La vérité côté cour (Bibliographie)
La cour d'assises est peut-être la juridiction pénale la plus connue et la plus commentée. Les affaires qui y sont jugées sont toutes graves, de ce fait passions et tensions sont souvent fortes. Et, inéluctablement, les analyses de ceux qui sont impliqués sont rarement objectives.
C'est pour cela que l'on s'intéresse tout particulièrement aux recherches susceptibles de présenter plus d'objectivité que les propos des personnes concernées par les procès et qui, cela se comprend humainement mais n'aide pas vraiment à la réflexion sur la juridiction, défendent d'abord leur thèse et leurs intérêts personnels.
Le livre de Christiane Besnier, publié aux éditions La Découverte (leur site), est l'un de ceux-ci (page livre ici).
Il s'intitule :
La vérité côté cour, une ethnologue aux assises
L'éditeur présente l'ouvrage de la façon suivante :
"Que se dit-il dans une cour d’assises, où se côtoient professionnels et jury populaire ? Comment y rend-on la justice ? Après avoir suivi une quarantaine de procès de 2001 à 2016, véritable immersion dans les prétoires, Christiane Besnier propose la première approche ethnographique de cette juridiction. Elle étudie au plus près, tout en maintenant la distance de l’ethnologue, les rouages du jugement dans les affaires de mœurs (viols et incestes) et d’homicides (meurtres et assassinats). La recherche de la vérité en cour d’assises se rapproche d’une recherche en laboratoire. À partir de l’observation des faits, le président formule des hypothèses qu’il soumet au débat pour en mesurer la validité – un processus dans lequel l’oralité est décisive. Il est assisté dans cette tâche par les autres acteurs de l’audience. Ainsi, la cour d’assises produit une vérité construite collectivement. La comparaison avec la justice américaine, qui tend à désigner un gagnant et un perdant, au cours d’un affrontement entre avocats, met d’ailleurs en évidence la singularité du modèle français, où toutes les parties contribuent à la recherche graduelle de la vérité, faisant œuvre commune. La Vérité côté cour initie le lecteur à toutes les étapes du procès, de la salle des pas perdus à celle des délibérés, et lui fait partager ces moments graves à travers de nombreuses citations saisies sur le vif. "
Le livre comporte huit chapitres : La scène judiciaire, Une justice expérimentale, En situation, Le modèle américain ou duel des parties, Le modèle français ou l'intervention du juge, La construction graduelle de la vérité, Requérir et plaider, Juger.
Christiane Besnier souligne dans les premières pages l'évolution des pratiques et notamment celle des présidents. Nous sommes passés, écrit-elle, "d'une logique de démonstration probatoire marquée par la prééminence du dossier à une logique d'écoute compréhensive valorisant les échanges". Elle relève aussi, ce qui n'est pas secondaire, que dans de plus en plus de salles les jurés sont à côté des magistrats et non plus dans une estrade séparée comme autrefois.
L'auteur a remarqué également la place de plus en plus importante prise par la partie civile, ce que les lois successives ont encouragé.
Au fil des pages, Christiane Besnier décrit et analyse chaque phase du procès. Son livre fourmille de réflexions, et parmi beaucoup d'autres sur : la gestion du temps, le recours à la visio-conférence, l'angoisse de certains protagonistes, la place des jurés, les incidents artificiels et injustifiés que les jurés ne comprennent pas, le possible effet négatif du droit au silence récemment consacré par la loi au bénéfice de l'accusé, la place des expertises, l'évolution des débats au fil des heures et des jours, le sens de la sanction proposée par le ministère public.
Plus compliquée est, pour l'auteur, l'analyse du délibéré puisque celui-ci est couvert par un secret absolu. Toutefois quelques présidents ont expliqué quelle méthode ils utilisent pour influencer le moins possible les jurés tout en les aidant à structurer leur raisonnement. Quelques uns, opportunément, retardent le moment de donner leur avis ou ne le donnent pas du tout.
Très intéressante est aussi la comparaison entre les diverses techniques de motivation de la décision (lire not. ici). Peu d'observateurs ont effectué un tel travail.
En lisant ce livre, des présidents pourront trouver étrange que l'un d'eux ait déclaré à l'auteur, s'agissant de l'accusé :"Au premier regard je sais s'il mentira ou pas". Si c'était si simple...
Quelques remarques pourront surprendre les professionnels. Comme quand il est écrit que c'est l'avocat général qui a "renvoyé" l'accusé devant les assises alors que c'est le juge d'instruction, ou que le président "s'isole dans son bureau" pendant les suspensions ce qui n'est certainement pas une façon de faire courante.
Mais cela n'enlève rien à l'intérêt manifeste de ce livre.
Qui se termine par cette remarque à propos de l'audience de la cour d'assises : "Quelle que soit son issue il n'y a jamais vraiment ni gagnant ni perdant. En séparant les auteurs de leurs actes, les victimes de leur souffrance, elle ouvre à chacun une perspective nouvelle".