"Pour l’unité de la procédure civile", par Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation
Pour rendre la justice plus accessible au citoyen, il a pu sembler utile de permettre au justiciable de saisir lui-même le juge et de conduire son procès. C’est ainsi que les procédures dites simplifiées ont été multipliées avec de bonnes intentions, pas toujours conscientes toutefois des réalités du terrain judiciaire. En effet, ces procédures nourrissent l’illusion que le justiciable peut se passer du concours d’un professionnel malgré l’extrême complexité du droit démultipliée par le législateur et les plaideurs.
Il ne faut pas induire en erreur le citoyen : dans la plupart des cas, pas plus qu’il ne peut se soigner tout seul sérieusement sans consulter un médecin, pas plus il ne peut agir ou se défendre utilement en justice sans le concours d’un avocat. Et ceci, quelle que soit l’importance matérielle de l’enjeu : les difficultés du droit se nichent dans les plus infimes détails du procès apparemment le plus anodin.
Une justice de qualité, rapide, efficace, simple et lisible, n’implique-t-elle pas, en réalité, un mode procédural unique confié à des professionnels aux responsabilités clairement établies et assumées à chaque étape du procès ?
Ne pas mentir au justiciable, c’est aussi lui permettre d’obtenir, dans un délai raisonnable, une décision conforme à l’état général du droit, dont la connaissance est désormais facilitée par l’avènement de l’ère numérique, qui rend nos décisions plus prévisibles.
Actuellement, l’entreprise privée opère des progrès spectaculaires dans cette approche grâce à la mise à disposition à grande échelle des décisions des juridictions qui autorise des recherches à partir de moteurs de plus en plus performants.
Peu à peu, grâce à ces outils, appelés à rendre les décisions de justice toujours plus cohérentes, un nouveau métier d’avocat, destiné à éviter le juge, remplace l’ancien, centré sur le recours au juge, remède à tous les différends.
Bien sûr, ce recours au juge demeurera toujours ouvert, notamment pour éclairer le sens des nouvelles règles et leur donner corps.
Mais, dans ce cas, là aussi, le respect pour le justiciable et le bon fonctionnement de la justice requièrent efficacité, responsabilité et célérité.
Le professionnel qui prend l’initiative d’un procès ne devrait le faire qu’en dernière analyse, seulement lorsque, ayant échoué à rapprocher les parties, il est en situation de présenter tous les moyens qu’il souhaite faire valoir devant le juge du premier degré. C’est en effet devant ce juge que le procès doit être intégralement lié.
Dans cette approche, le droit de faire appel de la décision ainsi obtenue ne peut participer à la recherche de la qualité de la justice que pour autant qu’il ouvre sur un double degré de juridiction au sens strict, c’est-à-dire un deuxième regard d’un deuxième juge sur le dossier même soumis au premier juge, sans nouvel argumentaire autre que la critique de la décision rendue.
Un tel repositionnement de l’appel, qui tend au renforcement de la qualité de la décision au fond, devrait lui-même permettre de faire évoluer le pourvoi en cassation pour le mettre réellement au service de l’unification du droit qui est la finalité de la Cour de cassation.
En effet, les risques d’erreurs de la décision judiciaire se trouvent significativement diminués avec le double degré de juridiction ainsi conçu, et il devient dès lors envisageable de limiter l’intervention du juge de cassation aux cas qui le justifient, quitte à ce que les erreurs des juges du fond qui auraient méconnu des règles déjà établies puissent être réparées selon une procédure simplifiée.
En conclusion, rendre la justice intelligible, accessible et diligente, ne passe pas par le laisser-tout-faire et tout-aller à tous les niveaux du procès, mais par une simplification d’ensemble qui encadre de façon claire et uniforme le mode de saisine du juge, en la forme et au fond, l’objet de l’appel et l’ouverture à cassation.
Naturellement, il ne peut y avoir de réforme de cette ampleur de la procédure sans, d’une part, celle de l’aide juridictionnelle, reconstruite sur le modèle des assurances obligatoires avec la garantie de l’Etat à titre subsidiaire, et, d’autre part, celle de l’organisation juridictionnelle elle-même, de façon à rendre au premier degré de juridiction sa place centrale dans le procès où celui-ci a normalement vocation, non seulement à commencer, mais aussi à s’achever.