Présumées coupables - Les grands procès faits aux femmes (Bibliographie)
Les Archives nationales ont très récemment (cf. ici) organisé une exposition intitulée :
"Présumées coupables 14e-20e siècle".
Le texte de présentation est le suivant :
" Restituer la voix des femmes à travers les pièces de procédure de la fin du Moyen Âge au 20e siècle, telle est l'ambition de cette grande exposition. Plus de 320 procès-verbaux d'interrogatoires, qui sont parfois les seules traces écrites de destinées fragiles, nous livrent les propos tenus par des femmes confrontées aux juges qui les questionnent.
L'exposition privilégie cinq archétypes : la sorcière en Europe aux 16e-17e siècles, l'empoisonneuse, l'infanticide, la pétroleuse de la Commune de Paris et, enfin, la traîtresse incarnée le plus souvent par la femme tondue lors de la Libération.
Au-delà de la foule des anonymes jugées pour des « crimes atroces », seront bien sûr exposés les interrogatoires des personnalités : Jeanne d'Arc, La Voisin, La Brinvilliers, Violette Nozière, Arletty, etc.
De courts extraits, défilant sur écran, transcrits et traduits, permettront aux visiteurs de lire et entendre des fragments de propos évoquant la violence, la haine, les malheurs et, ça-et-là, l'amour, tels qu'un greffier les a notés dans les procès-verbaux d'interrogatoires, les « auditions de bouche », les confrontations aux témoins, les notes et plumitifs d'audiences, etc.
En regard de ces mots restitués, un environnement iconographique, particulièrement foisonnant, viendra rappeler à quel point l'image véhicule et accentue les stéréotypes dans l'imaginaire social, à travers notamment l'estampe, le livre illustré, la presse illustrée, la photographie, l'image animée (cinéma ou fiction télévisuelle). Confronter archives judiciaires et représentations sociales de la femme dangereuse est aussi un des buts de l'exposition."
En même temps, les Archives nationales et les éditions L'Iconoclaste (leur site ; page du livre ici) ont publié un livre intitulé :
"Présumées coupables - Les grands procès faits aux femmes"
Ce livre est passionnant à plus d'un titre.
Il l'est d'abord par ses textes.
Dans l'avant-propos, les questions sont posées, sous de multiples aspects, autour de la façon dont les femmes ont défié les normes au fil du temps, et des réactions que cela a entraîné. Le premier enjeu étant, selon l'auteur, la possession et la maîtrise du corps de la femme dont on craint le pouvoir érotique et la puissance sexuelle, le second étant de l'empêcher d'empiéter sur les pouvoirs de l'homme voire de le dominer.
Un peu plus loin, il est précisé que l'une des ambitions de l'exposition et du livre est de montrer qu'au-delà des stéréotypes il existe une certaine normalité des femmes qui, depuis le XIVeme siècle, se sont trouvées confrontées à la justice pour des crimes considérés comme féminins.
La suite du livre est divisée en une introduction et 7 chapitres : D'Eve à la présumée coupable, Au coeur des procès, La sorcière, L'ennemie de la famille, l'empoisonneuse, La mauvaise mère, l'infanticide, L'ennemie publique, la pétroleuse, La traîtresse, la tondue de la libération, L'imaginaire du mal.
L'introduction continue de poser les principaux jalons de la réflexion : le décalage entre la réalité du crime féminin et son imaginaire, la femme étant le contrepoint de l'homme et l'antithèse de la violence, les conséquences de la transgression au regard de la mission pacificatrice des femmes, la vision augmentée de sa culpabilité à cause de ce qu'elle ne devrait pas être naturellement, le cloisonnement des rôles entre les deux sexes qui sert de toile de fond pour établir la présomption de culpabilité des femmes car toute transgression de leur part est perçue comme néfaste, le tout sur fond de cette méfiance qu'elles inspirent dans un monde dominé par les hommes.
Les chapitres qui suivent décortiquent par thèmes les parcours personnels et judiciaires d'une multitude de personnages féminins, inconnus ou célèbres.
Il l'est ensuite par les documents originaux reproduits.
Comme ne pas être troublé en regardant, puis en lisant, entre autres documents historiques, un extrait de l'interrogatoire de Jeanne d'Arc du 24 février 1431 (où il est question notamment de sorcellerie), une lettre de rémission de 1457 pour l'exécution à Marmande en 1453 de plusieurs femmes accusées de sorcellerie, le procès-verbal de la question de Jeanne Cauzion le 19 février 1607, un extrait de la procédure diligentée en 1660 contre Elise Guion sur le corps de laquelle on recherche les éventuelles traces laissées par le diable, une recette de poisons écrite par la Marquise de Brinvilliers en 1670, le procès-verbal de l'exécution de Marie-Antoinette du 16 octobre 1793, le rapport d'expertise de Marie Guyot en septembre 1784, un procès-verbal d'interrogatoire de Louise Michel de décembre 1871, un compte-rendu du procès de Germaine Berton aux assises en décembre 1923, un procès-verbal de confrontation de Violette Nozières du 13 septembre 1933, un rapport de filature d'une femme soupçonnée de fréquenter un allemand en août 1943, le procès-verbal d'audition de Léonie Bathiat bien plus connue sous le nom de Arletty en date du 16 septembre 1945.
Et les photographies de quelques une de ces femmes.
Comme cela est souligné dans les dernières pages du livre, l'image privilégiée de la femme dangereuse demeure celle d'un monstre. Avec des représentations qui mélangent fantasme et fascination.
Tout ceci fait de cet ouvrage un livre exceptionnel et passionnant.
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Sur la délinquance de femmes actuellement lire ici.