La nudité et la cour européenne des droits de l'homme
Chaque jour la cour européenne des droits de l'homme (son site) est sollicitée dans d'innombrables domaines. Et mois après mois elle rend des décisions qui irriguent notre droit.
La CEDH est souvent saisie de problématiques complexes (cf. le récent débat autour de la GPA, lire ici), et doit faire des choix aussi importants que délicats.
Mais il lui arrive aussi de statuer sur des questions moins cruciales. Un récent arrêt en est une illustration.
En 2003, un citoyen britannique a décidé de marcher entièrement nu d'Angleterre jusqu'en Ecosse. Il a été surnommé le "randonneur nu". Il voulait, semble-t-il, démontrer "le caractère inoffensif du corps humain".
Entre 2003 et 2012, il a été arrêté plus de trente fois, et condamné à plusieurs reprises. Il a même été spécialement condamné pour outrage à la justice pour s'être présenté nu devant la juridiction qui l'avait cité. Les premières sanctions furent légères mais au fil du temps devinrent de plus en plus sévères. Il a plusieurs fois de suite été condamné à une année de prison, la peine maximale prévue par la législation du pays.
De ce fait, entre 2006 et 2012, l'intéressé n'est resté en liberté que sept jours, et a passé au total plus de sept années en prison. En plus en quartier d'isolement car en prison aussi il refusait de se vêtir.
Ce britannique a saisi la CEDH en invoquant une violation du droit au respect de la vie privée et familiale (article 8) et du droit à la liberté d'expression (article 10).
Dans son arrêt du 28 octobre 2014 (disponible uniquement en anglais, communiqué de presse ici), la CEDH a considéré et jugé, en substance :
" (..) le droit à la liberté d’expression porte non seulement sur le contenu des idées exprimées mais également sur la forme employée pour les communiquer. M. Gough ayant choisi de se montrer nu en public pour exprimer son opinion sur le caractère inoffensif du corps humain, sa nudité en public peut être considérée comme une forme d’expression qui relève de l’article 10. Les arrestations, poursuites, condamnations et détentions dont il a fait l’objet ont constitué une ingérence dans l’exercice du droit garanti par cette disposition ; la question est de savoir si cette ingérence était justifiée.
"(..) en exerçant son droit à la liberté d’expression, M. Gough était soumis à l’obligation générale de respecter les lois de l’Écosse et de poursuivre son souhait de provoquer un changement en se conformant auxdites lois. Bien d’autres voies s’offraient à lui pour exprimer son opinion sur la nudité ou lancer un débat public sur le sujet. Par ailleurs, la Cour estime que M. Gough, eu égard notamment au fait qu’il demandait de la tolérance vis-à-vis de sa propre conduite, se devait de faire preuve de tolérance et d’égard pour les opinions d’autres citoyens. Or, il insistait sur son droit de se montrer nu à tout moment et en tout lieu, y compris dans les tribunaux, les aires communes des prisons et des aéroports, sans aucun égard pour les opinions des autres personnes ou le fait qu’elles risquaient d’être choquées par sa conduite."
" (..) son emprisonnement a été le résultat des atteintes répétées au droit pénal qu’il a commises en ayant pleinement conscience de leurs conséquences, à travers une conduite contraire aux bonnes moeurs qui ont cours dans toute société démocratique moderne. Eu égard à ce qui précède et à la grande latitude dont jouissent les États membres (« ample marge d’appréciation ») en la matière, la Cour conclut à la non-violation de l’article 10 de la Convention."
" (..) l’article 8 ne peut être considéré comme protégeant tout choix personnel concevable concernant la manière dont une personne souhaite se montrer en public, et qu’un degré minimum de sérieux s’impose. Il n’est pas certain que ce degré minimum de sérieux ait été atteint en ce qui concerne le choix de M. Gough d’apparaître complètement nu en toute occasion et en tout lieu public sans distinction, eu égard au fait que ce type de choix ne suscite d’adhésion dans aucune société démocratique connue du monde. Quoi qu’il en soit, même si l’article 8 trouve à s’appliquer, aucune violation de cette disposition n’est décelée, et ce essentiellement pour les raisons exposées par la Cour dans le cadre de son analyse du grief de M. Gough tiré de l’article 10."
Au final ? Beaucoup de nu pour rien...