle a eu lieu alors que le partenaire de la femme n'était pas ce qu'elle croyait, ce n'est pas à ce moment précis parce que l'homme s'était "dissimulé", puisqu'il ne l'était pas, mais uniquement parce que la femme a librement accepté de se couvrir les yeux et a fait le choix, volontairement, de ne rien vérifier avant l'acte sexuel.
 

Une nouvelle chambre de l’instruction a été saisie. Et, se conformant à l'arrêt de la cour de cassation, elle a renvoyé l'homme qui a récemment comparu devant une cour criminelle départementale. (2)

 

La cour criminelle départementale de l'Hérault vient de le déclarer coupable et de le condamner à 8 années de prison (lire not. ici, et ici).

 

Sur son appel, une cour d'assises rendra l'année prochaine une nouvelle décision, avec cette fois-ci l'analyse des jurés.

 

Et il pourra y avoir éventuellement un pourvoi.

 

D'ici à la décision judiciaire finale, le parcours judiciaire pourrait bien être encore long.

 

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1. La définition a été élargie par la loi du 21 avril 2021 qui a inséré dans cet article l'expression "ou tout acte bucco-génital".

2. Sur la cour criminelle départementale lire ici (et les renvois)

 

 

 

 

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Finalement, je reviens sur mon précédent commentaire. On ne connaîtra sans doute jamais le nombre de femmes qui ne sont pas tombées dans le panneau. Les autres ne sont pas officiellement diagnostiquées "fragiles", mais il est possible que la CC estime qu'elles le sont, et qu'il y a donc surprise.
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Passe encore si le stratagème avait supprimé toute possibilité de discernement pour la plaignante. Mais ce n'était pas le cas, comme expliqué dans le billet. A mon avis, les féministes devraient protester contre une décision qui traite une femme comme si elle était déficiente au plan mental.
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