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Guide de la protection judiciaire de l'enfant

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Publié par Parolesdejuges

 

Dire que le débat autour de la GPA (gestation pour autrui) est complexe est un euphémisme (lire not. ici, ici) . On commence par un aspect de la problématique (cf. ici), puis on se rend compte que de nombreux autres y sont enchaînés. Presque sans fin.

Et les questions rencontrées sont souvent multiformes, remplies de coins et de recoins, parfois cachés.

Après d'autres, essayons d'en mentionner brièvement et simplement quelques unes.

 

Le droit à l'enfant

Nul ne doute de la souffrance, parfois vive, de ces adultes qui pour diverses raisons ne peuvent pas avoir d'enfant de façon ordinaire (stérilité, grossesse médicalement impossible, couples de personnes de même sexe, femmes trop âgées,..etc...). Même si certains adultes qui ont su s'affranchir des pressions et des conventions vivent épanouis sans enfant, il n'empêche que chez d'autres une telle absence déclenche une vive douleur et par voie de conséquence une permanente quête d'enfant. Par n'importe quel biais.

Ce que l'on perçoit, même si cela n'est pas toujours nommé, c'est la place de plus en plus grande prise par la revendication d'une sorte de "droit à l'enfant". Qui permettrait de recourir à des mécanismes de substitution de toutes sortes, presque sans limite. Comme s'il était inenvisageable de ne rien faire, et indispensable de combler ce manque. De fournir un enfant à n'importe quel prix. En se demandant, mais seulement ensuite, si tout est opportun. Notamment pour les enfants concernés.

Avec en germe toutes les dérives imaginables : Ici une femme de 65 ans ayant déjà treize enfants se retrouve enceinte de quadruplés après une double insémination (lire ici). Là un couple achète un enfant à sa mère étrangère (lire ici).

Les techniques médicales aux progrès considérables ont fait tomber une succession de barrières et peu à peu repoussé les limites. Ce qui était autrefois accepté comme une circonstance malheureuse de la vie est aujourd'hui abordé comme un obstacle à contourner coûte que coûte.  A l'aide aux couples hétérosexuels rencontrant des difficultés de procréation, a succédé la mise en place de processus permettant à des couples de personnes de même sexe d'obtenir des enfants.

Les repères habituels explosent les uns après les autres. Le sentiment qui domine est celui d'être dans un bateau sans pilote. Nul ne sait exactement vers quoi on se dirige, et avec quel projet commun. Les clans se forment et s'opposent, à coups de slogans et d'anathèmes. Là où certains dénoncent avec vigueur le début de l'anéantissement de nos sociétés, d'autres applaudissent un formidable progrès.

Avec cette question centrale toujours non résolue : L'envie d'avoir un enfant justifie-t-elle tout ?

Et la GPA n'a pas simplifié les choses, c'est peu dire.

 

Les pièges de la GPA

Il faut bien admettre que dès le départ la GPA est déroutante.

Voici une femme qui prête son ventre à des tiers (un homme et une femme, deux hommes voire deux femmes), qui fait grandir en elle un enfant avec qui elle n'a pas de lien génétique, qui le met au monde, puis qui aussitôt le remet à ces tiers. Parfois en restant identifiée. Parfois en se faisant définitivement oublier.

Mais prêter son ventre pour accueillir un futur enfant n'est pas la même chose que prêter une chambre à un étranger de passage. La mère gestatrice est biologiquement liée à l'enfant. C'est elle qui le nourrit et plus largement qui assure sa survie, c'est elle qui lui transmet ses émotions, c'est elle qui le sent bouger en elle. Et c'est elle qui le met au monde. Avec d'éventuelles complications médicales et soucis divers, pour elle et/ou pour l'enfant, pendant cette grossesse. C'est pourquoi il est un peu difficile de ne concevoir la mère porteuse que comme une prêteuse de chambre, une personne qui tout en hébergeant un tiers lui reste totalement étrangère.

La rémunération pose aussi question. Aux USA, le coût global d'une GPA est estimé à environ 100.000 euros, dont 20.000 euros pour la femme porteuse, 6.000 euros pour la donneuse d'ovocyte (en Inde c'est parfois 7.000 euros qui peuvent correspondent à près de vingt années de salaire), le reste se partageant entre l'agence, l'avocat et les soins (1). Cela réserve la GPA à des personnes fortunées. Ou contraint les autres à utiliser des méthodes moins onéreuses parce que moins contrôlées et donc potentiellement malsaines. Sans compter le risque justement dénoncé de recours à des femmes porteuses pauvres plus ou moins contraintes de participer à un processus peu encadré.

Il en va de même du choix de la donneuse d'ovocyte. Elle est parfois choisie sur catalogue. Mais sur quels critères ? La beauté physique (avec toutes les manipulations informatiques possibles) ? Son intelligence supposée (parcours scolaire, métier..) ? Son caractère annoncé mais avec quelle objectivité ? Il s'agit alors, dans l'esprit des solliciteurs, de choisir (à supposer que cela soit réaliste) les futurs traits de personnalité de l'enfant. Est-ce le mythe d'un enfant parfait ?  Imagine-t-on l'acheteur d'ovocyte faire un procès à l'agence qui a mis en ligne une photo flatteuse de la donneuse, si l'enfant au final n'est pas très (suffisamment)  beau ? Et de toutes façons, en quoi cela va-t-il conditionner le bien être futur des enfants nés de cet ovule ?

Il y a aussi des risques sur le plan médical. L'embryon implanté n'étant pas génétiquement relié à la femme porteuse, il existe un risque de rejet. C'est pourquoi certaines femmes porteuses doivent suivre un traitement médical lourd (médicaments, piqûres) contraignant, et parfois douloureux. Outre la responsabilité de la femme porteuse par rapport à la santé de l'embryon, d'où de possibles tensions autour de ce qu'elle ingurgite et de son mode de vie.

La problématique peut également être juridique puisque, en principe, un contrat lie la mère porteuse et les tiers qui ont recours à ses services.

Sans doute arrive-t-il régulièrement que les termes de ce contrat soient scrupuleusement respectés et que tout se passe correctement entre tous les intéressés.

Mais si dans la vie courante tous les contrats étaient respectés, il n'y aurait jamais de recours au juge. C'est pour cela que, à supposer qu'il puisse exister une "GPA éthique" selon l'expression utilisée par certains (lire ici), avec un processus formalisé dans le respect de chacun des protagonistes, il existe toujours un risque de non respect du contrat conclu entre les parents d'intention et la mère porteuse.

De graves difficultés ont déjà été signalées : un couple ayant recours à une mère porteuse, enceinte de jumeaux, refuse de repartir avec l'un des deux enfants né trisomique (lire ici), une mère porteuse refuse d'avorter comme le souhaite le couple d'intention quand il apprend après une échographie que l'enfant souffre de malformations, ce qui aboutit à un enfant abandonné des trois adultes et qui se retrouve dans une autre famille adoptive (lire ici), un couple d'hommes doit saisir la justice britannique après que la mère porteuse ait refusé de leur remettre l'enfant né comme elle le devait par contrat (lire ici).

Et il y a, aussi et peut-être surtout, toutes les composantes affectives. Que jamais aucun contrat ne pourra régir. Comment une femme porteuse gère-t-elle l'obligation de remettre l'enfant à sa naissance, ce qui suppose qu'elle ne s'investisse pas trop affectivement, et en même temps l'attention de chaque instant qu'elle doit lui apporter pendant la grossesse ? Quelle est la place de son compagnon qui peut se sentir exclu du processus ? La remise de l'enfant est-elle compatible avec l'allaitement dans sa composante affective sinon médicale ? Et, dans tous les cas, comment vont s'organiser les liens affectifs entre tous les protagonistes (le groupe pouvant inclure les parents de la femme porteuse et les parents des demandeurs) ?

Objectivement, on ne peut le nier, la GPA est une source permanente de potentielles difficultés. Toutefois, celles-ci ne sont pas forcément insurmontables. Elles doivent seulement être toutes prises en compte dans l'analyse.

C'est bien pourquoi le débat est toujours aussi vif entre les pour et les contre la GPA. Tant en ce qui concerne les particuliers, les professionnels de la psychologie ou du droit, que les institutions sollicitées pour émettre des avis. Avec les interventions de divers lobbies plus ou moins bien intentionnés.

En tous cas en France la GPA est à interdite sur le territoire national mais aisément accessible à l'étranger. Ce qui complique encore un peu plus les choses. Et qui a abouti à toutes ces décisions de justice successives autour de la retranscription à l'état civil français des actes de naissance rédigés à l'étranger pour des enfants nés de GPA. (cf. not. ici).

 

GPA, parenté de même sexe, et capacités éducatives

Les opposants au mariage pour tous (c'est à dire au mariage de personnes de même sexe) (lire not. ici, ici, ici) ont tout de suite proclamé qu'une telle autorisation serait inéluctablement la porte ouverte à l'arrivée d'enfants chez les couples homosexuels. (cf. aussi ici et ici). Certaines oppositions radicales étaient plus focalisées sur cette question par ricochet que sur l'union en elle-même. (cf. aussi ici)

C'est effectivement ce qui s'est passé. La GPA est dans certains pays utilisée par des hétérosexuels comme par des homosexuels, y compris français.

Pourtant les problématiques doivent être bien différenciées, sinon le débat devient excessivement confus.

Du côté de la femme porteuse, les questions qui se posent (cf. plus haut) sont les mêmes quelles que soient les personnes qui vont ensuite récupérer et élever l'enfant. De l'autre côté, la question des capacités éducatives des couples composés de personnes de même sexe ne dépend pas de la façon dont l'enfant a été conçu et est arrivé auprès de ces hommes ou de ces femmes.

Autrement dit, si on pose le principe que deux personnes de même sexe peuvent chacune - séparément puis ensemble - être de bons éducateurs pour un enfant, on ne voit pas bien sur quel fondement affirmer qu'ils vont devenir soudainement de mauvais éducateurs parce que l'enfant qui est arrivé auprès d'eux est issu d'une GPA. La modalité d'arrivée de l'enfant dans un couple, hétéro ou homosexuel, n'a aucun impact sur les capacités des accueillants.

Au demeurant, si les capacités éducatives des homosexuels étaient moindres que celles des hétérosexuels, il faudrait interdire l'adoption par un couple d'hommes ou de femmes ce qui est théoriquement permis depuis 2013 avec la loi sur le mariage homosexuel qui a également modifié les règles relatives à l'adoption (texte ici). 

Il faut donc éviter de mélanger artificiellement les deux problématiques.

 

L'accès aux origines

La question de l'accès des enfants à leur origine fait débat depuis longtemps. D'un côté nombreux sont ceux qui affirment que l'accès à ses origines biologiques, qui conditionne l'accès à son histoire humaine, est l'une des conditions de l'équilibre psychologique de tout être humain. D'autre part, multiples sont les situations qui interdisent à un enfant d'avoir accès à tout ou partie de ses origines, et notamment  : femme non mariée qui accouche sans prévenir le géniteur masculin qui ignore l'existence de son enfant, accouchement sous x, adoption.

La GPA n'est donc pas une situation nouvelle qui, à la différence des autres, comporte le problème de l'accès aux origines. Elle n'en est qu'une de plus, et dans certaines législations seulement. C'est pourquoi, si l'on part du principe que l'accès aux origines est une priorité, en tous cas un droit supérieur de l'enfant, alors il faut modifier les règles juridiques dans toutes les situations. Il n'existe aucune raison, sur ce sujet, de ne prendre en compte que la GPA.

Il n'empêche qu'avec la GPA cela se complique puisque comme nous l'avons déjà indiqué il peut y avoir trois femmes dans la vie de l'enfant : celle qui donne ses gamètes (et qui reste anonyme ou non selon les législations), celle qui porte l'enfant (qui là encore reste ou non anonyme), et celle qui le reçoit après la naissance et l'élève.

Dans certaines configurations l'enfant connaît l'identité des trois femmes. D'où les inéluctables questions : Que représentera chacune d'elles pour lui (et l'inverse) ? La femme qui l'élève aura-t-elle à craindre l'existence des deux autres ? L'enfant sera-t-il tenté d'aller questionner la femme dont il est génétiquement issu (la donneuse d'ovule) afin de connaître les autres membres de sa famille de ce côté ? Quelle place va-t-il accorder à chacune dans son propre parcours de vie ?

Plus largement cela invite à explorer la question peut être principale, celle de la parentalité.

 

C'est quoi être "parent"

Il s'agit sans doute là de l'une des questions essentielles. Et l'une de celles, aussi, qui nous dérange le plus.

Dans la GPA, répétons-le, il peut y avoir plusieurs "parents".

Pour les pères il peut y en avoir deux : le père biologique, celui qui est à l'origine côté paternel de l'embryon implanté dans la femme porteuse, et le compagnon/conjoint de cet homme qui, une fois l'enfant accueilli chez eux, s'en occupera comme un second père. Et qui parfois sera parent adoptif. Avec en cas de couple parental homosexuel masculin la possibilité que chaque homme soit père d'un enfant. Il est effet arrivé que deux embryons fécondés par chacun des deux hommes - français - soient implantés chez la femme porteuse et que celle-ci donne donc naissance à deux enfants qui n'ont que la donneuse d'ovule en commun mais pas les pères.

Pour les mères il peut y en avoir trois comme indiqué ci-dessus. Voire (en théorie) quatre en cas d'enfant accueilli par un couple de femmes homosexuelles dont aucune n'est donneuse d'ovule. Il pourrait alors y avoir la donneuse d'ovule extérieure, la mère porteuse, et les deux femmes du couple ayant sollicité cette dernière.

Parmi les trois femmes de notre première hypothèse, laquelle est plus "mère" de l'enfant que les autres ?

Celle qui a donné son ovule et donc son patrimoine génétique, et que dans certains pays l'enfant pourra rencontrer car parfois il n'y a pas d'anonymat du don ? Mais chez nous, dans le don d'ovule ou le don de sperme, toujours anonymes, personne n'a le réflexe de considérer le donneur comme "parent", quand bien même ce sont ces gênes qui vont pour partie définir qui est l'enfant.

La "mère" porteuse parce qu'elle a accouché de l'enfant ? On comprend aisément que pendant longtemps la femme qui accouche ait été assez unanimement considérée comme la mère. En effet, avant l'apparition des techniques d'implantation d'ovules ou d'embryons, s'il pouvait y avoir une incertitude sur l'identité biologique du père (le mari est présumé père mais il peut évidemment ne pas l'être biologiquement, et un homme peut reconnaître un enfant qui n'est pas biologiquement le sien), il n'y en avait pas sur celle de la véritable mère qui, de fait, était toujours celle qui accouche. C'est le cas en France puisqu'il est écrit dans l'article 311-25 du code civil (texte ici) : "La filiation est établie, à l'égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance de l'enfant."

Et il n'a jamais été envisagé que les femmes puissent reconnaître un enfant qu'elles n'ont pas mis au monde. En tous cas, avec les nouvelles techniques d'implantation, cette certitude a volé en éclat.

Appliquer aujourd'hui et mécaniquement une telle présomption à la femme porteuse n'a aucune raison d'être, sauf à préférer la fiction et le mensonge à la réalité biologique. La réalité doit donc être de nouveau examinée : La mise au monde d'un enfant fait-elle forcément de la femme qui accouche sa mère, y compris en cas de GPA ? Rien n'est moins certain.

D'un point de vue affectif, la femme porteuse ne doit pas s'attacher excessivement à l'enfant qu'elle met au monde. Elle doit même accepter qu'il disparaisse définitivement de son existence dès après la naissance. Ceci afin de pouvoir psychiquement le remettre sans dégâts pour elle à d'autres adultes. Dans la GPA, la femme qui accouche ne doit jamais être/vouloir être "mère".

Il en va de même de la donneuse d'ovule. Comme dans tous les dons de gamète, le donneur ne fait pas la démarche pour engendrer un enfant dont il s'occupera ensuite. L'anonymat du don a clairement cet objectif : empêcher tout lien non souhaité entre parent biologique et enfant né du don de gamète.

Alors ne reste que la femme qui accueille l'enfant sans l'avoir ni engendré ni porté.

Pour analyser la place de ce parent "d'intention", il faut sans doute repasser par Marcel Pagnol qui a fait dire au père de Fanny, quand Marius est revenu de mer, a découvert que Fanny a eu un enfant de lui, et qu'il l'a revendiqué : "Le parent c'est celui qui aime". Ce qui veut dire que le lien affectif, la présence quotidienne, les soins apportés, la sécurité offerte, sont au final bien plus importants que la génétique.

C'est ce que nous expliquent aussi de nombreux enfants adoptés ou nés "sous x", qui arrivent par divers moyens à connaître leur mère une fois devenus adultes, qui vont la rencontrer, et qui disent aussitôt après : "J'ai rencontré celle qui m'a mis au monde, mais mes véritables parents sont ceux qui m'ont élevé."

La génétique n'a jamais fait et ne fera jamais le bon parent. Sinon il n'y aurait besoin ni des services sociaux ni des juges des enfants. Et il n'y aurait pas chaque année en France des dizaines de milliers d'enfants en danger dans leurs familles biologiques.

L'adulte utile, c'est à dire l'adulte épanouissant, qui aide l'enfant à grandir sereinement, à se construire de façon équilibrée, à devenir un adulte autonome plein de ressources personnelles, c'est d'abord et avant tout l'adulte qui est présent en permanence, qui est à l'écoute, qui rassure, qui encourage, qui accompagne, qui sécurise, et qui garantit une affection indéfectible. Et rien de cela ne se trouve dans les gênes.

A priori, il n'y a donc aucune raison pour que des adultes qui ont en eux-mêmes ces aptitudes ne puissent pas les mettre en oeuvre auprès d'un enfant arrivé par GPA. Autrement dit, le recours à la GPA ne permet certainement pas, à lui seul, de prédire un avenir sombre aux enfants qui en sont issus, cela au seul motif que les adultes qui vont les élever ne sont pas, tous, leurs parents génétiques.

 

Le corps de la femme, et l'usage qu'elle en fait

La question est très délicate.

Esclavagisme insupportable pour les uns, magnifique don pour les autres, le fait qu'une femme puisse utiliser son ventre pour porter un enfant qui n'est pas le sien déclenche les passions.

La difficulté, majeure, est que les principales concernées sont à peu près totalement absentes des débats.

Combien de ceux qui parlent de ces femmes pour les plaindre ou les encenser sont allés les rencontrer pour entendre leur point de vue sur ce qui les a motivées, sur le sens profond de leur démarche, sur leurs hésitations et doutes éventuels, sur les avis et réactions de leurs proches, sur le déroulement de la grossesse, sur les liens avec l'enfant porté, sur la façon dont elles ont vécu son départ, sur les relations poursuivies ou non avec lui ? Et sur le bilan de la démarche après quelques mois ou années de recul ?

Une femme qui offre son ventre dans un processus de GPA ne peut-elle être qu'une femme inconsciente de ce qu'elle fait, qui n'a rien compris aux enjeux, une femme essentiellement intéressée par l'argent, une femme manipulée et abusée ? Ou bien est-il possible qu'elle ait raisonnablement pesé le pour et le contre, qu'elle assume pleinement sa démarche, et que la GPA, au final, n'engendre aucun dommage pour elle ?

En tous cas nous n'avancerons pas dans la réflexion sans y intégrer leurs témoignages.

Le seul risque médical n'est pas non plus un argument suffisant. Il existe autant sinon plus dans le don d'organe que personne n'envisage d'interdire.

Faudrait-il interdire l'argent dans le processus ? Mais il est juste, et nécessaire, que la femme qui porte l'enfant reçoive une contrepartie, en tous cas autre chose qu'un simple remerciement verbal. A défaut d'une autre contrepartie plus pertinente, la remise d'argent, quand bien même il peut toujours y avoir des arrière-pensées, peut être la matérialisation raisonnable de ce remerciement, de cet échange entre les deux parties.

C'est la même chose dans la justice pénale. Aux proches d'une personne assassinée la justice fait verser de l'argent. A certains cela semble moralement discutable. Mais on n'a pas encore trouvé vraiment mieux (lire ici)

 

Les droits de l'enfant

Très et trop souvent, la notion de "droits de l'enfant" est, comme cela a déjà été souligné sur ce blog (lire ici, ici, ici) , une notion joker que les uns et les autres utilisent au gré de leurs intérêts. Un jour dans un sens, le lendemain dans le sens contraire. 

Ce que l'on constate en permanence, à propos de la GPA comme de tant d'autres sujets, c'est que ceux qui sont pour et ceux qui sont contre mettent tous en avant les "droits de l'enfant".

Sans, la plupart du temps, expliquer quels sont les droits des enfants, d'où ils proviennent, quels sont leurs raisons d'être et leurs contours. Et, plus précisément, lesquels sont mis en cause dans le processus de GPA.

Comment peut-on alors revendiquer la prise en compte des droits et de l'intérêt supérieur des enfants si le contenu de ces notions n'est pas clairement défini et commun à tous ?

Alors dans la GPA, les droits de l'enfant - mais lesquels ? - sont-il respectés ou bafoués ?

Le droit de connaître ses origines, c'est à dire ses parents biologiques ?

Rappelons s'agissant de la GPA que dans certaines législations l'enfant a le droit de connaître la femme qui l'a porté et même la femme qui a donné son ovocyte.

Quoiqu'il en soit, où est le droit de l'enfant à connaître ses parents biologiques dans l'accouchement "sous X", dans l'adoption, et de connaître son père biologique dans l'insémination avec donneur ?

Où est le droit de l'enfant à connaître sa filiation paternelle quand une femme enceinte décide de se séparer du père sans lui dire qu'il est le géniteur de leur enfant, ou qu'elle accouche sous X ce qui déclenche une procédure irrévocable d'adoption par des tiers, de telle façon que dans les deux cas l'homme est arbitrairement privé du droit d'avoir un quelconque lien avec son enfant ? (lire ici, et aussi ici, ici, ici)

Le droit de ne pas être abandonné par la femme qui l'a mis au monde ?

C'est pourtant ce qui est habituellement toléré dans l'accouchement sous x et dans l'adoption.

Le droit d'être élevé par un homme et une femme ?

Mais c'est le contraire dans l'adoption permise par des célibataires quelle que soit en plus leur orientation sexuelle.

Le droit de ne pas être perturbé par une origine complexe ?

Mais le fait d'être issu d'une GPA est-il plus perturbateur pour un enfant que de s'interroger sans fin sur les raisons ayant poussé sa mère à accoucher sous x, de se demander pourquoi ses parents ne l'ont pas élevé et pourquoi il a été adopté, en plus dans les deux cas en étant légalement et délibérément privé de tout droit d'accès à la vérité ?

 

Et le juge dans tout cela ?

La mission du juge, c'est d'intervenir dans des situations conflictuelles (civiles, sociales, pénales.. etc..) pour, grâce au droit, en appliquant/imposant la règle légale, apporter une solution susceptible de mettre fin à ce conflit.

Mais comme les lois sont pleines de mots, d'expressions, de phrases qui doivent être interprétés, le juge ajoute aux règles légales l'analyse qu'il en fait. Cela a toujours été et sera toujours ainsi. Sans que quiconque puisse dire que cela est insupportable. Parce qu'il est impossible de faire autrement.

Prenons deux exemples.

En droit du travail, aucun texte ne pourra jamais énumérer la liste des "fautes graves" qui permettent un licenciement du salarié sans préavis. Elle serait infinie. C'est donc au juge, dans chaque dossier, de dire si tel fait caractérise, ou non, une faute grave.

En matière de séparation de personnes mariées, un conjoint peut demander le divorce en cas de "faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage" (art 242 du code civil - texte ici). Là encore, la loi ne dit nullement quels comportements peuvent être considérés comme une "violation grave" des obligations d'un conjoint.

Dans ces deux exemples, c'est au juge de définir le contenu exact des notions juridique. Sans une totale prévisibilité pour les intéressés, sauf, pour partie seulement, à travers la lecture des décisions de justice successives.

Mais se pose toujours la question de la limite de ce pouvoir d'interprétation. Car on peut doucement glisser d'une interprétation du cadre légal à une modification du cadré légal.

Lorsque les textes sur la retranscription en France des actes d'état civil établis à l'étranger ont été rédigés (1962 - cf. ici), les auteurs, évidemment, n'avaient pas en tête des GPA qui n'existaient pas.

C'est pourquoi dire si en cas de GPA à l'étranger, quand celle-ci est interdite en France, l'acte étranger peut quand même être retranscrit en France n'est peut-être plus seulement une interprétation du cadre juridique en vigueur mais la création de nouvelles normes.

Mais est-ce bien au juge de faire cette démarche intellectuelle ?

On peut d'autant plus s'interroger sur le périmètre maximal de l'intervention du juge quand des réponses sont recherchées à de très importantes questions de société susceptible d'intéresser de nombreuses personnes. Et c'est le cas de la GPA, plus largement des modes de procréation.

N'est-ce pas alors au gouvernement et aux représentants élus de prendre leurs responsabilités et de préciser/fixer le nouveau cadre juridique ?

Sans doute sont-ils satisfaits de laisser le juge aller au front. Pour ne pas avoir à décider par eux-mêmes. Mais dans une démocratie le rôle du juge ne doit-il pas être limité à son strict nécessaire ?

Il n'empêche que la problématique de la GPA n'est pas principalement juridique. Le droit, dans ce domaine, n'est que la mise en forme de choix sociétaux à un moment donné. La problématique de la GPA est essentiellement humaine dans toutes ses composantes.

 

Alors que prévoir pour demain ?

On peut hésiter, être pour, ou plutôt contre, ou bien trouver cela insupportable, rien n'y changera. Demain, et pour sans doute encore longtemps, des Etats autoriseront la GPA. Et il sera probablement impossible d'empêcher des adultes français d'aller dans ces pays pour bénéficier de ce mode d'obtention d'un enfant. Il faut donc faire avec et intégrer la GPA dans le raisonnement.

Autrement dit il n'existe que deux options : Soit, si on est contre, se contenter de crier que c'est épouvantable, ce qui n'apporte rien en termes de réflexions et encore moins de solutions. Soit affronter la réalité et s'interroger sur ce que pourrait être le moins mauvais des compromis. Il ne semble pas y avoir de troisième voie réaliste.

Le préalable est sans doute d'engager un débat ouvert, ample, respectueux de toutes les approches, et d'abord débarrassé des habituels slogans racoleurs et des anathèmes culpabilisants visant à empêcher toute discussion approfondie.

Mais aussi d'aller à la rencontre des hommes et des femmes qui ont participé à ces processus de GPA pour les interroger, écouter leurs témoignages, et savoir comment, dans la vraie vie, les uns et les autres ont vécu les étapes et évènements successifs.

De la même façon, il est impératif d'aller à l'écoute des enfants qui en sont issus et qui pour certains doivent aujourd'hui être en âge et en état de s'exprimer intelligemment. Tout en allant vérifier auprès de leur environnement proche, des écoles, des soignants, si ces enfants se sont fait remarquer par des troubles du comportement spécifiques découlant de la façon dont ils ont été conçus, portés, accueillis, élevés. Ou s'ils grandissent banalement comme les autres enfants du même âge.

Seules de telles investigations peuvent nous montrer dans quelle mesure, si tel est le cas, l'origine de ces enfants a été source de perturbations pour eux. Ou, à l'inverse, que les craintes initiales n'étaient pas fondées.

 

Enfin, il faut en permanence intégrer un paramètre essentiel : Ce qui est souvent le plus perturbant pour les enfants (comme pour les adultes), ce n'est pas tant ce qu'ils vivent ni d'où ils viennent que le regard que les autres portent sur eux quand il est dévalorisant et péjoratif. On sait depuis l'éternité qu'un enfant trop petit, trop gros, malhabile etc.. ne grandit pas mal parce qu'il est ainsi, mais parce que les autres se moquent de lui.

C'est pourquoi dans bien des cas les plus grands dangers sont le refus de la différence, le rejet, l'exclusion, le mépris, l'humiliation.

Il pourrait en être ainsi pour les enfants issus de GPA.

Qui, probablement, ne demandent rien d'autre que d'être regardés pour ce qu'ils sont. Et non pas d'où ils viennent.

Seules l'intelligence et la bienveillance des adultes peuvent permettre d'éviter de telles dérives.

Contre le refus de la différence, l'ignorance et la bêtise, la loi ne pourra jamais rien.

 

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1. Infos données dans un reportage de France 2 qui a suivi un couple d'hommes français et la famille d'une femme porteuse américaine tout au long du processus ayant abouti à la naissance de deux filles ayant chacune l'un des deux hommes pour père (insémination de deux embryons chez la femme porteuse)..

 

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D
L'achat d'organes à greffer est un crime pour le Conseil de l'Europe:<br /> <br /> "Mercredi 25 mars, la Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains, premier traité international pour combattre ce crime, a été ouverte à la signature dans le cadre de la Conférence internationale de haut niveau, organisée par le Conseil de l’Europe et le gouvernement espagnol pendant deux jours à Saint-Jacques-de-Compostelle. L'Albanie, l'Autriche, la Belgique, la République tchèque, la Grèce, l'Italie, le Luxembourg, la République de Moldova, la Norvège, la Pologne, le Portugal, l'Espagne, la Turquie et le Royaume-Uni ont signé la Convention.(...)"<br /> <br /> <br /> http://www.coe.int/fr/web/human-rights-rule-of-law/-/combating-trafficking-in-human-organs-high-level-international-conference-and-opening-for-signature-of-the-council-of-europe-convention
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M
J'ai lu cet article avec intérêt car il tente de donner une place à la GPA dans le système juridique actuel. Je partage l'objectif prioritaire qui est celui de l'intérêt de l'enfant, à savoir être éduqué par des adultes responsables, affectueux et informés de ses besoins. Il me semble que le modèle d'un père et d'une mère biologique comme référence n'est plus possible. Mère de trois enfants adoptés, je sais aussi hélas combien les histoires de naissance ou leur absence peuvent marquer et influencer toute une vie.
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S
C'est intéressant mais je conteste votre rapprochement de la GPA avec l'accouchement sous x et l'adoption. Ces deux dernières pratiques correspondent à des cas accidentels auxquels on recherche des solutions et il est logique de permettre à une mère d'accoucher sous x plutôt que d'avorter ainsi qua un couple d'adopter un enfant né que les parents biologiques ne peuvent élever. Tandis que la GPA est une démarche délibérée visant à faire naître un enfant dans une situation complexe et de multiplier les cas. C'est une différence de taille me semble-t-il.
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H
merci, l'homme, l'humain
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