Justice, une faillite française ? (Bibliographie)
Une fois encore la justice fait l'objet d'un débat au parlement. Les sujets abordés sont divers, allant entre autres de l'organisation judiciaire aux affaires pénales en passant par la médiation avant jugement.
Celui qui veut se faire une opinion fondée, sans se contenter des inévitables slogans en tous genres qui n'apportent aucun élément de réflexion, doit d'abord se documenter sur la situation actuelle réelle de la justice.
C'est en ce sens que le livre rédigé par Olivia DUFOUR et intitulé :
Justice, une faillite française ?
est une source intéressante de réflexions.
Sur le site de l'éditeur LGDJ (cf. ici) le livre est présenté de la façon suivante :
" Au pays des droits de l'homme, la justice est épuisée. Personnel insuffisant, factures impayées, système informatique indigent, délais de procédure qui s'allongent, stocks de dossiers qui s'accumulent
Tandis que les justiciables la sollicitent de plus en plus, l'institution judiciaire au bord de la rupture ne cesse de crier au secours dans l'indifférence générale. Quant aux établissements pénitentiaires, ils sont dans un tel état que le Comité européen pour la prévention de la torture s'en est ému. Comment un pays comme la France peut-il tolérer une telle situation depuis des décennies ? Est-ce uniquement une question de crédits ou existe-t-il des raisons plus complexes ?
Ce livre recueille le témoignage de juges, d'avocats et de greffiers pour mesurer l'étendue du désastre et tenter d'en identifier les causes. Il donne aussi la parole à cette salariée licenciée dont la vie a basculé faute d'avoir obtenu justice dans un délai raisonnable, raconte les souffrances de ce Somalien que son incarcération à Fresnes a rendu fou, ou encore l'histoire de ce juge d'instruction mort de n'avoir pas supporté les cadences infernales qu'on lui imposait. Les politiques ont-ils à ce point peur des juges qu'ils les maintiennent volontairement dans l'indigence comme on le prétend ? Ou bien faut-il aller chercher ailleurs les raisons de cette situation ?
D'anciens gardes des Sceaux ont accepté de lever le voile sur le fonctionnement de la Chancellerie et livrent leur analyse sur la manière dont on peut sauver la justice française. Contrainte par la pauvreté à renoncer aux principes qui fondent l'État de droit, elle est en train de perdre son âme. Il y a urgence. "
Le titre peut sembler un brin provocateur. Il a sans doute été choisi pour attirer l'oeil de l'éventuel lecteur. En effet, si elle peut toujours être l'objet de critiques tout simplement parce que rien n'est jamais parfait, la justice française n'est évidemment pas en état de "faillite" qui supposerait que rien ne fonctionne et que le tout soit dans un état de total délabrement. Heureusement pour les citoyens français, nous en sommes loin.
Il n'empêche qu'il ne faut pas non plus idéaliser la situation, ce qui suppose de l'approcher au plus près.
Le livre comporte 10 chapitres : La France honte de l'Europe ; Un an de révolte ordinaire ; La misère de la justice de masse ; La plaie hideuse de la prison ; Cette justice qui fonctionne (presque) bien ; Une justice aux crochets du privé ; ; Le cri silencieux ; Dans l'intimité du ministère de la justice ; Justice que vas-tu faire de ton âme ; Quelles réformes pour sauver la justice ? .
Olivia DUFOUR rappelle opportunément, au début du livre, qu'il ne suffit pas pour les gouvernements successifs de mettre en avant une augmentation des moyens. Même si elle ne le dit pas en ces termes, le rappel salutaire qu'elle fait est que si vous multipliez la quantité de nourriture par deux, et mettez en avant cet effort, vous n'avez rien résolu si en même temps le nombre des personnes à nourrir est multiplié par 4. Ce qui lui permet d'affirmer, sans se tromper, que la justice française n'a jamais eu les moyens, financiers, humains et matériels, de fonctionner de façon optimale. D'où les tentatives permanentes de déjudiciariser une partie des contentieux. A tort ou à raison, chacun se fera son opinion.
Cela explique les prises de positions publiques des magistrats notamment lors des audiences solennelles de rentrée des cours et tribunaux (elle en rappelle de nombreuses) autour de cette problématique des moyens.
Et les conséquences sur les délais de jugement, exemples à l'appui. Ce qui de temps en temps permet aux justiciables de faire un procès à l'Etat en indemnisation pour cause de réponse trop tardive à une demande en justice. Ou bien de faire sanctionner les lenteurs excessives par la CEDH. Ou, à l'inverse, les procédures trop expéditives comme les comparutions immédiates (lire aussi ici).
Olivia DUFOUR étudie également tout ce qui concerne la justice commerciale et des affaires.
Intéressantes aussi sont les pages sur les difficultés rencontrées par les experts judiciaires, notamment les psys. Autour, une fois encore, de la pauvreté des moyens financiers.
Plus inhabituelles sont les pages sur la souffrance au travail chez les magistrats, en lien avec la complexité de leurs missions croisée avec l'insuffisance des moyens mis à leur disposition (rapport ici).
L'auteure questionne aussi le lien entre l'institution judiciaire et le pouvoir politique, s'interrogeant sur la nature et l'efficacité de la réponse de ce dernier aux attentes de la première.
Et analyse les préoccupations essentielles pour l'avenir de la justice.
L'auteure aborde de nombreux autres sujets (cf. intitulés des chapitres). (sur la prison lire aussi ici)
Le tout fait un livre d'une grande richesse, et qu'il est particulièrement utile de parcourir en même que temps que le parlement légifère sur la justice.