Le journal du droit des jeunes de février 2015 - éditorial
L’après-Charlie
Les évènements du début janvier n’ont pas emporté le Journal du droit des jeunes, mais lui ont fait modifier toute la partie rédactionnelle, d’où l’énorme retard à sa publication.
Nous nous sommes interrogés, il y a deux numéros, sur ces jeunes qui partent faire le «Djihad». La question s’est posée cruellement après les massacres perpétrés par trois crétins qui se réclamaient d’un islam dévoyé.
Nous ne nous sommes pas posé la question de la radicalité d’une religion. Chacune a eu - et a encore - ses intégrismes qui peuvent conduire à l’horreur. L’histoire nous enseigne que le pacifisme n’est pas nécessairement du domaine du religieux... ni d’une laïcité proclamée comme une nouvelle foi. Rappelons-nous que la République laïque avait retiré la voix au chapitre des «Français musulmans» des départements d’Algérie.
La radicalité pouvant conduire à la guerre et au meurtre a inspiré quelques dizaines de jeunes qui se sont rendus sur le terrain des combats en Syrie; certains en sont revenus. D’autres s’enfoncent dans la dérive sectaire devant leur ordinateur, en contact avec quelques «gourous» d’un «islam authentique», loin des mosquées, des communautés musulmanes de France, rompant les liens qui les unissent aux proches, à tout ce qui ressemble à ces «mécréants ou apostats».
Les cinq auteurs de la tribune «Ceci n’est pas un manifeste du mouvement du 11 janvier» entendent renouer avec la troisième devise de la République, la fraternité en appelant à ne pas partir de représentations toutes faites et des stéréotypes psychosociaux, mais de l’action conjointe pour poursuivre le sentiment «d’union nationale» dans un mouvement de coopération et non un mouvement identitaire.
Identité/identification, c’est une rupture qui se joue au temps de l’adolescence... au point de se déshumaniser, de justifier les crimes ? Nous avons interrogé Dounia Bouzar qui dirige le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI) sur la mise en œuvre des moyens pour «désembrigader» des enfants, car un travail éducatif et thérapeutique devrait s’avérer bien plus efficace que les poursuites pénales pour «apologie du terrorisme» que l’on a vu se multiplier, même à l’égard de jeunes enfants.
Évoquant la personnalité des «Djihadistes», Antoine Roblain et Bachar Malki, chercheurs en psychologie sociale et interculturelle, soulignent qu’«il apparaît dès lors important de se détourner de leurs caractéristiques sociodémographiques pour s’intéresser aux facteurs psychosociaux à la base de leur engagement». À la question de savoir s’ils sont dangereux, notamment à leur retour, ils signalent qu’environ 20% d’entre eux manifestent une forte désillusion par rapport à leur expérience syrienne et suggèrent «qu’il serait politiquement intéressant de promouvoir la parole de ces individus désillusionnés dans le contexte de programme de déradicalisation».
Pour Joe Finder, ancien directeur d’un foyer de semi-liberté, et complice de Stanislaw Tomkiewicz, «il ne suffit pas d’enseigner la laïcité et la tolérance, en ignorant le niveau de développement de l’intelligence abstraite de chaque jeune», il conclut qu’il est «nécessaire aussi d’avoir d’emblée des éléments positifs à proposer à la place des fausses promesses des fous d’un faux dieu».
Pour Hubert Montagner, psychophysiologue, ancien directeur de l’INSERM, il faut arrêter d’enfermer les enfants dans les situations formelles et formatées des apprentissages dits fondamentaux et libérer le cerveau et la pensée des enfants et des adolescents pour atteindre l’intelligence critique , c’est «le meilleur bouclier contre l’ignorance, l’obscurantisme, la violence et la terreur aveugle (ou «éclairée»)».
Sortons du champ de la terreur et courons dans les bois, à la recherche des «évadés» du champ social.
Ce que Bernard Van Asbrouck appelle Sherwood, c’est la disparition des radars d’une part, de plus en plus grande de la population, particulièrement chez les jeunes, un décrochage social à bas bruit. François Chobeaux nous avait déjà entretenu des «jeunes en errance», minorité à la fois visible et invisible car elle sort des cadres et des statistiques, composée d’une bonne part de sortants d’ITEP et de MECS qui n’y étaient pas préparés (JDJ, n° 328, p. 11 et s.).
Selon Van Asbrouck, Sherwood, «C’est un espace-temps humain en émergence dans nos sociétés et qui inaugure de nouvelles modalités du vivre ensemble souvent en rupture avec les us et coutumes de la société salariale».
Dans la partie Jurisprudence, nous commentons à nouveau les incohérences des cours d’appel (chambres «spéciales mineurs») quand elles ont à juger de la protection des mineurs isolés étrangers. Nous reproduisons d’ailleurs dans les Brèves la pétition qui circule pour que soit mis fin à la pratique honteuse et ascientifique du recours aux tests osseux pour déterminer l’âge.
Bonne lecture et nous présentons nos excuses pour le retard apporté à l’édition de janvier.
Vous aurez l’occasion de lire le détail du sommaire ci-dessous reproduit dans Le Journal du droit des jeunes qui paraît en version «papier», dix fois par an. Vous y êtes peut être abonné. Si ce n’est pas le cas, rendez-vous sur notre site www.droitdesjeunes.com où vous trouverez les éditoriaux, les sommaires et les quelques pages de «Brèves» depuis le numéro 200 (décembre 2000), ainsi que les informations utiles pour vous abonner.
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Bonne lecture !