Les agressions sexuelles, les atteintes sexuelles, et la loi du 3 août 2018
C'est un euphémisme de dire que les débats autour de l'élaboration d'une nouvelle loi relative à diverses formes de violences sexuelles ont été vifs. La loi, datée du 3 août 2018, a été récemment publiée au journal officiel (texte intégral ici), et les commentaires ont de nouveau été nombreux.
Ce que remarque immédiatement le juriste, c'est le nombre de commentaires ne correspondant pas à la réalité du contenu de la loi. C'est pourquoi, qu'il s'agisse d'incompréhension du texte ou de mauvaise foi délibérée, il semble nécessaire d'expliquer le plus simplement possible, notamment au regard du cadre juridique antérieur, quels sont les effets de cette nouvelle loi et ce que contient le nouveau cadre juridique.
Notons que nous ne nous intéresserons pas aux quelques autres aspects de cette loi pour nous concentrer sur les agressions sexuelles.
L'augmentation du délai de prescription pour les agressions sexuelles sur les mineur(e)s
Sur le sujet, nous invitons le lecteur à lire d'abord cet article antérieur pour aider à comprendre la problématique autour de la prescription (doc. ici) (cf. aussi ici).
Jusqu'à présent, quand un viol était commis sur un(e) mineur(e), le délai de prescription de l'action publique était de 20 ans, et le point de départ reporté à la majorité de l'intéressé(e). D'où, pour des victimes alors mineur(e)s, une possibilité de déposer une plainte jusqu'à 38 ans (18 + 20).
Cela fait que, par exemple, une femme peut à 35 ans porter plainte pour des agressions sexuelles déclarées subies à 10 ans, soit 25 ans après les faits.
La loi du 3 août 2018 porte le délai de prescription à 30 ans, toujours à partir de la majorité, donc jusque 48 ans.
Une femme pourra par exemple porter plainte à 43 ans pour des agressions sexuelles déclarées subies quand elle avait 10 ans, soit 33 ans après les faits.
Précisons que ce nouveau délai va immédiatement s'appliquer aux faits qui ne sont pas, déjà, couverts par l'ancienne prescription.
Deux brèves remarques s'imposent.
Dans la réalité judiciaire, extrêmement rares ont toujours été les plaintes déposées par des personnes proches de leur 38 ans pour des faits subis pendant leur minorité. Les juridictions n'ont quasiment jamais à juger de telles situations. C'est pourquoi il est difficile d'imaginer que, demain, du fait de l'allongement de la prescription, de nombreuses personnes qui n'ont pas porté plainte avant leur 38 ans décideront de porter plainte entre 38 et 48 ans.
S'il a très souvent été fait état de l'amnésie traumatique pendant les débats parlementaires pour tenter de justifier un allongement du délai de prescription, il est difficile d'imaginer que l'amnésie disparaîtra plus souvent 40 ans après les faits que 30 ans après ceux-ci.
Il est donc probable que l'on constate, dans quelques années, que cette possibilité offerte pendant 10 années supplémentaires n'est, dans les faits, presque jamais utilisée.
Rappelons ensuite, sans détailler puisque cela est développé dans le précédent article, que se pose dans toutes les situations de plainte différée la question essentielle de la preuve de faits très anciens. Qui devient de plus en plus impossible à rapporter au fil des années.
La définition du viol
Le viol, qui existe dès qu'une relation sexuelle est imposée à une jeune femme (ou un jeune homme) qui n'a pas donné ou n'a pas été en situation de donner son consentement, est défini à l'article 222-23 du code pénal (texte ici) de la façon suivante : "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. "
Dans un précédent article (cf. ici), nous avons déjà précisé ce qu'il fallait entendre par contrainte et surtout par surprise, notion qui s'applique essentiellement en cas de relation sexuelle entre un adulte et un(e) jeune mineur(e).
En bref, il y a "surprise" quand la mineure n'est pas en état, du fait principalement de son âge et de son niveau de développement physique et psychologique, de comprendre suffisamment ce qu'est une relation sexuelle, dans toutes ses composantes et ses enjeux, pour donner un consentement à la relation sexuelle complètement éclairé.
Il était donc déjà nécessaire et indispensable, en cours d'instruction puis à l'audience de la cour d'assises, d'engager le débat sur l'âge de la plaignante au moment des faits et sur l'existence ou de l'absence, à cet âge, d'un consentement vraiment éclairé. L'absence de consentement éclairé imposant de retenir la notion juridique de surprise, et par voie de conséquence l'existence d'un viol.
La contrainte, physique ou morale, était déjà précisée à l'article 222-22-1. Il y était mentionnée qu'elle pouvait résulter de la différence d'âge entre auteur et victime ou de l'autorité exercée par l'auteur sur la victime.
La nouvelle loi rajoute deux alinéas à cet article 222-22-1 du code pénal (texte ici) et développe plus longuement ces notions :
« Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur, la contrainte morale mentionnée au premier alinéa du présent article ou la surprise mentionnée au premier alinéa de l’article 222-22 peuvent résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur.
Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. » ;
Deux constats peuvent être faits, qui ne se contredisent pas forcément.
Le premier est que la loi ne fait que mettre par écrit ce qui devait déjà et depuis longtemps faire obligatoirement partie du débat dans chaque dossier concernant de jeunes mineures victimes. Répétons le, l'analyse de la notion de surprise conduisait déjà inéluctablement à l'analyse du discernement de la plaignante.
Le second est que les précisions portées dans la loi pourront guider plus précisément le raisonnement de ceux qui n'ont pas l'habitude d'aborder ces questions délicates. Autrement dit, c'est plus simple quand c'est clairement écrit.
Au final, si les ajouts de la loi ne modifient pas le cadre juridique préexistant, ce n'est pas une mauvaise chose que le code pénal précise un peu plus quels sont les repères théoriques et juridiques essentiels.
Précisons que comme ces dispositions ne font que reprendre ce qui existait déjà mais n'était pas détaillé, et qu'elles sont "interprétatives" de notions déjà dans la loi, elles sont immédiatement applicables.
Le rejet d'une présomption d'absence de consentement en dessous d'un certain âge
Une grande partie du débat, parfois rude, s'est focalisée autour de l'opportunité d'introduire dans la loi un âge en dessous duquel il serait considéré, par principe, que le mineur ne peut pas être pleinement consentant. Cela aurait eu pour effet juridique que, l'absence de consentement étant considéré d'emblée comme certaine, la relation sexuelle aurait été imposée par surprise (voir plus haut), et donc que le viol aurait été caractérisé, du fait du seul âge de la victime.
Sur cette question, l'essentiel a déjà été développé dans l'article précédent (cf. ici) et nous n'y reviendrons pas dans celui-ci.
Ce sur quoi il faut insister, tant certains commentaires se sont éloignés de la réalité judiciaire, est que cette problématique du consentement de jeunes mineur(e)s n'est pas souvent source de grandes difficultés à la cour d'assises. Sur ce point comme sur d'autres, il ne faut pas, à partir d'un ou deux exemples médiatisés, faire des généralités.
De fait, très rares sont les accusés qui soutiennent, et encore plus argumentent avec efficacité, qu'une petite fille qui par exemple vient de quitter l'école primaire et entre au collège a la maturité suffisante pour comprendre et maîtriser pleinement sa sexualité, et donc est apte à avoir un discernement complet au moment d'envisager une relation sexuelle avec un adulte.
Un âge minimal inscrit dans la loi, soit devait être suffisamment bas pour n'être discuté par personne mais alors cela n'aurait rien changé, ou pas grand chose, au traitement judiciaire de ces situations, soit aurait été un peu plus élevé et risquait d'être contesté en permanence.
En outre, le droit pénal est plutôt réfractaire à des règles intangibles déclenchant une culpabilité sans aucune marge d'appréciation du juge. Comme bien des personnes l'ont souligné il existait un risque d'inconstitutionnalité voire d'inconventionnalité d'une loi fixant une présomption de viol en conséquence du seul âge de la victime.
Le risque de fragilisation de la loi était peut-être d'autant plus excessif que, comme il faut le redire sans cesse, le débat sur l'âge, le discernement et la surprise est déjà et doit rester un débat permanent dans le processus judiciaire.
Alors non, cette absence de seuil d'âge ne met pas en cause l'actuelle protection des jeunes mineur(e)s contre le viol.
Et, rappelons le, avec des moins de 15 ans, quand il n'y a pas viol il y a forcément une atteinte sexuelle punie de 7 ans de prison et même 10 ans en cas de circonstance aggravante (voir plus loin). Ce qui n'est pas rien.
L'extension du périmètre du viol
Le viol est un acte de pénétration. C'est pourquoi jusqu'à présent il a toujours été considéré que si une femme (ou un homme) impose sans son consentement une fellation à un jeune homme ou un enfant, il n'y a pas viol puisque la femme ne "pénètre" pas le corps de l'homme. L'acte restant bien sûr punissable au titre des autres agressions sexuelles.
Une modification de l'article 222-23 a voulu corriger cela.
En ajoutant que l'acte de pénétration peut être commis sur autrui "ou sur la personne de l'auteur" (il faut comprendre l'auteur de la pénétration, qui est bien l'homme dont le sexe pénètre dans la bouche de la femme quand la fellation lui est imposée), l'objectif des parlementaires a été de faire de la fellation imposée un nouvel acte de viol ainsi que le compte-rendu des débats le mentionne.
Selon le ministère de la justice (circulaire du 3 septembre 2018), cette modification devrait aussi permettre de poursuivre une pénétration sexuelle qu'il est imposé à une personne de faire sur elle-même.
L'avenir dira si la justice est saisie de tels faits, étant précisé que cela ne pourra concerner que des faits commis après l'entrée en vigueur de la loi.
De nouvelles circonstances aggravantes du viol
Plusieurs circonstances aggravantes font passer la peine encourue pour viol de 15 à 20 ans. Les plus souvent rencontrées par les juridictions sont l'âge de moins de 15 ans de la victime, l'ascendance de l'auteur, l'autorité de l'auteur, la vulnérabilité de la victime, l'usage d'une arme (texte ici).
La loi du 3 août 2018 a ajouté (pour le viol et pour les autres agressions sexuelles) les circonstances aggravantes de vulnérabilité résultant de la précarité sociale ou économique de la victime, de présence d'un mineur témoin des faits, d'administration à la victime d'une substance altérant son discernement.
Par ailleurs, le fait d'administrer une telle substance devient une infraction autonome quand il n'est pas suivi d'une agression sexuelle, la peine étant portée de 5 à 7 ans si la victime est un mineur de 15 ans ou une personne vulnérable (texte ici).
Cela ne s'appliquera qu'aux faits postérieurs à la loi.
L'aggravation de la peine en cas d'atteinte sexuelle sur les moins de 15 ans
Depuis longtemps le code pénal punit le fait, pour un majeur, d'avoir une relation sexuelle (avec ou sans pénétration) avec un(e) mineur(e) de moins de 15 ans (donc de 14 ans ou moins) consentant(e). La peine encourue était de 5 ans de prison et de 75000 euros d'amende.
La loi du 3 août 2018 aggrave la répression de ces relations sexuelles en faisant passer les peines à 7 ans de prison et 100.000 euros d'amende.
La peine aggravée à 10 ans quand l'auteur est un ascendant ou une personne ayant autorité, qui est la peine maximale pour un délit, n'est pas modifiée.
Le constat est donc que le législateur a voulu punir plus sévèrement toutes les relations sexuelles, même reconnues consenties par les deux partenaires, avec les mineur(e)s en dessous de 15 ans.
C'est, à l'envers, rappeler plus nettement encore que par le passé que les relations sexuelles entre un adulte et un mineur de moins de 15 ans sont formellement interdites, quand bien même le mineur, même doté du discernement suffisant, serait pleinement d'accord.
Cela ne concernera que les faits postérieurs à la nouvelle loi.
Rappelons que cette peine ne s'applique pas si les deux partenaires sont mineurs.
Secondairement, le législateur en a profité pour modifier la définition de l'infraction.
Ce qui était " Le fait, par un majeur, d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. " devient "Hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, le fait, par un majeur, d'exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende".
Selon la circulaire ministérielle, l'intérêt est de mettre en avant le fait que l'atteinte sexuelle peut être retenue non pas seulement quand il y a eu consentement de la partenaire mais aussi, plus largement, quand la preuve du viol n'a pas pu être rapportée.
Là encore cela n'entraîne aucune modification du cadre juridique et des pratiques judiciaires.
Le passage de la qualification de viol à celle d'atteinte sexuelle
L'opinion publique s'est émue quand un adulte poursuivi pour viol sur une très jeune fille a été déclaré non coupable de viol et est reparti de la cour d'assises sans aucune peine.
Une telle situation est en théorie juridiquement impossible pour une raison simple, rappelée régulièrement par la cour de cassation : Si une juridiction estime que la qualification pénale appliquée au fait dont elle est saisie n'est pas la bonne, elle doit rechercher si une autre qualification pénale est applicable et si tel est le cas elle a l'obligation, et non seulement le droit, de condamner la personne poursuivie sous cette autre qualification.
Pour ce qui nous intéresse, un majeur qui a une relation sexuelle avec une jeune fille de moins de 15 ans, et qui est considéré non coupable de viol, est inéluctablement, coupable d'atteinte sexuelle. Il ne peut donc pas repartir du palais de justice sans déclaration de culpabilité et sans condamnation après avoir été acquitté pour les faits de viol.
Le principe se traduit ainsi dans l'article 351 du code de procédure pénale : " S'il résulte des débats que le fait comporte une qualification légale autre que celle donnée par la décision de mise en accusation, le président pose une ou plusieurs questions subsidiaires. "
Pour éviter que les erreurs commises se renouvellent, la loi de 2018 a ajouté à cet article l'alinéa suivant : " Lorsque l'accusé majeur est mis en accusation du chef de viol aggravé par la minorité de quinze ans de la victime, le président pose la question subsidiaire de la qualification d'atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans si l'existence de violences ou d'une contrainte, menace ou surprise a été contestée au cours des débats. "
Mais répétons le, il ne s'agit pas d'une avancée juridique mais du rappel, dans un cas particulier, du principe général en vigueur depuis déjà longtemps.
Toutefois, si la modification du texte ne change rien aux cadre juridique préexistant, elle évitera peut-être que la mécanique de la requalification obligatoire soit oubliée dans les prochaines affaires traitées comme elle l'a quelques fois été.
Notons qu'il existe un risque marginal : que certains pensent que puisque la mécanique de la requalification est précisée spécifiquement en cas de poursuites pour viol, c'est qu'elle n'est pas obligatoire dans les autres poursuites. Ce qui serait une grave erreur juridique.
C'est pourquoi il aurait été sans doute plus adapté de rappeler le principe dans les articles généraux du code de procédure pénale sans viser spécifiquement telle infraction.
La suppression d'une absurdité relativement à l'inceste
Alors qu'elle en a été absente pendant une longue période, la notion d'inceste a fini par entrer dans le code pénal. Plusieurs articles ont déjà été publiés à ce sujet (lire ici, ici, ici).
Jusqu'à la nouvelle loi, dans un § 3 intitulé "De l'inceste commis sur les mineurs", la loi imposait aux juridictions de reconnaître officiellement la situation d'inceste du fait de liens particuliers entre auteur et victime.
Mais la qualification d'inceste n'était pas retenue quand la victime était majeure au moment des faits.
Le terme "mineur" était absurde puisque, a contrario, il excluait de reconnaître le caractère incestueux de la relation quand, par exemple, un père violait sa fille âgée de 18 ans et 3 jours, alors que ce caractère incestueux aurait été retenu s'il l'avait violée la veille de ses 18 ans.
La loi du 3 août 2018 supprime enfin cette aberration juridique en enlevant la condition de minorité de la victime.
Ce changement est d'application immédiate.
Conclusion
On l'a vu, s'agissant des agressions sexuelles et des atteintes sexuelles, la loi du 3 août 2018 n'apporte pas de grands bouleversements.
Quelques notions parfois mal abordées sont précisées mais sans que cela apporte de nouveauté juridique.
La répression des relations sexuelles consenties avec des mineur(e)s de moins de 15 ans est aggravée. Cela renforce le message d'interdiction mais ne va pas bouleverser le traitement judiciaire de ces affaires.
Le reste, sans être négligeable, est plus anecdotique.
L'allongement de la prescription sera probablement de très peu d'effet.
L'élargissement de la qualification d'inceste, si elle corrige une absurdité juridique, n'aura aucun réel impact sur quiconque puisque tout le monde sait bien ce qu'est une relation sexuelle incestueuse et que cette qualification ne change rien à la peine encourue.
Il semblerait donc que cette loi, sur tous ces points, ne mérite ni louanges ni critiques démesurées.