La loi, le mythe, et la vraie vie (à propos, encore, de l'autorité parentale)
L'examen par l'Assemblée Nationale de la proposition de loi relative à l'autorité parentale vient d'être interrompu. Nous en avons abordé ici, récemment, quelques aspects délicats (lire ici).
En attendant une reprise - éventuelle - du processus parlementaire, arrêtons-nous sur un autre aspect intéressant de cette proposition, qui mérite quelques observations sur ce qu'il révèle au-delà des apparences.
Quand les parents se séparent (et au demeurant même quand ils vivent ensemble), il peut arriver, pendant un temps, que ni l'un ni l'autre ne soit en mesure de s'occuper à plein temps de son (ses) enfant(s). Et cela quelles que soient les raisons de leurs difficultés. C'est pour cela que le loi prévoit, depuis un long moment, la possibilité, pour le juge aux affaires familiales (JAF), ou pour le juge des enfants, de confier provisoirement l'enfant à un tiers.
L'article 373-3 du code civil alinéa 2, (texte ici) prévoit en ce sens :
"Le juge peut, à titre exceptionnel et si l'intérêt de l'enfant l'exige, notamment lorsqu'un des parents est privé de l'exercice de l'autorité parentale, décider de confier l'enfant à un tiers, choisi de préférence dans sa parenté." L'idée du texte, dans la fin de la phrase, est de favoriser le maintien de l'enfant dans un environnement familial, l'accueil par un tiers non membre de la famille ne devant être envisagé qu'en cas d'impossibilité d'organiser un accueil dans la famille élargie.
Les parlementaires ont proposé de modifier ce texte en remplaçant l'expression " " par celle de "parent ou non". Cela fait, en conséquence, disparaitre la préférence familiale. Autrement dit, dans la version actuelle l'environnement familial doit être privilégié, dans la nouvelle version ce n'est plus qu'une option au même titre que les autres.
La modification envisagée de cet article a tout de suite entraîné de vifs débats. Certains, en faveur du maintien du texte actuel, ont vigoureusement dénoncé une atteinte à la famille, allant jusqu'à soutenir que la proposition de loi faisait disparaître les liens biologiques et affectifs dont les enfants ont besoin. Les plus critiques allant jusqu'à dénoncer la disparition de la famille.
Ce qui est discuté et dit est particulièrement intéressant. Non pas sur le plan juridique, mais sur ce que cela nous montre de l'inversion, parfois, des priorités.
Les règles juridiques françaises et internationales nous imposent de prendre en compte, avant tout autre critère, "l'intérêt supérieur de l'enfant". En ce sens, en haut de la pyramide des normes, l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant (cf. ici) énonce clairement le principe de la prise en compte priritaire de l'intérêt supérieur de l'enfant :
"Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale."
Considérer comme supérieur l'intérêt des enfants, c'est affirmer que les autres intérêts passent après. Donc ceux des adultes. Malheureusement, les adultes, trop souvent, ne privilégient pas les intérêts des enfants mais les leurs. Et, tous, pour justifier leurs demandes ou leurs choix, brandissent l'intérêt de l'enfant. Quand bien même, tout en portant fort une identique bannière, les uns et les autres aboutissent à des exigences opposées. L'intérêt de l'enfant est devenu une notion molle, maléable, une sorte de joker, que chacun utilise pour soutenir, d'abord, ses propres intérêts.
Et pourtant, tout devrait être beaucoup plus simple.
Qu'est-ce que peut-être l'intérêt de l'enfant, sinon de bien grandir grâce à un environnement aimant et, surtout, épanouissant. Or il faudra bien l'admettre un jour haut et fort : l'épanouissement dont découlent l'équilibre, l'apaisement, la force personnelle, et le bonheur de vivre, n'ont jamais été, ne sont pas, et ne seront jamais garantis par la famille. Peut-être faudra-t-il un jour tordre le cou au mythe. Et accepter enfin de regarder la réalité en face.
Bien sûr, tout le monde en conviendra, une famille aimante, stable, sécurisante, encourageante, va permettre aux enfants qui y grandissent de devenir des adultes à leur tour épanouis et forts, disponibles ensuite pour leurs propres enfants. Mais la réalité des familles est toutefois plus nuancée, c'est peu dire.
Les familles, ce sont des adultes et au premier rang des parents qui à certains moments rencontrent des difficultés parfois très déstabilisantes, qui traversent des crises personnelles, de couple, professionnelles. Autant d'évènements qui en font des adultes moins ou plus du tout disponibles pour les enfants et même parfois dangereux pour ces derniers quand, peu à peu, s'accumulent les tensions, les conflits, les cris, les déchirements, les rancoeurs, et parfois les ruptures, les violences psychologiques ou physiques, l'alcool, la dépression...
La famille apportant dans tous les cas et à chaque instant un environnement sûr et épanouissant pour tous les enfants n'est qu'un mythe. Il suffit de parcourir les dossiers des JAF et des juge des enfants - ou de regarder autour de soi - pour s'en convaincre rapidement. La vraie vie est loin du mythe, c'est peu dire.
Et c'est la même chose pour les proches des parents.
Au moment de la séparation des parents le bateau familial souvent tangue fort. Et non seulement les parents sont dans la tourmente, mais, fréquemment et pour ne rien arranger, c'est l'entourage qui s'en mêle. Les proches des parents observent, commentent, et critiquent parfois férocément les comportements de l'un ou de l'autre. Ce qui avive les tensions, les animosités, parfois les haines. Avec, au milieu, les enfants qui ressentent tous les coups, quand ils ne les reçoivent pas directement.
Alors quel est dans tout ceci l'intérêt supérieur de l'enfant ? Tout simplement d'aller là où lui sera le mieux. Ce qui, régulièrement, ne correspondra pas à l'endroit où les membres de la famille voudraient qu'il aille.
Non il n'est pas toujours dans l'intérêt supérieur de l'enfant d'aller chez un membre de sa famille élargie. Surtout s'il risque d'y entendre critiquer vivement son père ou sa mère par des adultes qui, à cause de leur ressentiment, en rajouteront en lui disant des choses qui ne sont pas forcément vraies. Et qui, de ce fait, au mieux seront dans l' , au pire le déstabiliseront encore plus. Consciemment ou non.
Non, quel que soit le mythe, quand le conflit entre deux parents atteint des sommets les proches ne sont pas les mieux placés pour permettre aux enfants d'être préservés de ces conflits et de grandir, pendant un temps, dans un environnement apaisé car suffisamment neutre. Au contraire, plus le conflit est vif, plus souvent les autres membres de la famille sont négativement impliqués.
C'est pourquoi, s'agissant de la famille proche des deux parents qui se séparent et sont dans un tel degré de conflit que tous deux ne peuvent conserver les enfants auprès d'eux, c'est la prudence qui s'impose. Parce que la souffrance et la colère des proches ne favorise pas leur neutralité.
Et c'est pourquoi aussi, sur ce point, la proposition de loi n'est pas aberrante. Mais il faudrait aller plus loin pour éviter tout nouveau débat.
Il n'est sans doute pas plus utile de mentionner "parent ou non" que de maintenir la formulation actuelle. Tout ceci devrait être remplacé par un principe simple : l'enfant doit être confié aux adultes auprès de qui il sera le mieux. C'est cela son "intérêt supérieur".
L'adulte (ou le couple) remplaçant provisoire des parents peut certainement être un membre de la famille élargie. Si l'enfant y est réellement et efficacement préservé de la tourmente, et s'il exprime le souhait non manipulé d'y aller, alors il sera judicieux de le maintenir dans son environnement familial.
Mais si après investigations il apparaît que l'enfant serait objectivement mieux chez un autre adulte, et qu'il souhaite lui-même y aller (s'il est en âge de s'exprimer sans l'influence excessive des adultes) parce qu'il connaît bien ce tiers et est très bien avec lui, alors cette solution est à privilégier quand bien même des membres de la famille, trop impliqués dans le conflit des parents et de ce fait potentiellement nocifs, proposent de l'accueillir chez eux.
Autrement dit, il n'existe aucune raison de privilégier dans la loi un choix plutôt qu'un autre. Ce qui suppose que l'on respecte enfin et concrètement la convention internationale, et que que l'on mette vraiment en tête de liste l'intérêt supérieur de l'enfant. Avant les souhaits des adultes qui ne lui correspondent pas toujours.
La loi n'a pas pour objet de préserver ce qui n'est qu'un mythe, celui d'une famille forcément épanouissante. On sait, depuis la nuit des temps, que la famille apporte le meilleur mais aussi le pire.
Alors, répétons-le, la règle à poser est simple : l'enfant doit aller là ou il sera le mieux. Et en cas de séparation très difficile des parents, comme un des premiers critères de choix, il y aura inéluctablement la capacité des adultes à ne pas l'impliquer dans le confit en cours, à ne pas l'utiliser ni le manipuler, à le tenir à l'écart. Autrement dit à ne pas l'agresser encore et encore.
Et si le critère c'est le seul bien être de l'enfant, si son intérêt est véritablement "supérieur" à l'heure du choix, alors il n'existe aucune raison de privilégier quiconque.