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Publié par Parolesdejuges

Les magistrats sur le divan  (Bibliographie)

 

La justice, pilier de tout état démocratique, est au centre de nombreux et permanents débats.

Encensée quand elle répond aux attentes des uns ou des autres, critiquée quand elle met en lumière le côté sombre de la nature humaine ou simplement les petites vilenies du quotidien, elle est constamment commentée.

De l'extérieur.

De leur côté, les magistrats sont, dans une certaine mesure, soumis au devoir de réserve. Il leur est possible d'intervenir dans le débat public, de partager leurs expériences, remarques et suggestions (cf. ici ; ici ; ici ; ici). Mais il n'empêche qu'ils s'expriment peu sur leur quotidien, sur la façon dont, intimement, ils vivent et ressentent leur activité professionnelle.

 

C'est pour cela que le livre de Dominique Verdeilhan (1) "Les magistrats sur le divan", qui vient d'être publié par éditions du Rocher (leur site - livre ici) est nouveau et particulièrement intéressant.

Sur son site l'éditeur présente le livre de la façon suivante :

"Marc Trévidic, Laurence Vichnievsky, François Molins, Renaud Van Ruymbeke, Jean-Claude Marin, Philippe Courroye, Éliane Houlette et bien d'autres... Plus de 80 magistrats, se confient pour la première fois. Présidents de cour d'Assise, procureurs, juges d'instruction, juges des enfants, ils révèlent ce qu'ils n'ont jamais osé évoquer : leurs angoisses, leurs souvenirs souvent traumatisants, leur détresse. Ils sont marqués, parfois de manière indélébile, par des affaires plus ou moins retentissantes : les attentats de Paris, le crash de la Germanwings, les crimes de Michel Fourniret ou de Pierre Chanal, la mort d'Ilan Halimi ou du petit Grégory, mais aussi par les dossier Elf ou Chirac.
Comment faire face chaque jour aux scènes de crimes, aux autopsies, aux catastrophes aériennes, aux attentats ?
Ils se sont tus, niant leurs émotions, mais la robe n'est pas une carapace. On ne sort pas indemnes de la justice, les magistrats non plus.
Dominique Verdeilhan a su mettre sur le divan ces hommes et ces femmes, leur permettant de se livrer dans des témoignages bouleversants, touchants, édifiants, qui apportent un autre regard sur la justice et ceux qui la rendent.
Vous sortirez différents de la lecture de ce livre
."

 

Précisons-le d'abord. Dans le livre il n'est nullement question des conditions matérielles de travail des magistrats. Ce dont il s'agit, c'est la façon dont les magistrats reçoivent, gèrent, et supportent - plus ou moins facilement - tout ce que la société déverse dans leurs bureaux et salles d'audience.

Le livre est organisé en 18 chapitres. Plus un chapitre sur l'auteur lui-même dans son travail d'observateur de la justice. Et un dernier chapitre intitulé : "Douze conseils aux magistrats de demain".

Dès le début du livre la trame principale est annoncée. Comme l'a dit un magistrat à D. Verdheilhan : L'opinion publique n'a pas conscience de la masse d'angoisse générée par les affaires traitées, de "tout ce que l'on se prend dans l'estomac".

 

De nombreuses pages sont consacrées aux affaires pénales. Des magistrats racontent leurs contacts quotidiens avec la violence, la mort, et la souffrance des proches des victimes comme des auteurs.

Des magistrats pénalistes, dont quelques juges d'instruction, donnent des détails nouveaux sur leur travail quotidien et les difficultés rencontrées.

C'est l'occasion d'apprendre quelques dessous peu glorieux des affaires. Par exemple, l'un d'entre eux raconte que quand le pouvoir politique veut freiner une enquête susceptible de déranger, l'un des moyens utilisés, malheureusement efficace, consiste à restreindre délibérément le nombre d'enquêteurs mis à disposition du juge.

Certains, en passant, expriment leur irritation face à la mise en spectacle de l'arrivée de personnalités sur certaines scènes de crime.

Ce qui revient assez souvent, c'est l'affirmation d'un manque de soutien de la hiérarchie dans les moments les plus difficiles. Une solitude mal vécue. D'autant plus que, même en présence d'attaques déloyales, et infondées, le juge n'a pas la possibilité de se défendre. Ce que savent ceux qui, à l'extérieur, profitent autant qu'ils le peuvent de ce déséquilibre d'expression. Avec tout ce que cela emporte de tentatives de déstabilisation.

En effet, quand, dehors, il est difficile de contester le fond du dossier, l'attaque contre le(s) magistrats(s) prend le relais. Et, comme ils l'expliquent, les magistrats doivent encaisser en restant taisant. Le piège étant de rétorquer et de se mettre au même niveau que l'agresseur, ce qui est toujours la plus mauvaise méthode.

D'autres insistent sur le poids écrasant de certains dossiers, les impacts de la médiatisation, la difficulté de conserver un équilibre sain entre vie professionnelle et vie personnelle.

 

Mais il n'y a pas que la justice pénale, quand bien même c'est la plus médiatisée.

A plusieurs endroits du livre est mise en avant la particulière difficulté d'être juge des enfants. Tant les enjeux en termes de protection des mineurs en danger sont importants. Un magistrat, aujourd'hui en poste à la cour de cassation, a déclaré que le poste de juge des enfants avait été de toute sa carrière le plus difficile à exercer.

Il est aussi question de la justice familiale. Là où, parfois, des adultes viennent se faire une guerre sans limite, au détriment d'enfants qui n'ont rien demandé.

Avec tous ces épisodes d'agressions verbales ou physiques contre les magistrats, dont on ne parle presque jamais en dehors de l'institution.

 

Un des magistrats rencontré par D. Verdeilhan a un peu résumé le tout en lui disant : "C'est un métier très violent. Le public ne sait pas combien c'est violent".

Ceux qui s'approchent de la justice le découvrent un peu. Les présidents de cours d'assises entendent très souvent des jurés leur dire : "Mais comment faites-vous pour supporter tout cela ?". Le "tout cela" comprenant les affaires en elles-mêmes, les personnalités, les souffrances et les émotions, l'agressivité et les comportements aberrants de certains pendant l'audience.

Comme l'explique un autre, c'est beaucoup plus difficile pour le magistrat que pour une partie au procès qui défend uniquement ses intérêts et n'a rien à faire de la vérité ou de la justice. Le juge, et lui seul, travaille pour la société, et doit apporter à chaque affaire la réponse la plus appropriée. En ayant conscience du risque toujours présent de se tromper, et de la part d'insatisfaction que toute décision génère.

Avec toujours ce doute qui le ronge.

 

D. Verdeilhan explique aussi comment, après une longue période sans rien à proposer, le ministère de la justice tente depuis quelques années de mettre en place des modalités de soutien aux magistrats qui se retrouvent dans des situations de souffrance professionnelle. C'est le début de la reconnaissance de réels risques psycho-sociaux pour les magistrats.

 

Parmi les conseils que donne D. Verdeilhan dans le dernier chapitre, on note : L'ouverture sur l'extérieur, la distance à garder avec les drames et leurs acteurs, ne pas vouloir être aimé autrement dit se méfier comme de la peste de son ego, partager les difficultés rencontrées.

 

Mais ce qui ressort aussi du livre, en arrière-plan, c'est la conscience chez les magistrats de l'ampleur de leur responsabilité. Autrement dit, la conscience aigüe de l'importance de la mission qui leur est confiée.

Avec, inéluctablement comme cela est exprimé presque à chaque page, son lot d'incertitudes, de doutes, de questionnements, de chocs, et d'émotions fortes.

Cela n'a rien à voir avec une plainte. Un magistrat ne peut pas être autrement que constamment inquiet.

Mais tout ce que contient ce livre met en lumière à quel point c'est un métier complexe et difficile. Sans doute bien plus que ce que l'on peut en penser du dehors.

Et qui en fait, aussi, l'un des métiers les plus passionnants que l'on puisse exercer au service de ses concitoyens.

 

En tous cas, ce livre, à la lecture très agréable, permet d'aborder l'institution judiciaire et son personnel sous un angle nouveau. Et aux lecteurs de se rapprocher - un peu - de ceux dont la plupart du temps ils n'aperçoivent que le vêtement d'audience.

 

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1. Dominique Verdeilhan est journaliste, chroniqueur judiciaire sur France 2 et FranceInfo. Il couvre les grandes affaires judiciaires depuis plus de 25 ans.

 

 

 

 

 

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