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Publié par Parolesdejuges

Par Mme M. I., juré en 2014

 

« Accusé, levez-vous ».

La phrase fatidique s’élève dans le silence de la salle d’audience pleine à craquer… au fond sur les bancs destinés au public, les familles des détenus, le regard inquiet, comprennent que leur avenir va dépendre des mots qui vont suivre …

La sentence tombe … « La cour vous condamne à dix ans de prison ferme »… si l’accusé est sous contrôle judiciaire au moment du procès, donc en liberté, il est immédiatement interpelé par les forces de l’ordre …

C’est le moment fort de cette aventure, qui a débuté ce jour du mois d’août, lorsque j’ai trouvé dans ma boite aux lettres, une enveloppe du Tribunal de Grande Instance de X..., avec la mention « urgent, cour d’assises ».

Le premier instant de surprise passé, je me suis souvenu que plus d’un an auparavant, une lettre de la mairie m’avait indiqué que j’avais été tirée au sort sur les listes électorales, pour peut être participer à un jury populaire.

Et c’est ainsi que ce 3 novembre au matin, nous sommes un certain nombre à errer dans les couloirs du Tribunal, notre convocation à la main, plutôt impressionnés par la solennité des lieux. La Greffière nous installe dans la salle d’audience, vide à cette heure-ci, afin de procéder à la révision de la liste des jurés. Certains sont absents, ayant fourni un certificat médical, d’autres occupent des professions non compatibles avec la fonction de juré, une personne de plus de 70 ans a demandé à être dispensée. Deux autre personnes manquent à l’appel, la Greffière s’empresse de les contacter par téléphone : la Cour d’assises à l’appareil, nous vous attendons …

Certains d’entre nous doivent se rendre à la barre et expliquer dans le détail les raisons qui les amènent à faire cette demande totale ou partielle. Premier contact avec la justice …

La Présidente et ses assesseurs se retirent dans la salle des délibérés afin d’étudier ces demandes et prendre les décisions qui s’imposent. Le 2ème procès concerne un viol par ascendant sur mineure de moins de quinze ans. Plusieurs d’entre nous ne se sentent pas à la hauteur pour affronter un tel procès. Une demi-heure plus tard, la Cour dresse la liste des dispenses qui ont été accordées. La liste définitive des jurés est établie et il est procédé à l’appel. Nous sommes invités à revenir à 14 h 30 pour le tirage au sort du premier procès.

Nous avons reçu, jointe à notre convocation, la liste des affaires jugées, le nom des accusés et le chef d’accusation. Au cours de ce premier procès, Eric sera jugé pour « tentative d’assassinat ». Le tirage au sort commence : c’est un procès en première instance et la Présidente de la Cour d’assises doit nommer six jurés titulaires et deux suppléants. Les personnes appelées doivent se diriger vers la Cour où l’Huissier les installe, dans un ordre que nous devrons garder tout le long du procès.

« Récusé ! » le mot claque dans la salle d’audience, il signifie que pour une raison dont il n’a pas à rendre compte, vous êtes banni de la liste des jurés pour cette affaire et vous devez « piteusement » retourner à votre place. Peuvent également vous récuser l’accusé, les avocats de la défense, la partie civile et l’avocat général.

Ces formalités étant terminées, le procès peut commencer. La Présidente procède au résumé des faits et déclare une première interruption de séance.

La Cour est composée du Président de la Cour d’Assises qui mène les débats et organise le déroulement du procès. Il est entouré de deux assesseurs, magistrats siégeant dans d’autres juridictions. De chaque côté de la Cour, se trouvent les jurés. A gauche de la Cour, le box des accusés. S’ils sont détenus au moment du procès, ils sont placés dans cette pièce vitrée, accompagnés de leur escorte policière. En contrebas, les avocats de la défense. A droite de la Cour, l’Avocat Général, qui représente le Ministère Public, c'est-à-dire la société. En contrebas, se trouvent les avocats de la partie civile, donc des victimes.

A ma grande déception, je n’ai pas été retenue pour ce premier procès et je dois retrouver « ma vie ordinaire », profondément déçue.

Le jeudi suivant, je me présente au second procès, pour viol incestueux. Cette fois-ci, mon nom sort de la boîte pratiquement tout de suite. Je me dirige alors vers la Cour en priant le ciel qu’aucune des parties ne me récusera. Je parcours les quelques mètres me séparant de mon fauteuil de juré, accompagné de l’Huissier, et arrive à mon siège sans encombre … ouf ! celui-là il est pour moi …

Je ne parlerai pas de ce procès très délicat pour lequel les avocats de la partie civile ont demandé un huis clos.

Comment expliquer la solennité des lieux. Les regards se croisent. Nous devons rester imperturbables. L’accusé, les avocats, tous essaient de capter nos ressentis, nos émotions. Le procès se déroule pour nous, les jurés, qui n’avons pas accès au dossier. Nous ressentons un grand respect de la part des magistrats à notre égard, et cet excès d’attention de part et d’autre nous chamboule, nous sommes dans le saint des saints de la Justice …

Notre rôle, et nous prêtons serment devant tous, est de juger sans haine ni violence et personne n’est préparé à cela. Je pense que l’intervention des jurés permet de rendre la justice en tenant compte des sensibilités de chacun et de son vécu. L’intime conviction, le leitmotiv qui nous berce tout au long de cette expérience, nous laisse parfois démunis. Certains, plus fragiles que d’autres, s’effondrent au moment des délibérés, lorsque le crime est grave et la peine encourue très lourde…

L’intensité des débats, l’audience des témoins quelquefois bouleversants, le poids des regards nous jaugeant, l’indignation qui nous submerge face à certaines déclarations, à la mauvaise foi d’un accusé, à la sévérité de l’avocat général. Nous devons rester impassibles, sans montrer aucune émotion. Peu de temps avant, lors d’une audience, un juré avait esquissé un sourire et levé les yeux au ciel au moment de la plaidoirie de la défense. Les avocats de la défense avaient quitté la salle et le procès a dû être renvoyé.

Le rôle est difficile : rester le plus objectif possible tout en tenant compte de son intime conviction. Ne pas se laisser manipuler par les avocats dont certains font preuve de beaucoup de persuasion, intimider par le regard insistant des accusés, prendre des notes, ne pas se laisser gagner par la fatigue car chaque mot est important, nous devons affronter une tension de chaque instant et cela jusqu’à des heures très tardives.

Et on avance pas à pas dans l’horreur, la misère humaine. Nous qui avons une vie « ordinaire », certaines déclarations sont insoutenables. Les juges sont là, posent des questions, mais parfois, les silences sont lourds, et eux aussi sont gagnés par l’intensité du moment.

Les avocats de la défense qui tentent de déstabiliser les témoins, les accusés qui demandent pardon à leur victime, ceux qui n’affichent aucune émotion, les colères du Président face à l’insolence d’un accusé ou le plus souvent d’un avocat : « un ton plus bas, Maître … », les plaidoiries, certaines sont pleines d’émotion, d’autres carrément ennuyeuses. La rigueur de l’avocat général, très solennel dans sa longue robe rouge bordée d’hermine …. L’homme des réquisitions ! quel suspense !

C’est un honneur pour nous d’avoir été tiré au sort ! Au cours d’un procès dont les preuves n’étaient pas évidentes, l’un des avocats de la défense avait commencé sa plaidoirie de cette manière : « vous n’avez rien demandé, vous avez été tiré au sort et on vous demande de juger … c’est comme si vous aviez joué au loto, mais vous n’avez pas choisi ! Et bien oui, nous avons eu de la chance, cette chance de se trouver pendant quelque temps aux côtés de magistrats très compétents, et surtout d’une Présidente de Cour d’assises qui nous a remarquablement guidés.

Le rôle d’un juré est de juger, non pas à l’aide d’un code pénal qui se contente d’édicter des règles, mais avec son cœur, son expérience. Il se retrouve brutalement immergé dans une sombre affaire, il en a tous les détails, entend tous les témoins, des officiers de police judiciaire, des médecins, on lui montre toutes les pièces à conviction, on lui raconte la vie de tous les protagonistes, des experts sont là pour parler de leurs personnalités, de leur degré d’intelligence, de leurs travers psychologiques : propension à la manipulation, recours aux stratégies de dissimulation, de leurs troubles psychiatriques

Nous devons faire briser les scellés et examiner les pièces à conviction : un couteau recouvert du sang de la victime, une batte de base ball brisée sur le crâne de telle autre, la sacoche que l’accusé a perdu sur les lieux de son méfait, contenant sa carte bancaire … il y a des moments cocasses aussi !

Tout au long du procès, nous devons assimiler une masse énorme d’informations, essayer de comprendre comment les choses se sont passées, pourquoi, quels sont les mobiles, étudier les éléments à charge, à décharge, comprendre la personnalité de l’accusé.

Au bout de plusieurs jours, après avoir écouté les plaidoiries des parties civiles, la réquisition de l’avocat général, les plaidoiries de la défense, et enfin les dernières déclarations des accusés, nous devons délibérer.

La Présidente, ses deux assesseurs et tous les jurés sont enfermés dans la salle des délibérés, gardée par les forces de l’ordre. Nous n’en sortons que pour annoncer les conclusions de la Cour. Nous devons d’abord déterminer la culpabilité de l’accusé, quelque fois c’est bien difficile, puis établir le verdict en tenant compte de son casier judiciaire, de son attitude en prison, s’il est déjà détenu et bien sûr de la gravité des faits. Le but est de punir, mais aussi de donner une chance à l’accusé et lui permettre de se réinsérer dans la société.

Et nous, hommes et femmes ordinaires, par le hasard d’un tirage au sort, nous allons demander à l’un de nos semblables, de rendre compte à la société des méfaits qu’il a causés, et tous nos ressentis, les conclusions qui nous auront conduit à cette décision resteront éternellement gravés dans le secret de nos délibérés.

Je remercie toutes ces personnes qui m’ont tirée au sort, dans ma commune, dans mon département, la Présidente de la Cour d’Assises, qui m’a donnée cette chance trois fois. Je les remercie de m’avoir permise d’entrer dans ce monde si clos, de rencontrer des magistrats qui m’ont fait changer d’idée sur la justice. Moi, qui comme beaucoup, la comparait à une machine implacable, impersonnelle … j’ai rencontré de véritables professionnels, courageux, humains, d’une patience infinie, répondant inlassablement à nos questions, nous rassurant face au stress des délibérés. Je remercie les assesseurs, qui venant de juridictions différentes (juge pour enfants, procureur, etc) nous ont parlé de leur vie difficile mais passionnante.

Ce que j’ai trouvé le plus émouvant c’est quand à la fin des délibérés, la Présidente, la main sur la poignée de la porte de la salle d’audience, m’a confiée : « c’est l’instant que je redoute le plus, lorsqu’il faut rendre le verdict … ».

La greffière nous avait prévenus dès notre arrivée : vous verrez, certains jurés pleurent lorsqu’il faut partir … c’est la seule chose que j’ai regrettée, le brutal retour vers la réalité ! c’est simple, après avoir vécu trois procès, j’avais l’impression d’avoir changé de boulot !

 

 

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P
Il est vrai que la justice impressionne et en même temps nous concerne. Pour avoir eu l'occasion, à plusieurs reprises, de plaider une cause en qualité de délégué d'un syndicat au conseil des prud'hommes, je ne m'habitue pas moi non plus. Le fait d'en connaitre la marche et les détails n'aide pas lorsque l'on doit y participer, mais cela redonne un sens à une institution dont on ne peux pas se passer. Même imparfaite et perfectible la justice dans les tribuneaux est le plus sur moyen d'entrevoir la responsabilité des magistrats et la difficultés de leur travail. Mes respects.
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